II. BRÉSIL, MEXIQUE, COLOMBIE, VENEZUELA : QUATRE PAYS CLÉS POUR MESURER L'HUMEUR IDÉOLOGIQUE DE L'AMÉRIQUE LATINE
par Christian GALLOY
MADRID, 10 janvier 2018 (LatinReporters.com) – Le changement de cycle politique en Amérique latine sera confirmé ou mis en doute en 2018 par six élections présidentielles touchant les deux tiers des 640 millions de Latino-Américains.
Brésil, Mexique, Colombie, Venezuela, Costa Rica et Paraguay éliront leur président. Les quatre premiers de ces pays -respectivement 1ère, 2e, 4e et 6e puissance régionale- comptent près de 420 millions d'habitants, un nombre plus que significatif pour mesurer l'humeur idéologique de l'Amérique latine.
Dominante lors des trois premiers lustres de ce siècle, surtout en Amérique du Sud, la gauche latino-américaine subissait en 2015 deux revers notables, à la présidentielle en Argentine et aux législatives au Venezuela.
Ce recul était accentué en 2016 par un référendum constitutionnel en Bolivie, l'élection présidentielle au Pérou, les municipales au Chili et au Brésil et la destitution de la présidente brésilienne Dilma Rousseff, puis, en 2017, par les législatives en Argentine et la présidentielle au Chili.
En contrepartie, la gauche l'emportait en 2016 aux élections présidentielle et législatives du Nicaragua et, en 2017, aux municipales nicaraguayennes, à la présidentielle et aux législatives de l'Équateur, ainsi qu'aux trois scrutins successifs de l'an dernier au Venezuela : élection de l'Assemblée constituante, élections régionales et élections municipales.
Si la droite a systématiquement crié à la fraude électorale au Nicaragua, en Équateur et au Venezuela, la gauche qualifie en revanche de coup d'État parlementaire l'éviction polémique au Brésil de Dilma Rousseff, remplacée par l'actuel président conservateur Michel Temer, et de coup d'État électoral la réélection à la fois douteuse et anticonstitutionnelle du président conservateur Juan Orlando Hernández en novembre dernier au Honduras.
Mais les deux camps pourraient admettre que l'Amérique latine demeure un champ de bataille idéologique où ni les néolibéraux ni la gauche social-démocrate ou radicale n'ont remporté une victoire définitive ou subi une défaite irréparable.
Ce diagnostic prudent est soutenu par les résultats possibles des présidentielles de 2018.
Brésil
Au Brésil, les sondages actuels sont largement dominés par Luiz Inácio Lula da Silva, cofondateur du Parti des travailleurs (PT), ex-président de 2003 à 2010 et alors icône de la gauche continentale.
Lula veut briguer à nouveau la présidence en octobre, mais cette ambition est aux mains de la justice. Si une seconde instance, qui s'ouvrira le 24 janvier, confirmait sa condamnation à 9 ans et 6 mois de prison pour corruption, sa candidature pourrait être compromise.
Cela risquerait de faciliter l'avènement d'un «messie politique», d'un homme neuf qui promettrait de tourner la page des scandales.
L'extrême-droite est sur les rangs, misant sur le désabusement des Brésiliens depuis le lancement, en 2014, de l’opération anti-corruption «Lava Jato» («lavage express»), qui éclabousse la quasi totalité de l'éventail parlementaire et en particulier le PT.
Le colonel de réserve Jair Bolsonaro, député défenseur de la dictature militaire qui gouverna le Brésil de 1964 à 1985, est en deuxième place des sondages pour la présidentielle, quoiqu'à grande distance de Lula.
Mexique
Au Mexique, l'éternel aspirant de gauche à la présidence, Andrés Manuel López Obrador, surnommé Amlo, est une fois de plus le favori de l'élection présidentielle. Il le fut déjà avant les scrutins de 2006 et de 2012, qu'il perdit pourtant, victime selon lui de fraudes électorales.
Sa troisième tentative sera-t-elle la bonne ? L'inquiétude de milieux économiques donne consistance à cette hypothèse, d'autant qu'Amlo bénéficie cette fois d'un allié aussi puissant qu'inattendu : le président des États-Unis, Donald Trump.
Le discours anti-immigration de l'actuel locataire de la Maison Blanche, son entêtement à construire un mur frontalier avec le Mexique et son nationalisme économique qui ébranle l'ALENA (Accord de libre-échange nord-américain conclu entre les États-Unis, le Canada et le Mexique) expliquent, autant que les inégalités, la corruption et une insécurité record, la hausse constante depuis un an de la popularité d'Amlo, fondateur du Mouvement de régénération nationale (Morena).
Sa victoire à la présidentielle mexicaine, qui se joue en un seul tour au plus grand nombre de voix, établirait pour la première fois un régime de gauche sur le seuil même de l'oncle Sam durant une législature de six ans.
Même si le radicalisme initial de López Obrador se rapproche graduellement de la social-démocratie, sa suprématie éventuelle dans la seconde puissance d'Amérique latine suffirait à remettre en question la théorie d'un changement de cycle politique régional au seul profit de la droite néolibérale.
