Colombie: moins de manifestants contre les paramilitaires que contre la guérilla des FARC
BOGOTA, vendredi 7 mars 2008 (LatinReporters.com) -
Des dizaines de milliers de manifestants ont rendu hommage le 6 mars dans de
nombreuses villes de Colombie aux victimes des paramilitaires et aux personnes
déplacées par le conflit intérieur. Le 4 février
dernier, ils étaient des millions à défiler contre le
terrorisme de la guérilla marxiste des FARC (Forces armées
révolutionnaires de Colombie), principal adversaire des paramilitaires
aujourd'hui théoriquement démobilisés.
Les "oubliés" victimes de l'extrême droite colombienne
ont également été honorés dans des capitales
étrangères -notamment Paris, Madrid, Washington, Londres, Caracas,
Quito, Buenos Aires- par des groupes comprenant entre quelques dizaines et
quelques centaines de manifestants, les 4.000 de Buenos Aires étant
l'exception. Le 4 février, à l'étranger, ils étaient
aussi globalement plus nombreux contre les FARC.
Convoquées par le Mouvement national des victimes de crimes d'Etat
sous le slogan "Pour les disparus, pour les déplacés, pour
les massacrés, pour les exécutés", les manifestations
du 6 mars étaient appuyées par le principal parti de la gauche
colombienne, le Pôle Démocratique Alternatif (PDA), auquel appartient
le maire de Bogota, Samuel Moreno. Le Parti Libéral (centre), diverses
ONG (organisations non gouvernementales) et l'extrême gauche tant légale
que clandestine, y compris les mouvements et sites Internet proches de la
guérilla, avaient aussi appelé à manifester.
Ivan Cepeda, porte-parole du mouvement organisateur et fils d'un dirigeant
communiste assassiné en 1994, prétend n'avoir pas cherché
à répondre à la mobilisation gigantesque du 4 février
contre les FARC. Il s'agissait plutôt, selon lui, de raviver le souvenir
de victimes qui ont alors été oubliées et d'aboutir
à la condamnation de toutes les formes de terrorisme. Mais de nombreux
observateurs et les publications digitales liées à la guérilla
ont voulu y voir une réplique aux manifestations du 4 février,
dont l'ampleur demeure historique.
"Entre 1982 et 2005, les paramilitaires ont perpétré plus
de 3.500 massacres et volé plus de six millions d'hectares de terre.
Depuis 2002, après leur démobilisation, ils ont assassiné
600 personnes chaque année et sont parvenus à contrôler
35 pour cent du Congrès [Parlement]" a affirmé le mouvement
des victimes.
Le PDA estime pour sa part que la mobilisation du 6 mars "a rendu hommage
à 4 millions de déplacés, 15.000 disparus et 3.000 personnes
assassinées et enterrées dans des fosses communes. On a aussi
honoré la mémoire de 1.700 indigènes, 2.550 syndicalistes
et près de 5.000 membres de l'Union Patriotique [expression politique
des FARC dans les années 1980; ndlr] assassinés au cours
des dernières décennies".
Aussi, comment expliquer la répulsion collective nettement plus puissante
le 4 février contre les FARC que celle du 6 mars contre les "crimes
d'Etat" des paramilitaires que soutenaient certains secteurs de l'armée?
Le très populaire président conservateur Alvaro Uribe, l'appareil
de l'Etat et les grands médias publics et privés avaient appelé
à la mobilisation contre la guérilla. Ils ont été
beaucoup plus discrets avant les manifestations du 6 mars, que le gouvernement
avait même condamnées moralement en accusant les organisateurs
de servir les intérêts des terroristes des FARC.
Mais au-delà de cette différence promotionnelle, il est clair
que les marxistes des FARC et dans une moindre mesure les guévaristes
de la seconde guérilla, l'ELN (Armée de libération nationale),
incarnent davantage que les paramilitaires l'horreur du terrorisme aux yeux
de la majorité des Colombiens. Créés dans les années
1980, les groupes paramilitaires, dont la plupart se fédérèrent
au sein des Autodéfenses Unies de Colombie (AUC), ont souvent été
perçus comme une conséquence logique de l'incapacité
du pouvoir à combattre efficacement les enlèvements, les extorsions
et les massacres perpétrés par des guérillas d'extrême
gauche nées vingt ans plus tôt pendant la guerre froide.
En outre, plus de trente mille paramilitaires ont rendu leurs armes. Les
AUC sont en principe aujourd'hui dissoutes. Leur résurrection partielle
et localisée est combattue. Une
inflexible politique dite de "sécurité démocratique",
renforcée par l'aide militaire américaine, fait reculer la
guérilla et porte aux nues la popularité du président
Uribe. Ses adversaires l'accusent d'anciennes complicités familiales
avec les AUC et soulignent que 22 parlementaires de partis soutenant le président
sont aujourd'hui en prison préventive pour liens supposés avec
les paramilitaires. Mais c'est précisément le processus judiciaire
et de réinsertion ouvert par Alvaro Uribe lui même qui a permis
ces incarcérations. Et lorsqu'on l'accuse de clémence excessive,
les pires crimes avoués par les paramilitaires n'étant passibles
que d'un maximum de huit ans de prison, le président réplique
que les mêmes mesures s'appliqueront aux terroristes des FARC et de
l'ELN qui déposeraient les armes.
Enfin, une large union sacrée nationale soutient le président
colombien dans la crise diplomatique qui l'oppose au Venezuela, à
l'Equateur et au Nicaragua après l'attaque par l'armée colombienne
d'un camp des FARC en territoire équatorien. Dans cette attaque lancée
le 1er mars, une vingtaine de guérilleros ont été abattus,
dont Raul Reyes, numéro deux des FARC. Compliquée par des mouvements
de troupes équatoriennes et vénézuéliennes aux
frontières de la Colombie, la crise diplomatique est régionale
et son issue reste incertaine. Nombre de Colombiens qui comptaient manifester
le 6 mars s'en seront probablement abstenus pour ne pas faire en ce moment
le jeu des ennemis extérieurs du pays.
L'essentiel est que les victimes du terrorisme d'extrême droite et en particulier paramilitaire ont
tout de même été honorées par des dizaines de milliers de Colombiens.
A Bogota, la symbolique Plaza de Bolivar était pleine.