II. ANALYSE PRÉLIMINAIRE
par Christian GALLOY
8 janvier 2021 - LatinReporters.com
L'année électorale 2021 en Amérique latine est dominée par la pandémie de Covid-19, l'importance globale de scrutins dans onze pays comptant près de 50% des 650 millions de Latino-Américains et la possible confirmation de la fin de la remontée conservatrice dans la région, combinée au départ tumultueux de la Maison Blanche du populiste de droite Donald Trump.
Dans un calendrier électoral dense s'étalant de février à novembre, l'Équateur, le Pérou, le Nicaragua, le Chili et le Honduras célébreront des élections présidentielles et législatives.
Le 11 avril, sept mois avant de renouveler leur présidence et leur Parlement, les Chiliens éliront également les 155 membres d'une Assemblée constituante, la Convención Constitucional, qui élaborera une nouvelle Charte fondamentale remplaçant celle héritée de la dictature de Pinochet. Le même jour, le Chili renouvellera ses mandataires régionaux et municipaux.
Législatives aussi au Salvador, au Mexique et en Argentine et scrutins régionaux et locaux en Bolivie, au Paraguay et au Venezuela.
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L'impact de la pandémie
Selon les relevés de l'université américaine Johns Hopkins du 8 janvier, le coronavirus Covid-19 avait infecté dans les dix pays convoqués aux urnes un total de 5.514.171 personnes, dont 260.559 décédèrent, soit un taux moyen de 914 décès par million d'habitants, largement surpassé au Pérou, au Mexique et en Argentine. (En France, ce taux était de 985 à la même date).
Le cycle électoral 2021 pourrait donc mesurer l'impact politique d'une pandémie susceptible d'accélérer la crise sociale, économique et parfois même institutionnelle reflétée par la colère de la rue en Amérique latine depuis 2018.
La Commission économique pour l'Amérique latine (CEPAL, organisme de l'ONU) estime à 8% le recul du PIB régional dû au coronavirus en 2020, soit la pire récession en un siècle dans une région déjà souvent considérée comme la plus inégalitaire de la planète.
Là où confinement et autres mesures préventives contre la pandémie les ont contenues, les protestations et revendications sociales antérieures à l'alerte sanitaire pourraient ressurgir avec force lorsque les gouvernements supprimeront des aides en principe transitoires liées au Covid-19.
"Les peuples vont privilégier le présent, qui n'a jamais importé autant qu'en pandémie" avertit à ce propos la directrice de l'institut d'enquêtes Latinbarómetro, Marta Lagos, dans une interview à BBC Mundo.
Le courroux social s'alimente aussi des doutes et des critiques que ne cessent de soulever, en Amérique latine comme dans l'ensemble du monde occidental, les stratégies gouvernementales contre le coronavirus ponctuées de confinements et de couvre-feux.
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Explosion sociale au Chili en octobre 2019, quelques mois avant l'apparition de la pandémie de Covid-19 qui accentue les inégalités en Amérique latine. (Photo Carlos Figueroa, Wikipedia CC BY-SA 4.0) |
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Fin confirmée de la remontée de la droite en Amérique latine?
Marta Lagos et d'autres experts croient que le souci de l'immédiat favorisera les candidats populistes et secouera les équipes dirigeantes, quelle que soit leur étiquette politique.
Néanmoins, en ce début janvier, quasi un an après l'éclatement de la crise du coronavirus, les sondages sont plus circonspects dans les pays du cycle électoral 2021.
Sous réserve d'évolution, les enquêtes confortent en effet la gauche gouvernementale au Mexique, en Argentine et en Bolivie, ainsi que la gauche d'opposition en Équateur et au Chili.
Le favori actuel de l'élection présidentielle du 7 février en Équateur est Andrés Arauz, ex-ministre de l'ancien président socialiste "bolivarien" Rafael Correa, qui le soutient depuis son exil forcé en Belgique.
Et au Chili, l'un des favoris de la présidentielle du 21 novembre est le candidat du Parti communiste, Daniel Jadue, ce qui en dit long sur l'évolution des mentalités au pays de Pinochet.
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Rappelons que l'actuel président conservateur chilien Sebastián Piñera fut contraint de décréter en 2019, sous la pression de la rue, l'ouverture par référendum en 2020 du processus qui débouchera, le 11 avril prochain, sur l'élection d'une Assemblée constituante chargée de rédiger une nouvelle Constitution.
Après l'élection en octobre dernier à la présidence de la Bolivie de Luis Arce, ex-ministre et poulain d'Evo Morales, après aussi le triomphe en 2019 de la gauche péroniste en Argentine et l'avènement en 2018 au Mexique d'un premier président de gauche, Andrés Manuel López Obrador, après enfin l'effondrement, aux municipales brésiliennes d'octobre dernier, des candidatures soutenues par le président populiste de droite Jair Bolsonaro, oserait-on encore parler de remontée conservatrice en Amérique latine si, en outre, l'Équateur et le Chili viraient à nouveau à gauche?
Au Nicaragua, un encadrement dictatorial pourrait favoriser en novembre une réélection polémique du président Daniel Ortega ou l'éventuelle candidature à la présidence de sa femme Rosario Murillo.
Au Venezuela, jugé dictatorial aussi par la majorité des pays occidentaux malgré une évidente résilience du chavisme originel au sein des classes populaires, les régionales et municipales seront les premières élections depuis les législatives de 2020 et la présidentielle de 2018, deux scrutins boycottés par l’opposition la plus radicale.
Quant au populisme, il pourrait, toujours selon les sondages, offrir le 28 février une majorité parlementaire au président salvadorien Nayib Bukele et peut-être, le 11 avril, porter à la présidence l'ex-footballeur George Forsyth dans un pays, le Pérou, gouverné en à peine sept jours de novembre dernier par trois présidents successifs.
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Le 6 janvier 2021 à Washington, suite aux encouragements à manifester lancés par Donald Trump, des milliers de ses partisans se lancèrent à l'assaut du Capitole, prétendant éviter ainsi la certification parlementaire du triomphe de Joe Biden à la présidentielle. (Photo Tyler Merbler, Wikipedia CC BY 2.0) |
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Le facteur Trump
Le défaite à l'élection présidentielle états-unienne de Donald Trump, archétype du populisme radical de droite, et l'indignation soulevée par ses manœuvres putschistes pour tenter d'empêcher la certification parlementaire de la victoire du démocrate Joe Biden, privent la droite et le populisme latino-américains d'un allié et d'un modèle.
Un modèle pour le moins contestable, qui faisait progressivement école dans diverses parties du monde en proie aux explosions sociales.
"La polarisation dominante aux États-Unis polarise aussi l'Amérique latine" écrivait en décembre Jerónimo Ríos Sierra, professeur de sciences politiques à l'Université Complutense de Madrid.
Mais qui influence qui ? Car, note le même professeur, "les États-Unis, où la stabilité fut la norme durant des décennies, ressemblent davantage maintenant, sur le plan politique, à certains des pays les plus convulsés d'Amérique latine. La politique paraît s'y être latino-américanisée".
Vociférer le "Make America great again" cher à Trump n'était donc pas la clé du paradis...