Et que dire si, de surcroît, la première puissance latino-américaine, le Brésil, s'offrait une nouvelle présidence de Lula ?
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Colombie - Désarmée aux termes des Accords de paix, la guérilla des Farc s'est transformée en parti politique. Son chef, Rodrigo Londoño, alias Timochenko, est candidat à l'élection présidentielle du 27 mai 2018. (Photo FARC-EP / archives) |
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Colombie
En ce début de janvier 2018, aucun des candidats potentiels à la présidentielle colombienne de mai ne fait figure de favori et plusieurs partis misent sur des coalitions ou alliances.
Unissant le Centre démocratique de l'ex-président Álvaro Uribe et le Parti conservateur conduit par son prédécesseur à la présidence, Andrés Pastrana, la coalition formée par la droite n'a pas encore désigné son candidat. Parmi ses propositions figurent la révision des Accords de paix avec la guérilla des Farc (Forces armées révolutionnaires de Colombie) et l'octroi de nouveaux privilèges fiscaux aux multinationales.
Le rejet au référendum du 2 octobre 2016 des Accords de paix, néanmoins ratifiés par voie parlementaire, anticipait peut-être un prochain coup de barre vers la droite dure en Colombie, pays présidé depuis 2010 par le libéral conservateur Juan Manuel Santos. Son ex-vice-président Germán Vargas Lleras est candidat à sa succession.
L'ex-maire de Medellín Sergio Fajardo briguera la présidence à la tête d'une coalition centriste. Une autre, de centre gauche, sera conduite par Gustavo Petro, ancien maire de Bogota.
Vu la faible participation à la consultation qui le désigna candidat du Parti libéral, Humberto de la Calle, négociateur en chef du gouvernement dans le processus de paix avec les Farc, devra peut-être aussi s'entourer d'une coalition pour appuyer son ambition présidentielle.
La grande nouveauté de l'élection présidentielle colombienne est la candidature d'extrême gauche du chef de l'ex-guérilla des Farc, Rodrigo Londoño, alias Timochenko. Aux termes des Accords de paix, les Farc sont devenues un parti politique dont l'acronyme signifie désormais Force alternative révolutionnaire commune.
[Ajout du 8 mars - Leur leader Timochenko souffrant du cœur, les Farc renoncent à la présidentielle.]
Venezuela
Prévue initialement pour le dernier trimestre de 2018, l'élection présidentielle vénézuélienne pourrait être avancée afin de favoriser le chavisme (du nom du président défunt Hugo Chávez).
[Ajout du 1er mars : fixée auparavant au 22 avril, l'élection présidentielle a été reportée au 20 mai, ont annoncé les autorités électorales.]
Face à l'opposition divisée entre partisans de la confrontation ou du dialogue, le président chaviste Nicolás Maduro, qui briguera un second mandat de six ans, pourrait en effet bénéficier de l'effet psychologique de ses trois victoires électorales successives depuis juillet 2017 (élection de l'Assemblée constituante, élections régionales et élections municipales).
Sans représentation au sein du pouvoir suprême temporaire qu'est désormais l'Assemblée constituante, dont ils avaient boycotté l'élection avant d'être laminés aux régionales d'octobre, les principaux partis d'opposition avaient aussi boudé les municipales de décembre, arguant du manque de garanties, et perdu ainsi leur pouvoir local.
En dépit d'accusations de répression et de fraudes électorales, l'échec tant de la contestation violente dans la rue que du dialogue avec le pouvoir a peut-être ramené vers le camp chaviste nombre de Vénézuéliens qui avaient assuré aux législatives de décembre 2015 le triomphe électoral de la Table de l'unité démocratique (MUD), qui fédérait alors plus solidement les partis d'opposition.
Des personnalités de la MUD misent désormais ouvertement sur des sanctions économiques internationales, en particulier américaines, pour faire tomber le régime chaviste, en proie aux pénuries et au risque de banqueroute à cause surtout de l'effondrement des cours internationaux du pétrole brut, principale ressource du Venezuela.
Relayée par des médias étrangers, l'opposition affirma récemment avoir été bannie de l'élection présidentielle. La réalité est plus nuancée. L'Assemblée constituante a effet décrété le 20 décembre que les formations politiques n'ayant pas participé à une élection précédente (en l'occurrence les municipales) doivent, pour se présenter au prochain scrutin (la présidentielle), valider à nouveau leur condition de parti, soit recueillir l'aval d'au moins 0,5 % de l'électorat dans au moins 12 des 23 États du Venezuela.
[Ajout du 26 janvier – Alléguant la «prohibition du double militantisme», le Tribunal suprême de justice du Venezuela a ordonné que la coalition d'opposition Table de l'unité démocratique (MUD) soit exclue du processus de validation de candidatures à la prochaine élection présidentielle. Chaque parti d'opposition devrait donc présenter son propre candidat éventuel à la présidence, alors que la MUD permit un front commun derrière un candidat unique aux deux dernières présidentielles. La décision polémique du Tribunal suprême favorise manifestement le président chaviste Nicolas Maduro, candidat à sa réélection.]