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Trois morts et plus de 130 blessés
Bolivie : la Constitution d'Evo Morales naît "dans une caserne, sous les fusils et maculée de sang"

LA PAZ, lundi 26 novembre 2007 (LatinReporters.com) - Dans un climat insurrectionnel reflété par 3 morts et plus de 130 blessés, le texte global d'une nouvelle Constitution, qu'il faut encore débattre article par article avant ratification par référendum, a été approuvé samedi soir à Sucre par les seuls partisans du président amérindien Evo Morales. Ils délibéraient dans une caserne que des soldats et policiers en armes protégeaient contre des milliers de manifestants.

Capitale officielle mais non de fait de la Bolivie -présidence, Sénat et Chambre des députés siègent à La Paz- , la ville de Sucre, à 420 km au sud-est de La Paz à vol d'oiseau, abrite l'Assemblée constituante. Elue le 2 juillet 2006, elle n'avait pas adopté jusqu'au 24 novembre 2007 la moindre ligne de la nouvelle Charte fondamentale avec laquelle le président Morales prétend "refondre" la Bolivie, au profit surtout de la majorité amérindienne déshéritée. Le Mouvement vers le socialisme (MAS) d'Evo Morales est l'allié du socialisme bolivarien du président vénézuélien Hugo Chavez.

Le problème est que si le MAS présidentiel domine arithmétiquement l'Assemblée constituante avec 138 élus sur 255, il demeure loin de la majorité des deux tiers en principe nécessaire pour modifier la Constitution. Pendant seize mois, Evo Morales tenta de contourner cette barre des deux tiers, arguant de sa majorité tout de même absolue et d'un pouvoir "originaire", inconnu des textes légaux, qui affranchirait l'Assemblée constituante de toute contrainte.

Ces artifices non constitutionnels, ainsi que le socialisme du MAS, son goût pour les nationalisations et sa réticence au développement de l'autonomie régionale dans les départements qui l'ont plébiscitée, alors que les entités autochtones amérindiennes se voient en revanche promettre "la reconnaissance de leurs systèmes politiques et de conformation de leurs autorités", ces données et d'autres empêchent au sein de l'Assemblée constituante la collaboration avec une opposition au départ déjà peu coopérative. Celle-ci est dominée par le Podemos (Pouvoir démocratique et social) de l'ex-président conservateur Jorge Quiroga.

Parallèlement, les forces centrifuges ont pris une ampleur suffisante pour faire craindre la scission des quatre départements (la Bolivie en compte neuf) qui s'étaient prononcés par référendum, le 2 juillet 2006 également, en faveur de l'autonomie régionale. Ces départements de Pando, Beni, Santa Cruz et Tarija couvrent la moitié orientale de la Bolivie et détiennent l'essentiel des gisements d'hydrocarbures et de la production agricole.

Ce panorama inflammable a été incendié par la revendication de la ville de Sucre de redevenir la capitale nationale effective. Elle ne l'est plus que de nom depuis la brève guerre civile de 1899. Le refus d'Evo Morales d'inclure dans les débats constitutionnels la réinstallation éventuelle à Sucre du Parlement et de la présidence de la République a provoqué de multiples heurts et manifestations, au point que l'Assemblée constituante était empêchée de siéger depuis trois mois dans cette ville de 300.000 habitants.

Vendredi, c'est par surprise et hors de la ville, dans un centre militaire servant à la fois d'académie et de caserne, que les élus du MAS à la Constituante se réunissaient sous la protection de soldats, de policiers et de centaines de partisans du président Morales amenés en autobus de diverses régions du pays. Des milliers d'habitants de Sucre, dont de nombreux étudiants, ont littéralement assiégé la caserne armés de pierres, de pneus enflammés et de gros pétards, voire de dynamite.

