Retour / Back- Clara Rojas et Consuelo Gonzalez offertes par les FARC à Hugo Chavez - 774 otages toujours séquestrés par la guérilla marxiste Colombie - otages : Clara et Consuelo libérées. Pour Ingrid Betancourt, faudra-t-il démilitariser?
BOGOTA / CARACAS, vendredi 11 janvier 2008
(LatinReporters.com) -
Libérées? Certes. Mais, le 10 janvier, les Colombiennes
Clara Rojas et Consuelo Gonzalez de Perdomo ont aussi été offertes sur
le marché médiatico-politique par les guérilleros marxistes des FARC
(Forces armées révolutionnaires de Colombie) à leur
allié Hugo Chavez, président du Venezuela, pour améliorer
sa santé politique. Le groupe terroriste détient encore 774
otages, dont la Franco-Colombienne Ingrid Betancourt. Leur libération
doit-elle passer par la démilitarisation territoriale exigée
par les FARC?
Humainement, l'événement est considérable. Clara Rojas,
avocate de 44 ans, était séquestrée depuis le 23 février
2002 et l'ex-parlementaire Consuelo Gonzalez, 57 ans, depuis le
10 septembre 2001. "Bienvenues à la vie" leur a dit Hugo Chavez par
téléphone satellitaire avant que les deux otages, amenées
par des guérilleros dans une clairière de la jungle du département
colombien du Guaviare, ne montent dans deux hélicoptères vénézuéliens frappés de l'emblème de la Croix-Rouge internationale. TeleSur, créée par Chavez pour contrer l'américaine CNN, retransmettait en direct.
Appuyant l'opération humanitaire, Alvaro Uribe, président
conservateur de la Colombie, avait ordonné à son armée
de suspendre les combats. Jeudi après-midi, les deux femmes arrivaient
au Venezuela. Elles retrouvaient avec émotion leurs proches sur l'aéroport de Caracas, toujours sous l'oeil de TeleSur. Hugo Chavez les recevait ensuite au palais présidentiel de Miraflores.
Clara Rojas est doublement célèbre. D'abord pour avoir été
enlevée avec Ingrid Betancourt. Lorsqu'elles furent kidnappées
en 2002 sur une route du sud colombien, les deux femmes étaient en
campagne électorale pour l'élection présidentielle. Candidates
du parti écologiste Oxigeno Verde (Oxygène
Vert), Ingrid briguait la présidence du pays et Clara la vice-présidence.
Clara Rojas est en outre la mère du petit Emmanuel, conçu en
captivité avec un guérillero.
Fin décembre dernier, l'ex-président argentin Nestor Kirchner et les
autres membres d'une délégation internationale de sept pays
(Argentine, Bolivie, Brésil, Cuba, Equateur, France, Suisse) devaient
déjà, en collaboration avec la Colombie et le Venezuela, avaliser
et garantir la libération par les FARC de Consuelo Gonzalez, Clara
Rojas et son fils Emmanuel. La guérilla offrait cette libération
en guise de "réparation morale" ("desagravio") à Hugo Chavez.
Le président vénézuélien venait en effet de
subir une série de revers médiatiques et politiques. Le désormais
célèbre "Pourquoi tu ne te tais pas?", devenu slogan vedette
de l'opposition vénézuélienne, lui était lancé
le 10 novembre par le roi Juan Carlos d'Espagne au sommet ibéro-américain
de Santiago du Chili. Onze jours plus tard, Hugo Chavez, furieux, était
sèchement révoqué par le président colombien
de son mandat officiel de médiateur avec les FARC. Enfin et surtout,
le bouillant vénézuélien subissait sa première
défaite électorale en neuf ans de pouvoir, au référendum
du 2 décembre sur son projet de réforme socialiste de la Constitution.
Cet échec l'empêchera théoriquement de briguer un nouveau
mandat à l'élection présidentielle de décembre
2012.
Clara Rojas: "Je suis en vie pour Emmanuel"
Le 31 décembre, la guérilla annulait la triple libération
attendue sous prétexte d'attaques de l'armée colombienne. Le
président Alvaro Uribe révélait alors la véritable
raison de ce fiasco: la guérilla n'avait plus en son pouvoir le petit
Emmanuel, pris en charge à Bogota par l'Institut colombien du bien-être
familial après divers rebondissements illustrant à la fois
la cruauté et la désorganisation des FARC.
"Je suis en vie pour Emmanuel et pour la très Sainte Vierge qui nous
a protégés" a déclaré Clara Rojas aux côtés
de sa mère qui l'accueillait jeudi à Caracas. Clara est pressée
de revoir enfin son fils pour la première fois depuis que les FARC
le lui ont arraché lorsqu'il avait à peine huit mois. Il a aujourd'hui trois ans et demi. Elle
n'a aucune nouvelle du guérillero qui est le père de l'enfant.
