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L'Eglise devra ouvrir les registres des décès des 22.827 paroisses Espagne: recensement massif de disparus sous le franquisme ordonné par le juge Garzon MADRID, mardi 2 septembre 2008 (LatinReporters.com) - Près de trois quarts de siècle après le drame collectif de la guerre civile (1936-1939) et l'avènement de la dictature du général Franco (1939-1975), un premier recensement national de milliers de disparus sous le franquisme sera peut-être établi si prospère l'enquête, gigantesque et polémique, lancée en Espagne par le juge d'instruction Baltasar Garzon. Mondialement célèbre pour être, au nom de la justice universelle, le persécuteur d'ex-dictateurs et tortionnaires latino-américains, dont feu le général Pinochet, Baltasar Garzon a requis le 1er septembre de l'Eglise, des mairies de Madrid, Cordoue, Séville et Grenade, de l'université de cette dernière ville, ainsi que d'organismes relevant de divers ministères, l'identification des disparus et des morts enterrés dans des fosses communes à partir du 17 juillet 1936, veille du soulèvement franquiste contre la République. "Cela fait 70 ans que nous attendons, et maintenant nous avons un espoir, c'est l'Audience nationale", déclare Manuel Perona, président de l'Association pour la mémoire historique de Catalogne. Cette décision est "émouvante et historique" clame pour sa part Emilio Silva, président de la principale organisation de victimes du franquisme, l'Association pour la récupération de la mémoire historique (ARMH). Diverses associations s'accordent à estimer à quelque 30.000 le nombre de disparus lors de la guerre civile (qui fit, elle, des centaines de milliers de morts) et d'une dictature qui se prolongea jusqu'en 1975. Selon l'acte du juge Garzon, la Conférence épiscopale devra permettre aux enquêteurs l'accès aux registres des décès des 22.827 paroisses espagnoles. L'abbaye du Valle de los Caidos, à 50 km au nord-ouest de Madrid, devra fournir "l'information opportune" sur les milliers de personnes, théoriquement des combattants des deux camps de la guerre civile, enterrées dans ce site grandiose taillé dans la roche par des prisonniers républicains pour servir de tombe pharaonique à Franco. Baltasar Garzon dit vouloir déterminer à partir des résultats de cette colossale enquête "préalable" si sa juridiction, le tribunal de l'Audience nationale, est compétente pour traiter les actions ouvertes par 13 associations, un syndicat et divers particuliers pour contraindre les pouvoirs publics à rechercher les restes de républicains fusillés et disparus. Paradoxalement et probablement à dessein, le vaste recensement "préalable" exigé par le célèbre magistrat donne pleine satisfaction à la requête des plaignants avant même que ne soit déterminée la compétence du tribunal. Cette pirouette confirme la ténacité du juge Garzon à poursuivre les crimes contre l'humanité, mais elle se heurte déjà à une résistance juridique qui renforce des réticences sociales et politiques. L'Audience nationale à laquelle appartient Baltasar Garzon est l'instance à laquelle la loi espagnole reconnaît une compétence tant nationale qu'universelle pour poursuivre des crimes contre l'humanité. Mais au sein même de l'Audience nationale, le ministère public nie cette compétence pour traiter des disparus du franquisme, car l'amnistie générale approuvée par le Parlement démocratique en octobre 1977, moins de deux ans après la mort du général Franco, aurait effacé tout délit politique antérieur, quelle que fût sa gravité. Le porte-parole du Conseil général du pouvoir judiciaire, Enrique Lopez, note en outre que la notion juridique de crimes contre l'humanité "n'est apparue qu'au lendemain de la seconde guerre mondiale, en1948", soit près d'une décennie après la fin de la guerre civile espagnole provoquée par le soulèvement franquiste. L'initiative du juge Garzon relance la polémique qui avait accompagné la loi dite de la Mémoire historique. Définitivement approuvée par une majorité de députés espagnols en octobre 2007, cette loi implique déjà partiellement l'Etat et les pouvoirs locaux dans la localisation de fosses communes de républicains exécutés, mais son application hésitante ne donne guère satisfaction à nombre de descendants de victimes du franquisme. "Chaque personne a le droit sacré de savoir où sont enterrés ses morts" estime José Blanco, vice-secrétaire général du parti socialiste gouvernemental de José Luis Rodriguez Zapatero. Cet appui moral au juge Garzon n'est pas partagé par le chef de l'opposition conservatrice, Mariano Rajoy, président du Parti populaire. Comme lors des débats sur la loi de la Mémoire historique, il réitère sa volonté de "regarder vers le futur", en évitant de "rouvrir les plaies du passé". Les éditorialistes confirment la division des Espagnols. Celui du quotiden de centre gauche El Pais écrit que l'initiative du juge Garzon vise "à forcer l'Etat à réaliser ce que l'impulsion politique, de manière incompréhensible, ne l'a pas poussé à faire jusqu'à présent", à savoir "élaborer un recensement des disparus sous le franquisme". "Garzon efface la contradiction dans laquelle s'était située l'Audience nationale en enquêtant sur des disparitions en Amérique latine, tandis qu'en Espagne elle paraissait ignorer la répression menée par le franquisme" ajoute El Pais. Son concurrent de centre droit, El Mundo, reproche quant à lui au juge Garzon "d'agiter à nouveau ces lutins macabres" de la guerre civile, d'une façon qui semble "exclure les assassinats couverts par le régime républicain". Invoquant lui aussi l'amnistie de 1977 pour nier la compétence du juge Garzon, l'éditorialiste d'El Mundo estime encore que "l'enquête sur les disparitions exigerait d'énormes ressources humaines et matérielles, dont le système judiciaire [espagnol] ne dispose pas". Federico Garcia Lorca Le juge Garzon devra par ailleurs statuer sur une demande d'ouverture de la fosse commune où se trouveraient les restes du célèbre poète espagnol Federico Garcia Lorca, assassiné en octobre 1936 près de Grenade. Selon plusieurs chercheurs et historiens, la fosse où gît le poète se trouve selon toute vraisemblance entre les villages grenadins de Viznar et Alfacar. L’accompagneraient dans sa disgrâce l’instituteur Dioscoro Galindo et deux banderilleros anarchistes, Joaquin Arcollas et Francisco Galadi. La famille du poète s'oppose à l'exhumation, alors que les descendants de Dioscoro Galindo y de Francisco Galadi (le banderillero Arcollas n'a pas laissé de descendance) ont décidé, eux, de réclamer devant les tribunaux l'ouverture de la fosse. Citée par le quotidien El Pais du 19 août 2006, Laura Garcia Lorca, nièce du poète hostile à son exhumation, considérait que "la mémoire historique n'est ni dans les os ni dans les cendres". © LatinReporters.com - Amérique latine - Espagne
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