Retour / BackVe sommet UE-ALC ... animé par Interpol?Au sommet de Lima, deux Amériques latines face à l'Europe
par Christian Galloy
MADRID / LIMA, mardi 13 mai 2008 (LatinReporters.com) -
Pauvreté, environnement, crise alimentaire, commerce et accords d'association sont au menu
du Ve Sommet Union européenne - Amérique latine et Caraïbes (UE-ALC) qui
réunit cette semaine à Lima, capitale du Pérou, chefs d'Etat et de gouvernement
ou ministres de 60 pays. Les 33 de l'ALC dessinent deux Amériques
latines distinctes. La radicale menée par le Vénézuélien
Hugo Chavez s'éloigne des paramètres de l'UE.
Pour avoir entamé sa carrière politique au Parti communiste
mexicain et l'avoir conclue provisoirement comme ministre des Relations extérieures
de l'ex-président conservateur du Mexique Vicente Fox, compte tenu
aussi de sa réputation singulière d'ancien espion au service
tant de Cuba que de la CIA, Jorge Castañeda, actuellement professeur
d'Etudes latino-américaines à l'Université de New York,
est peut-être bien placé pour différencier sans parti
pris excessif les deux Amériques latines.
Selon M. Castañeda (*), l'une, "proche
ou sous la férule -selon l'optique- du consensus dit de Washington,
suit le chemin de la démocratie représentative -avec tous ses
bémols-, de l'économie de marché et de la globalisation
-avec ses insuffisances irréfutables-, maintenant des relations cordiales,
bien que non dépourvues de désaccords, avec les Etats-Unis.
Ce camp inclut le Mexique, la République dominicaine, le Costa Rica,
le Panama, la Colombie, le Pérou, le Chili, l'Uruguay et le Brésil".
L'ex-ministre mexicain aurait pu citer l'Union européenne aux côtés
des Etats-Unis comme référence de valeurs relatives définissant
ce groupe. Un accord d'association, à la fois politique, de coopération
et de libre-échange lie en effet depuis plusieurs années l'UE
au Mexique et au Chili. Le Mexique vient en outre, comme le Brésil
l'an dernier, d'être élevé au rang de partenaire stratégique
des 27 pays de l'Europe communautaire, un niveau de relations que l'UE ne
maintenait auparavant qu'avec les Etats-Unis, la Chine et la Russie.
Le Brésil de Luiz Inacio Lula da Silva, le Chili de Michelle Bachelet
et l'Uruguay de Tabaré Vazquez, trois pays souvent cités parmi
ceux symbolisant la nouvelle gauche latino-américaine, n'en sont pas
moins, selon tous les analystes, des social-démocraties s'appuyant,
comme l'Union européenne, sur l'économie sociale de marché.
Quant à l'autre Amérique latine, Jorge Castañeda la
décrit comme celle "du proverbial "axe du bien" (ou "du mal", à
nouveau selon l'optique), étatique, globalophobe, prisonnière
de tentations autoritaires et/ou de démocratie "participative", antiaméricaine,
convaincue qu'un "autre monde est possible", régie par La Havane et
Chavez (la survie du second est une question de vie ou de mort pour le gouvernement
insulaire) et avec des antennes importantes, au sein et hors du pouvoir,
au Mexique (Lopez Obrador et le PRD), au Salvador (le FMLN), au Nicaragua,
en Colombie (les FARC et une partie du Pôle Démocratique), en
Equateur, en Bolivie, en Argentine, et maintenant très probablement
au Paraguay".
Selon M. Castañeda, "aucun des deux camps n'est chimiquement pur:
des forces du premier abondent au sein du second et de nombreux gouvernements
du premier groupe se voient assiégés par des forces financées
et organisées par des gouvernements du second. Plus encore, quelques
pays, surtout l'Argentine et dans une moindre mesure le Guatemala, oscillent
entre les deux camps".
Concrètement, la gauche radicale antiaméricaine et hostile
à des degrés divers à l'économie de marché
est actuellement au pouvoir au Venezuela, à Cuba, au Nicaragua, en
Equateur, en Bolivie et probablement bientôt au Paraguay, lorsque Fernando
Lugo, "l'évêque des pauvres" vainqueur de la récente
élection présidentielle, sera investi le 15 août prochain.
L'Argentine de Cristina et Nestor Kirchner n'a pas encore clairement choisi
son camp, mais la lente résurgence d'un populisme autoritaire argentin la rapproche,
comme ses besoins financiers, du Venezuela pétrolier de Hugo Chavez
et de son socialisme dit bolivarien.