Clara Rojas a aussi précisé que ses geôliers l'avaient
séparée d'Ingrid Betancourt il y a trois ans après plus
de deux ans de détention commune. "Ingrid avait fait un petit vêtement
pour l'enfant" révèle-t-elle.
Les deux otages libérées vont incessamment
regagner la Colombie, mais les dividendes politico-médiatiques sont
engrangés au Venezuela. Hugo Chavez est applaudi par Clara Rojas,
Consuelo Gonzalez et leur famille, ainsi que par la communauté internationale,
dont l'Union européenne, l'Organisation des Etats américains,
la France et même les Etats-Unis. "Cela
nous engage à redoubler d'efforts pour faire rentrer les autres otages,
au premier rang desquels notre compatriote Ingrid Betancourt" a déclaré
le président français Nicolas Sarkozy. "Nous saluons les bons
offices de quiconque puisse contribuer [à assurer la libération
d'otages] en collaboration avec le gouvernement colombien" a indiqué
pour sa part à Washington Tom Casey, l'un des porte-parole du département
d'Etat. Trois Américains sont otages des FARC depuis février
2003.
Deux réactions, celles d'Amnesty International et du secrétaire
général des Nations unies, Ban Ki-moon, ont la dignité
de rappeler aux FARC que la prise d'otages est "une violation flagrante du
droit humanitaire international". "Elle peut constituer un crime de guerre"
précise Amnesty, qui réclame la libération sans condition
de tous les civils séquestrés.
En Colombie, le président Alvaro Uribe a lui aussi remercié
Hugo Chavez d'avoir contribué "avec efficacité" à
la libération des deux femmes. Après avoir souligné
que "750 compatriotes séquestrés par les FARC ne sont pas revenus"
(774 selon le décompte de l'influent quotidien de Bogota
El Tiempo), le chef de l'Etat colombien a affirmé que son gouvernement
"est prêt pour la paix" et qu'est toujours valable sa proposition d'une "zone de rencontre"
faite à la guérilla sur la base d'une idée de l'épiscopat colombien.
La démilitarisation exigée par les FARC est unilatérale
Pour aboutir à un échange humanitaire d'une quarantaine d'otages
dits politiques des FARC, dont Ingrid Betancourt, contre les quelque 500
guérilleros emprisonnés, Alvaro Uribe proposait le 7 décembre
dernier à la guérilla de définir avec l'Eglise une "zone
de rencontre" d'un maximum de 150 km². "De préférence sans
population civile ou avec une population très réduite", sans
installations policières ni militaires, cette zone accueillerait des
négociateurs non armés des deux camps qui auraient trente jours
pour concrétiser l'accord humanitaire en présence d'observateurs
internationaux.
Les FARC ont rejeté cette "zone de rencontre" et réitéré
leur exigence d'une démilitarisation pendant 45 jours des municipalités
de Florida et Pradera pour y négocier l'échange humanitaire.
Florida et Pradera, dans le sud-ouest colombien, s'étendent sur 800
km². Elles comptent ensemble plus de 110.000 habitants et abritent
des postes de l'armée et de la police. En outre, la démilitarisation
envisagée par les FARC est unilatérale, ne devant concerner,
selon les rebelles, que les policiers et militaires, mais non les guérilleros.
Une importante population se retrouverait donc à la merci des seuls
insurgés.
Le ministre colombien de la Défense, Juan Manuel Santos, estime que
la libération de Clara Rojas et Consuelo Gonzalez "démontre
qu'aucune démilitarisation n'est nécessaire pour libérer
les séquestrés. Il suffit seulement de bonne volonté".
Sans le vouloir, le président vénézuélien Hugo
Chavez lui donne implicitement raison lorsqu'il s'offre pour tenter de réaliser
d'autres opérations du même type et, au-delà, d'apparaître
comme un pacificateur régional en tentant de trouver une solution
au conflit colombien vieux de plus de 40 ans. Le président Chavez
incite même les FARC à envisager d'abandonner les armes pour
un combat de gauche strictement politique.
Le gouvernement d'Alvaro Uribe soupçonne que la guérilla,
en réclamant l'échange humanitaire lié à une
démilitarisation unilatérale, cherche moins à obtenir
la libération de guérilleros prisonniers que des avantages
stratégiques. Florida et Pradera ne sont qu'à 30 km de Cali,
troisième ville de Colombie avec plus de deux millions d'habitants.
Laisser les FARC concentrer des forces pendant 45 jours au portes de cette
ville risque de la mettre en danger. Le port le plus important de la côte
pacifique de la Colombie, Buenaventura, n'est qu'à 145 km de Cali.
Il traite 60% des exportations colombiennes et est un poumon essentiel de
l'approvisionnement de Bogota.