Les affrontements se sont poursuivis dimanche malgré le départ des élus du MAS. Le bilan des heurts est de trois manifestants tués, dont deux par balles. On dénombre au moins 130 blessés. Des dizaines de véhicules et de locaux officiels, dont le siège local de la police routière, ont été endommagés ou pillés et parfois même incendiés.

Evo Morales exige une enquête et loue la nouvelle Constitution

Dans un message télévisé à la nation, le président Morales a accusé dimanche l'opposition de "rechercher l'affrontement et jusqu'à des morts pour convulsionner le pays". Il a attribué à des groupes de délinquants la violence que, selon lui, aurait prévue et encouragée le Podemos de Jorge Quiroga. Exigeant une enquête "urgente et impartiale" pour châtier les responsables des affrontements à Sucre, le chef de l'Etat a affirmé que son gouvernement n'avait pas ordonné l'usage d'armes à feu contre les manifestants. Il s'est dit certain que les Boliviens approuveront par référendum la nouvelle Constitution qui "cadenasse" la nationalisation des hydrocarbures et définit comme "droit humain" l'accès à l'eau, à l'énergie et aux télécommunications. Toujours selon Evo Morales, la nouvelle Charte permettra [comme au Venezuela; ndlr] la révocation conditionnelle des maires, des gouverneurs et même du chef de l'Etat.

Dans la caserne de Sucre, la nouvelle Constitution était approuvée samedi en l'absence de l'opposition par 136 membres de la Constituante, tous du MAS. Balayée donc la majorité légale des deux tiers, qui est de 170 sur 255 élus. Aucun contrôle réglementaire n'a entouré le vote à main levée, effectué après une lecture limitée aux titres des chapitres du projet de la Charte fondamentale.

L'ensemble de l'opposition nationale, les leaders de plusieurs départements, les associations patronales et les manifestants de Sucre ont aussitôt dénoncé cette Constitution "illégale", "maculée de sang", née en ignorant la moitié du pays "dans une caserne, sous les fusils". Et cela afin "qu'Evo Morales, le sang sur les mains, se perpétue au pouvoir en suivant le très mauvais exemple de Hugo Chavez" a prétendu Jorge Quiroga.

L'influent Comité civique de Santa Cruz, fer de lance des revendications d'autonomie dans ce département le plus riche du pays, affirme que "la Bolivie, la démocratie et l'autonomie sont en deuil". Il insiste sur son rejet de "la Constitution illégale". Le président de ce Comité civique, Branco Marinkovic, accuse Evo Morales de "rechercher la confrontation raciale et idéologique". Il s'en plaint dans une lettre adressée au secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, au secrétaire général de l'Organisation des Etats américains, José Miguel Insulza, et au nonce apostolique en Bolivie, Mgr Ivo Scapolo.

Le gouverneur du département central de Cochabamba, l'ex-capitaine de l'armée Manfred Reyes, prie le président Morales de soumettre à référendum son maintien à la tête du pays. Si l'on ajoute les départements de Cochabamba et de Chuquisaca (dont Sucre est le chef-lieu) aux quatre dans lesquels l'autonomie avait été plébiscitée le 2 juillet 2006, il ne reste que trois départements sur neuf où le projet de socialisme autochtone d'Evo Morales ne doit pas affronter peu ou prou un défi existentiel.

Les "ponchos rouges", milice de choc de l'ethnie aymara du président, ont égorgé deux chiens pour signifier qu'une possible guerre civile ne les prendrait pas de court. Plusieurs ambassades dressent les plans d'une éventuelle évacuation d'urgence de leurs ressortissants.

Le 14 octobre dernier, lors d'une visite à Cuba, le président vénézuélien Hugo Chavez avertissait que le Venezuela ne resterait pas "les bras croisés" si "l'oligarchie" bolivienne tentait de renverser ou d'assassiner Evo Morales. "Ce serait alors le Vietnam non des idées ni de la Constituante, mais celui des mitrailleuses et de la guerre" menaçait Chavez.




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