Des pays radicaux participent aux trois négociations régionales
ouvertes par l'UE avec les Latino-Américains pour la conclusion d'accords
d'associations avec l'Amérique centrale, la Communauté andine
et le Mercosur (marché commun sud-américain formé par
le Brésil, l'Argentine, le Paraguay et l'Uruguay, la pleine adhésion
du Venezuela étant imminente). Or, la philosophie même de ces
accords, censés notamment protéger l'initiative et les investissements
privés, est régulièrement critiquée par les tenants
du "socialisme du 21e siècle" au pouvoir à Caracas, Quito et La Paz.
Jorge Castañeda estime que le camp des radicaux "dispose aujourd'hui
de la capacité de réaliser le vieux rêve du Che Guevara:
non "un, deux, de nombreux Vietnams", mais un, deux, beaucoup de Venezuelas,
dans le sens de conquérir le pouvoir par les urnes, le conserver,
le transformer et le concentrer par l'intermédiaire de la révision
constitutionnelle et la création de milices armées et de partis
monolithiques, tout cela financé par le pétrole de PDVSA [le
monopole public vénézuélien] et défendu et
promu par des cadres de sécurité cubains, avec l'encouragement
de politiques sociales erronées à long terme mais séductrices
à court terme, menées sur le terrain par des médecins,
enseignants et instructeurs cubains, appuyés, théoriquement
et de plus en plus pratiquement, par les armes russes fournies à Caracas". Colombie, FARC, Chavez et Interpol
"Dans ce schéma, le joyau de la couronne est la Colombie" prétend
Jorge Castañeda. Il croit que ce grand voisin du Venezuela est actuellement
l'objectif prioritaire des ambitions géo-politiques de la gauche bolivarienne.
Cette inquiétude pourrait rebondir au sein du sommet de Lima et le
compliquer. Car la veille même de la réunion des chefs d'Etat ou de gouvernement
des 60 pays de l'UE-ALC, les 16 et 17 mai, Interpol, l'internationale policière
regroupant 186 pays, devrait se prononcer sur l'authenticité des disques
durs des trois ordinateurs portables saisis le 1er mars dernier par l'armée
colombienne lors d'un raid au nord de l'Equateur contre un camp de la guérilla
marxiste des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie).
Les ordinateurs appartenaient au nº2 de cette guérilla,
Raul Reyes, tué pendant l'attaque. Déjà diffusés
partiellement par de nombreux médias internationaux, des messages
Internet contenus dans les ordinateurs dévoileraient notamment les
liens politiques, financiers et militaires unissant les FARC au président
vénézuélien Hugo Chavez. Leur utilisation politique
concertée d'otages de la guérilla, dont la Franco-Colombienne
Ingrid Betancourt, serait également révélée.
Selon ces messages, le président équatorien Rafael Correa et
son homologue nicaraguayen Daniel Ortega soutiendraient aussi les guérilleros
marxistes, qui veulent renverser le président conservateur colombien
Alvaro Uribe. En outre, dans des camps établis notamment au Venezuela,
les FARC initieraient au maniement d'armes et d'explosifs des candidats révolutionnaires
de divers pays latino-américains, dont le Mexique, le Brésil
et le Pérou. "Mensonges impérialistes" réplique Chavez.
Polémique entre Hugo Chavez et Angela Merkel
Le président vénézuélien Hugo Chavez s'en est
pris à la chancelière allemande Angela Merkel dans son émission
dominicale du 11 mai. Il a en outre suggéré qu'il pourrait
ne pas assister au sommet Union européenne - Amérique latine,
les 16 et 17 mai à Lima.
Réagissant à des critiques émises à son égard
par Mme Merkel, Hugo Chavez a déclaré que "l'Europe pourrait
comprendre ce qui se passe ici, mais la chancelière allemande a dit
hier : non, les gouvernements d'Amérique latine doivent prendre leurs
distances avec des gouvernements comme celui de Hugo Chavez. Eh bien, madame
la chancelière, allez... Je ne dirai rien de plus, parce que c'est
une dame."
Hugo Chavez est allé jusqu'à faire le rapprochement entre les
chrétiens-démocrates d'Angela Merkel et les anciens fascistes
et hitlériens. Se gardant de réagir directement, la chancelière
a réaffirmé par la voix de son porte-parole que le président
Chavez ne pouvait pas parler au nom de l'Amérique latine.
Le 10 mai, dans une interview à l'agence de presse allemande DPA,
Angela Merkel avait notamment estimé, à propos du Venezuela,
"qu'un pays ne peut pas à lui seul nuire de façon continue
aux relations entre l'Union européenne et l'Amérique latine.
Le président Chavez n'est pas le porte-parole de l'Amérique
latine. Chaque pays a sa propre voix".
Par ailleurs, de manière plus générale, le chef de l'Etat
vénézuélien a fustigé une Union européenne
qui promettrait beaucoup à chaque sommet, mais qui ferait peu pour
l'Amérique Latine et les Caraïbes.
(*) Análisis "Los mejores y peores días de América
Latina" - Jorge Castañeda, El País, Madrid, 07/05/2008.