RetourEspagne - ETA : Zapatero cède au chantage du terroriste De Juana Chaos
par Christian Galloy
Analyste politique, directeur de LatinReporters
MADRID, vendredi 2 mars 2007 (LatinReporters.com) - L'image de
l'un des pires criminels depuis le retour de l'Espagne à la démocratie,
l'indépendantiste basque Ignacio De Juana Chaos, assassin de 25 Espagnols
au nom de l'ETA, est désormais durablement liée à
l'image du socialiste José Luis Rodriguez Zapatero, président
du gouvernement. Zapatero a libéré ou presque De Juana Chaos.
Il a suffi d'une grève de la faim de 114 jours pour que la démocratie
espagnole cède pour la première fois à un chantage
politique. Deux autres chefs de gouvernement de la démocratie postfranquiste,
le centriste Leopoldo Calvo Sotelo en 1981 et le socialiste Felipe Gonzalez
en 1990, refusèrent, eux, de s'agenouiller devant des terroristes.
Deux membres des GRAPO (Groupes de résistance antifasciste du premier
octobre) succombèrent alors à leur grève de la faim
sans être élargis.
Dans les prisons du Royaume-Uni gouverné à l'époque
par Margaret Thatcher, en 1981, une grève politique de la faim fut
fatale à Bobby Sands et à neuf autres terroristes de l'Armée
républicaine irlandaise (IRA).
Déjà alerté par la permissivité espagnole
en matière d'immigration et les risques qu'elle fait courir à
d'autres pays de l'Union européenne, le ministre français de
l'Intérieur Nicolas Sarkozy, actuel favori de la course à l'Elysée,
s'inquiétait le 27 février dernier, dans une interview au
journal madrilène El Mundo, du processus dit de paix que José
Luis Rodriguez Zapatero voudrait renouer (pour autant qu'il soit réellement
interrompu) avec l'ETA en dépit de l'attentat du 30 décembre
contre l'aéroport de Madrid.
"La question, prévenait Nicolas Sarkozy, n'est pas de savoir
si on peut parler avec les terroristes, mais comment on peut le faire en
demeurant fidèle aux valeurs et aux idéaux, sans troquer
la tranquillité contre l'impunité ni la sécurité
contre la justice".
Il est probable qu'en Europe et dans le monde occidental de nombreux
chefs de gouvernement souscrivent à ce respect de valeurs que la droite espagnole,
pas nécessairement la mieux placée pour faire la leçon,
reproche à M. Rodriguez Zapatero d'ignorer.
Transféré le 1er mars d'un hôpital madrilène
à un autre de Saint-Sébastien, au Pays basque, Ignacio De
Juana Chaos jouira d'un régime de semi-liberté à domicile
dès que son état de santé le permettra. Il a perdu
30 kilos, mais sa grève de la faim victorieuse est terminée.
Des groupes de Basques ont reçu en héros le criminel amaigri, comme si chaque
frange de la société méritait ses propres symboles.
Même les nationalistes modérés qui contrôlent l'exécutif
régional ont applaudi.
Ex-chef du commando Madrid de l'ETA, incarcéré en 1987,
De Juana Chaos a purgé sa condamnation à 3.000 ans de prison
(sic!... mais réduite à 18) pour attentats terroristes d'un bilan de 25
morts et plus de 50 blessés. Mais il devait théoriquement
rester derrière les barreaux jusqu'en août 2008 en vertu d'une
seconde condamnation pour menaces contre juges et gardiens de prison dans
un article écrit en captivité et publié par la presse
indépendantiste basque.
Annonçant le 1er mars la semi-liberté octroyée
au terroriste, le ministre espagnol de l'Intérieur, le socialiste
Alfredo Perez Rubalcaba, la justifiait par le souci "d'éviter son
décès". Se déclarant "parfaitement conscient" que de
nombreux citoyens pourraient penser que De Juana Chaos ne mérite
pas la clémence qu'il a refusée à ses victimes, le
ministre a souligné que "la différence entre les terroristes
et nous qui ne le sommes pas est que la vie nous importe"...
Argumentation paradoxale dans la bouche d'un homme, Rubalcaba, qui, porte-parole
d'un précédent gouvernement socialiste apparemment moins humaniste,
épaississait alors le brouillard autour des escadrons de la mort des
GAL (Groupes antiterroristes de libération, responsables de 28 assassinats)
organisés par le pouvoir contre l'ETA. En outre, presqu'au même
moment où le ministre de l'Intérieur se prévalait du
respect de la vie, le gouvernement régional andalou,
socialiste aussi, autorisait le débranchement de l'assistance respiratoire
maintenant en vie, à Grenade, une Espagnole atteinte de dystrophie
musculaire. (L'euthanasie sera au programme de la prochaine législature
si José Luis Rodriguez Zapatero est réélu en 2008).
Sous le titre "Le moindre mal", l'éditorialiste de l'influent
journal pro-socialiste El Pais reconnaît que la semi-liberté
octroyée à De Juana Chaos "est une décision très
impopulaire", d'autant plus qu'il s'agit d'un "prisonnier responsable de
25 morts et auteur de commentaires répugnants sur le plaisir que
lui procuraient certains crimes de l'ETA".
"Néanmoins, poursuit El Pais, ceux qui critiquent la solution
adoptée auraient peut-être critiqué aussi celle passant
par la mort du prisonnier en prison".
Proche, lui, du Parti Populaire (PP, opposition conservatrice), le quotidien
de centre droit El Mundo estime que "pour la première fois", un gouvernement
espagnol, celui de M. Rodriguez Zapatero, s'est "plié au chantage"
d'un terroriste de l'ETA. L'éditorialiste croit que pareille "humiliation"
ne peut pas être reprochée au gouvernement conservateur précédent,
présidé par José Maria Aznar, qui ne subissait aucune
contrainte lorsqu'il adoptait "librement" des mesures de clémence,
rappelées aujourd'hui par les socialistes, en faveur de prisonniers
de l'organisation séparatiste basque.
"L'ETA a réussi à faire plier le gouvernement de l'Espagne
grâce à la faiblesse de M. Rodriguez Zapatero... C'est un jour
triste pour de nombreux Espagnols" clame le président du PP, Mariano
Rajoy. Selon le secrétaire général du même parti
conservateur, l'ex-ministre de l'Intérieur Angel Acebes, le président
du gouvernement "avait besoin d'élargir De Juana pour sauver le
processus de négociation avec l'ETA".
"La mise en liberté de De Juana suppose l'une des plus grandes
trahisons aux victimes et à la société" indique un
communiqué de l'omniprésente Association des victimes du terrorisme.
Le 24 février dernier, elle réunissait plus de 70.000 manifestants
à Madrid pour s'opposer spécifiquement à toute clémence
à l'égard du terroriste en grève de la faim.
Même les forces de l'ordre grognent ouvertement. "C'est une honte!"
lance le porte-parole de la Confédération espagnole des policiers,
Rodrigo Gavilan. Il affirme que "le gouvernement veut continuer à
négocier avec l'ETA... Nous sommes en face d'un gouvernement faible
qui tourne le dos aux forces et aux corps de sécurité, aux
victimes et à l'Etat de droit".