Mesure sociale emblématique avant plusieurs référendums
Bolivie : Evo Morales verse une Rente Dignité aux plus de 60 ans
LA PAZ, jeudi 31 janvier 2008 (LatinReporters.com) -
A la seule condition de résider dans leur pays, tous les Boliviens
et Boliviennes de plus de 60 ans ont désormais droit à une
rente viagère de vieillesse appelée Rente Dignité. L'entrée
en vigueur, le 1er février, de cette mesure sociale emblématique
du président socialiste Evo Morales ne réduit pas les tensions
entre la Bolivie andine, essentiellement amérindienne, et la Bolivie
orientale riche en hydrocarbures.
Le ministre de la Présidence, Juan Ramon Quintana, et celui des Finances,
Luis Alberto Arce, ont indiqué que 676.009 Boliviens [7,5% des 9 millions
d'habitants; ndlr] ayant franchi le cap de la soixantaine peuvent percevoir la Rente Dignité
dans 582 entités financières et 39 postes militaires du pays.
Ce dispositif et le paiement risquent actuellement d'être perturbés
par les inondations, dues aux pluies torrentielles, qui ont fait 44 morts
et 4 disparus et affecté depuis le mois de novembre 32.000 familles
[soit plus de 130.000 personnes; ndlr] de 118 municipalités selon le bilan dressé mercredi
soir par le vice-ministre de la Défense civile, Hernan Tuco Ayma.
Les Boliviens de plus de 60 ans ne disposant
d'aucun revenu régulier connu -ils sont majoritaires- recevront annuellement
2.400 bolivianos (216 euros), divisibles en tranches mensuelles de 200 bolivianos
(18 euros). Pour ceux jouissant déjà d'une retraite ou d'un
autre revenu fixe, la Rente Dignité sera de 1.800 bolivianos annuels
(162 euros) ou 150 bolivianos (13,5 euros) par mois.
Rente dérisoire? Peut-être, mais en Bolivie, pays le plus pauvre d'Amérique
du Sud, le produit intérieur brut (PIB) par habitant n'est que de
1.200 dollars par an (chiffre de 2006), soit 67 euros par mois et nettement
moins pour les plus défavorisés.
En principe, pauvres et riches sans distinction bénéficieront
de cette rente de vieillesse. Outre soulager les plus démunis, il
s'agirait aussi d'honorer le troisième âge, conformément
aux articles 67, 68 et 69 du projet de nouvelle Constitution qui va être
soumis à référendum.
Pour les bénéficiaires actuels
de la Rente Dignité, le gouvernement prévoit un déboursement
annuel de 1.677.197.178 bolivianos (153 millions d'euros). Selon l'agence
officielle de presse ABI (Agencia Boliviana de Información), les préfectures
départementales et les municipalités apporteraient un peu
plus de la moitié de ce montant.
Le financement de la Rente Dignité oppose depuis plusieurs semaines
le gouvernement central aux autorités de départements, en particulier
ceux de Pando, Beni, Santa Cruz et Tarija, dans l'orient du pays. Ces quatre
départements (la Bolivie en compte neuf) détiennent la richesse
agricole et les gisements d'hydrocarbures, essentiellement de gaz. Or, le
président amérindien Evo Morales veut financer la nouvelle
rente en ponctionnant l'impôt direct sur les hydrocarbures qui alimente
les budgets départementaux.
Votée fin novembre à La Paz par les élus du MAS (Mouvement
vers le socialisme, parti présidentiel) en l'absence de l'opposition
empêchée d'accéder au Parlement par une foule de sympathisants
d'Evo Morales, la Rente Dignité a ainsi grossi, moins sur le fond
que par la procédure entourant son approbation et son financement,
le lourd contentieux qui oppose en Bolivie le gouvernement aux forces centrifuges
des départements orientaux et à l'opposition menée par
le parti Podemos de l'ex-président conservateur Jorge Quiroga.
L'axe essentiel des affrontements politiques, parfois violents, est le
projet de nouvelle Constitution, né également fin novembre
en l'absence de l'opposition dans une caserne de la ville de Sucre protégée
par des soldats en armes, puis peaufiné en décembre dans la
ville d'Oruro. Le projet sera soumis à référendum, à une date encore indéterminée, sans avoir réuni la majorité parlementaire
légale des deux tiers en matière de révision ou d'élaboration
de la Charte suprême.
Trois référendums... ou plus en 2008?
L'unité nationale, l'autonomie revendiquée par les départements
de Pando, Beni, Santa Cruz et Tarija, le rôle de l'Etat dans l'économie,
le respect de la propriété publique et privée, le pouvoir
politico-administratif et l'autonomie judiciaire des peuples originaires,
les liens officiels étroits avec le Venezuela de Hugo Chavez, l'ampleur
et le rythme des bouleversements sociaux, dont la Rente Dignité n'est
qu'un élément, toutes ces questions alimentent un débat
global et permanent que des campagnes référendaires vont amplifier.
2008 sera en Bolivie l'année référendaire par excellence.
Le référendum sur la nouvelle Constitution sera précédé
ou suivi d'un autre sur l'étendue maximale des grands domaines ruraux
(latifundia). Le critère plébiscité sera coulé
dans la Constitution. En outre, la situation politique conflictuelle incite
le président Evo Morales, élu à la majorité
absolue en décembre 2005, à soumettre au oui ou non référendaires,
comme le Vénézuélien Hugo Chavez en 2004, son maintien
à la tête de l'Etat. Ce troisième référendum
sous forme de roulette russe viserait aussi la continuité des préfets
des neuf départements. Enfin, les départements de Pando,
Beni, Santa Cruz et Tarija, qui seront peut-être imités par
celui de Chuquisaca, prétendent eux aussi recourir à la consultation
populaire pour valider des statuts d'autonomie régionale élaborés
hors des sentiers constitutionnels.
Donc, ambiance assurée ces prochains mois sur l'Altiplano. Pour l'heure,
l'avènement de la Rente Dignité permet au gouvernement d'Evo
Morales de saluer "une mesure de caractère historique qui cherche
à réparer l'injustice à laquelle ont été
soumis de nombreux secteurs de travailleurs boliviens -employées de
maison, chauffeurs de taxi, ménagères, mineurs, artisans, paysans,
travailleurs autonomes- qui soutiennent la patrie au jour le jour sans rien
attendre en échange lorsqu'ils atteignent la vieillesse".
La Rente Dignité, poursuit la prose gouvernementale diffusée
notamment par l'agence ABI, "est le résultat concret de la nationalisation
de nos ressources naturelles. Des ressources qui arrivent maintenant directement
aux mains de gens qui en ont le plus besoin".