BARCELONE, 10 novembre 2015 (LatinReporters.com) - Une résolution annonçant « le début du processus de création de l'État catalan indépendant sous forme de république » a été approuvée le 9 novembre à Barcelone par le Parlement de la Catalogne.
A six semaines des élections législatives nationales, le défi indépendantiste d'une région de 7,5 millions d'habitants assurant 20 % du PIB de l'Espagne domine la pré-campagne électorale et semble renforcer la droite gouvernementale.
« Déconnexion démocratique »
La majorité absolue (72 voix sur 135) du Parlement catalan issu des élections régionales du 27 septembre s'est engagée, aux termes de la résolution, à mener « le processus de déconnexion démocratique sans se soumettre aux décisions des institutions de l'État espagnol, en particulier du Tribunal constitutionnel ».
La résolution prévoit aussi le lancement dans les 30 jours de travaux parlementaires relatifs à l'élaboration d'une Constitution catalane et à la mise en place d'une administration fiscale et d'une sécurité sociale propres.
Elle prie en outre le prochain gouvernement régional, en gestation difficile, de s'en tenir « exclusivement aux normes ou mandats » émanant du Parlement catalan.
Enfin, toujours selon la résolution, le Parlement catalan informera « l'État espagnol, l'Union européenne et l'ensemble de la communauté internationale » de sa disposition à négocier la création de la République catalane.
"J'ai l'honneur et la responsabilité de défendre la proposition de résolution par laquelle nous lançons solennellement la construction d'un nouvel État, un État catalan, une République catalane", avait déclaré avant le vote devant les parlementaires Raul Romeva, tête de liste de la coalition indépendantiste Junts pel Sí (JxSí, Ensemble pour le oui).
Au scrutin du 27 septembre, centré sur la question de la sécession, cette coalition et les séparatistes anti-capitalistes du petit parti CUP (Candidature d'unité populaire) avaient obtenu la majorité absolue en sièges, mais non en voix (47,8%). Selon eux, ce soutien est suffisant pour lancer le processus d'indépendance, qu'ils espèrent conclure en moins de dix-huit mois.
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Raul Romeva, porte-parole de la coalition indépendantiste Junts pel Sí (JxSí, Ensemble pour le oui), le 9 novembre 2015 à la tribune du Parlement catalan. (Capture d'écran) |
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« Coup d'État civil »
Jamais depuis la mort de Franco, en 1975, et la fin de sa dictature l'Espagne n'a été secouée par un tel défi institutionnel, à l'exception peut-être de la détention du Parlement national et de tous les ministres lors du putsch militaire avorté du 23 février 1981.
Ce souvenir incite le socialiste historique Alfonso Guerra, ex-vice-président du gouvernement, à accuser les indépendantistes catalans de « coup d'État civil ».
Plusieurs jours avant le vote de la résolution, dont le texte était connu, l'influent quotidien madrilène de centre gauche El País qualifiait la dérive souverainiste catalane de « la pire crise institutionnelle vécue par l'Espagne depuis le rétablissement de la démocratie ».
Une heure à peine après l'approbation de la résolution, le président du gouvernement conservateur espagnol, Mariano Rajoy, annonçait à la télévision un conseil des ministres extraordinaire qui signera le 11 novembre le recours gouvernemental devant le Tribunal constitutionnel. Il s'agit d'en obtenir « la suspension immédiate de la résolution et de tous ses possibles effets ».
Menace voilée de Mariano Rajoy
Qualifiant d'« obligatoire » cette première mesure, M. Rajoy ajoutait : « Il me plairait de ne pas devoir en prendre d'autres ».
Que couvre cette menace voilée ? Le gouvernement se refuse à expliciter sa stratégie en cas de persistance du défi indépendantiste. Médias et analystes espagnols évoquent, eux, une éventuelle première application de l'article 155 de la Constitution, qui signifierait la suspension de l'autonomie régionale catalane.
Destitution, amendes de 3.000 à 30.000 euros et peines de prison de 10 à 15 ans menaceraient aussi les responsables indépendantistes irréductibles.
Paradoxalement, la situation semble renforcer Mariano Rajoy. Jouant depuis plusieurs semaines le rôle de défenseur de la nation face au péril sécessionniste, il a endigué dans les sondages la chute son Parti populaire (PP, droite), pourtant miné par la corruption et par une austérité draconienne qu'un début de reprise économique estompe peu.
« Tant que je serai président du gouvernement, il n'y aura pas de sécession catalane » aime à répéter M. Rajoy, espérant inciter ainsi les Espagnols à plébisciter le PP aux législatives du 20 décembre.
Assumant « la responsabilité de prendre la tête de la réponse de l'État au défi » de l'indépendantisme catalan, le président du gouvernement a obtenu dans ce cadre la collaboration de l'opposition socialiste et du parti émergent de centre droit Ciudadanos.
«Fabrique d'indépendantistes»
Pablo Iglesias, secrétaire général de Podemos, le parti des indignés, refuse de se joindre à ce « bunker » anti-séparatiste. Bien qu'opposé à la sécession de la Catalogne, il propose de laisser les Catalans se prononcer librement sur la question lors d'un véritable référendum.
Le leader de Podemos accuse par ailleurs le PP de Mariano Rajoy d'avoir été « une fabrique d'indépendantistes », notamment en utilisant politiquement le Tribunal constitutionnel, qui a raboté en 2010 le statut d'autonomie élargie de la Catalogne.
Pour l'heure, des soubresauts institutionnels aux conséquences imprévisibles semblent probables. Mais la fronde indépendantiste pourrait faire long feu si JxSí et la CUP ne s'entendent pas sur le nom du président du gouvernement catalan.
La CUP refuse ses voix au président sortant et candidat de JxSí à un nouveau mandat, Artur Mas, qui prononça son discours d'investiture pro-séparatiste quelques heures après le vote de la résolution indépendantiste. La gauche anti-capitaliste l'estime lié à la corruption et à l'austérité en Catalogne.