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Espagne: la droite s'affirme dans un climat crispé propice à des élections anticipées

La manifestation de la droite contre l'ETA et la politique basque du gouvernement socialiste, le 10 mars 2007 à Madrid dans un océan de drapeaux espagnols, a fait la une de tous les journaux.
MADRID, lundi 12 mars 2007 (LatinReporters.com) - Originalité durable de la démocratie espagnole: la rue y reste dominée depuis deux ans par la droite parlementaire. Son chef, Mariano Rajoy, président du Parti Populaire (PP, 42% des députés), a réuni samedi à Madrid 342.000 manifestants selon la police nationale -plus de 2,1 millions prétend l'exécutif régional aux mains du PP- contre la politique basque du gouvernement socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero, qualifié de "traître" par la foule qui réclamait sa démission. Seules des élections anticipées semblent pouvoir désamorcer la crispation nationale.

La clémence gouvernementale, une semi-liberté octroyée le 1er mars pour raison dite humanitaire, après une grève de la faim de 114 jours, au terroriste indépendantiste basque de l'ETA José Ignacio De Juana Chaos, coupable de 25 assassinats (incarcéré en 1987, il lui restait à purger 18 mois de prison), a servi de prétexte à cette manifestation. Il s'agit de la huitième en deux ans contre toute négociation avec les séparatistes. Les précédentes, la plupart convoquées par l'Association des victimes du terrorisme avec l'appui du PP, avaient mobilisé parfois plus de 200.000 manifestants selon les évaluations officielles les plus défavorables.

Donc au moins 342.000 manifestants samedi à Madrid, dans un océan de drapeaux nationaux sang et or et sous le slogan "Espagne pour la liberté, non à davantage de concessions à l'ETA" (España por la libertad, no mas cesiones a ETA). Pour surpasser un tel chiffre, il faut remonter aux mobilisations de 2003 contre la guerre en Irak ou de 2004 après les attentats islamistes de Madrid, perpétrés un 11 mars, voici juste trois ans.

La droite et une minorité de médias croient toujours à une possible implication de l'ETA et/ou de barbouzes socialistes dans ce massacre (191 morts et 1.824 blessés), dont 29 coupables ou complices présumés sont actuellement jugés dans la capitale espagnole. L'intransigeance du PP à l'égard des séparatistes basques reste son arme de choc avant les élections municipales et régionales du 27 mai prochain et les législatives de 2008. En appelant samedi la multitude à "défendre la nation espagnole" à l'issue d'une manifestation imposante et d'autant plus réussie que l'extrême droite n'a pas réussi à l'infiltrer, Mariano Rajoy a assis son statut de leader et de candidat à la succession de M. Rodriguez Zapatero à la présidence du gouvernement.

De nombreux analystes estiment que les législatives seront anticipées à octobre ou novembre prochains pour apaiser la forte crispation nationale. L'acuité de l'affrontement entre gauche et droite parlementaires est inégalée en trente ans de démocratie postfranquiste. L'animosité gagne les conversations au bureau et en famille. Tous les médias ont choisi leur camp aux dépens de l'objectivité. Le spectre des deux Espagne, dont "l'une te gèlera le coeur" écrivait le poète Antonio Machado, renaît sous la plume des éditorialistes.

La coopération institutionnelle entre partis démocratiques avait subi un premier séisme lorsque le président du gouvernement précédent, le conservateur José Maria Aznar (PP), décida en 2003 la participation militaire de l'Espagne à la guerre en Irak malgré la forte hostilité populaire à cet engagement.

L'ampleur de la manifestation de samedi montre qu'une forte hostilité anime à nouveau de larges couches de la population, cette fois contre le chaotique processus dit de paix que le socialiste Rodriguez Zapatero, successeur de M. Aznar, voudrait renouer avec les indépendantistes basques de l'ETA en dépit de la permanence de leur pression terroriste (attentat du 30 décembre dernier contre l'aéroport de Madrid) et du maintien de leurs revendications d'autodétermination et d'annexion de la Navarre.

Les attentats de l'ETA ont fait depuis 1968 quelque 850 morts, plus de 2.300 blessés et des pertes matérielles et financières évaluées par la justice à 12 milliards d'euros. Plus de 95% des victimes de l'ETA ont été frappées après la mort de Franco (novembre 1975) et le rétablissement en Espagne d'une démocratie qui permet au Pays basque de jouir de la plus large autonomie financière, administrative et politique de son histoire. La revendication de l'indépendance y est tolérée même sur le plan électoral si elle ne s'appuie pas sur l'assassinat politique ou toute autre forme de violence.

Si peu expliqués qu'il est aisé à la droite de les présenter comme honteux, les liens des socialistes de M. Rodriguez Zapatero avec l'ETA et ses satellites, dont le parti basque Batasuna (théoriquement hors-la-loi), semblent s'inscrire, comme le nouveau statut d'autonomie octroyé à la Catalogne, dans une vision fédéraliste, voire confédérale de l'Espagne et de ses "nations".

Tant cette vision que la réouverture, au nom d'une justice qu'il faudrait enfin rendre, des plaies de la guerre civile de 1936-1939 (alors que simultanément et paradoxalement les socialistes prient les Espagnols d'oublier les blessures plus récentes et encore saignantes du terrorisme basque) relèvent d'un agenda caché de José Luis Rodriguez Zapatero, dont le programme électoral n'en disait mot.

Non avouées, ces ambitions que semblent refléter les décisions du chef de l'exécutif sont peut-être aussi surdimensionnées pour un gouvernement socialiste dont la majorité parlementaire relative doit nécessairement être épaulée, notamment par les indépendantistes catalans de l'Esquerra Republicana de Catalunya (ERC), qui n'en maudissent pas moins chaque jour l'Espagne! L'avènement du socialiste Rodriguez Zapatero doit en outre trop à l'émotion, mal gérée à l'époque par M. Aznar (selon la gauche, il aurait menti en accusant l'ETA), provoquée par les attentats de Madrid, trois jours à peine avant les élections législatives du 14 mars 2004.

Tous ces facteurs conjugués alimentent la crispation nationale actuelle. Que les Espagnols puissent la désamorcer en se prononçant démocratiquement, lors d'élections anticipées, sur l'évolution inattendue des dossiers brûlants du terrorisme basque et islamiste, de l'organisation territoriale et de la "mémoire historique" liée à la guerre civile paraît une issue logique et raisonnable.




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