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Sur une île du Chili, la véritable histoire de Robinson Crusoé

MADRID, mercredi 5 juillet 2006 (LatinReporters.com) - "Robinson Crusoé n'éveille-t-il pas, en tout un chacun, le désir d'une île pour soi tout seul?" s'interroge le journaliste-écrivain Ricardo Uztarroz (*). "L'île déserte est un songe, celui d'une promesse de liberté nue" écrit-il pour nous rappeler à la fois que l'île Robinson Crusoé, c'est son nom officiel, est une réalité au large du Chili.

A 667 km à l'ouest de Valparaiso, dans l'océan Pacifique, 642 habitants vivent actuellement sur les 27 km de long et 7 km de large de cette forteresse rocheuse que l'empire espagnol appelait Mas a Tierra.

Sur ce territoire chilien, on ne cesse d'attendre: le retour des pêcheurs, l'arrivée du navire ravitailleur, le parent parti se faire soigner sur le continent, le bateau qui ramène au temps des vacances les enfants scolarisés dans les pensionnats chiliens. "On attend toujours le lendemain dans une sorte de solitude collective" témoigne Ricardo Uztarroz, comme si une communauté entière restait frappée par l'esprit de Robinson.

Aux premiers jours d'octobre 1704, un corsaire écossais, Alexander Selkirk, forte tête et excellent marin, se querelle avec son capitaine, jeune lord arrogant et incompétent, alors qu'ils font escale dans l'île alors déserte de Mas a Tierra. Convaincu qu'un autre navire ne tardera pas à le recueillir, Selkirk demande qu'on le débarque. Erreur fatidique: il restera dans l'île quatre ans et quatre mois.

Le 2 février 1709, le capitaine anglais Woodes Rogers et son équipage relâchent à Mas a Tierra après d'interminables mois en mer. L'île regorge d'eau fraîche, de poissons, de chèvres, de légumes sauvages et d'otaries. Surgit alors une créature mi-homme, mi-animal, avec une barbe longue jusqu'à la poitrine et vêtue de peaux de chèvres mal tannées et puantes. Alexander Selkirk, il s'agit bien sûr de lui, est sauvé. Le mythe de Robinson Crusoé vient de naître.

Car dix ans plus tard, lorsque Daniel Defoe écrit son désormais universel Robinson Crusoé, paru originellement sous le titre "The Life and Strange Surprising Adventures of Robinson Crusoe of York, Mariner", c'est Alexander Selkirk qui lui sert de modèle pour affabuler. Le capitaine Rogers a déjà publié sa relation de la longue solitude du corsaire écossais, dont la mésaventure est en conséquence célèbre en Angleterre.

Mais la solitude est la seule similitude entre Selkirk et Crusoé. Tandis que Robinson réinvente la société grâce à la "providence", sur la base des préceptes de l'éthique protestante, Selkirk, lui, est peu à peu réduit à l'état d'animal. Son séjour sur Mas a Tierra est en rupture totale avec celui du Robinson imaginé par le flibustier de la plume qu'était Daniel Defoe.

Rebaptisée officiellement "île Robinson Crusoé" en 1966, Mas a Tierra, autrefois mêlée à la lutte planétaire entre les flottes espagnole et anglaise, a hébergé au fil du temps nombre de marins abandonnés. Avec l'indépendance du Chili, elle deviendra la Bastille du Pacifique.

La télévision y est arrivée en 1986. Le téléphone en 1993. Vivant de la pêche à la langouste, les 642 habitants sont regroupés à San Juan Bautista. Ce village, l'unique de l'île, n'a qu'un seul panneau de signalisation. Il limite à 30 km/h la vitesse d'une dizaine de vieilles camionnettes destinées au transport des charges lourdes. Hors du hameau, aucune route. Les actuels Robinson n'en souhaitent pas.



(*) "La véritable histoire de Robinson Crusoé et l'île des marins abandonnés". Etude historique et contemporaine de Ricardo Uztarroz. Editions Arthaud. Collection l'esprit d'aventure. 276 pages, 20 euros.

Journaliste à Libération puis à l'Agence France Presse (AFP) durant 25 ans et longtemps en poste au Brésil et au Pérou, Ricardo Uztarroz a couvert de nombreux conflits et événements politiques, en Roumanie, au Rwanda, en Colombie, en Algérie, au Salvador ou encore lors de la première guerre du Golfe. Il a co-dirigé le hors-série d'Autrement "Amazonie: la foire d'empoigne".




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