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Espagne-élections: duel Zapatero-Rajoy suivi par 13 millions de téléspectateurs

MADRID, mardi 26 février 2008 (LatinReporters.com) - L'Espagnol moyen ne pourra plus prétendre qu'il ne s'intéresse guère à la politique. A moins de deux semaines des élections législatives du 9 mars, une moyenne de 13 millions de téléspectateurs ont en effet suivi au soir du 25 février le débat opposant le président du gouvernement socialiste, José Luis Rodriguez Zapatero, au chef de l'opposition et président du Parti Populaire (PP, droite), Mariano Rajoy. Et 22 des 40 millions d'Espagnols ont observé ce duel pendant au moins une minute si l'on en croit les sondages. Il donnent M. Zapatero vainqueur. Curieusement, M. Rajoy n'aurait pas été vaincu.

Le dernier débat télévisé préélectoral remontait en Espagne à près de 15 ans. Il opposait en 1993 le conservateur José Maria Aznar (PP) au socialiste Felipe Gonzalez, qui allait remporter ses dernières législatives avant d'être vaincu par le même adversaire en 1996, après 14 ans de pouvoir continu.

A l'époque, le premier face-à-face Gonzalez - Aznar, sur la chaîne de télévision privée Antena 3, fut suivi par 9.625.000 téléspectateurs. Le chiffre montait à 10.526.000 au second et dernier débat, sur la chaîne également privée Telecinco.

En cette année 2008, les deux duels préélectoraux sont organisés en terrain neutre par la théoriquement tout aussi neutre Académie de télévision, qui offre son signal à quiconque veut le retransmettre, moyennant participation aux frais. C'est ainsi que le premier round Zapatero - Rajoy, modéré par le directeur de l'Académie, Manuel Campo Vidal, a été retransmis lundi soir par 3 chaînes nationales et de multiples chaînes régionales. Il a été suivi par 13.043.000 téléspectateurs. Ce chiffre record sera peut-être surpassé au second round, le 3 mars, six jours à peine avant l'élection des députés et sénateurs.

Les deux débats sont considérés comme cruciaux, car les sondages laissent depuis des mois dans un mouchoir, autour de 40% des intentions de votes, le PP de Mariano Rajoy et le PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol) de José Luis Rodriguez Zapatero. Ce dernier n'a dans les sondages qu'un avantage de 1,5 à 4 points sur son adversaire.

C'est dans cette même fourchette, non décisive vu la marge d'erreur dans toute évaluation, que les deux principaux quotidiens espagnols jaugent la prestation de MM. Zapatero et Rajoy lors de leur premier duel télévisé. Le sondage du journal de centre gauche El Pais, proche du gouvernement socialiste, donne M. Zapatero vainqueur selon 46% des personnes interrogées, contre 42% en faveur de M. Rajoy. Dans le sondage d'El Mundo (centre droit), M. Zapatero l'emporte également, sur le score de 45,5% contre à nouveau 42% à M. Rajoy.

"Zapatero gagne de justesse" titre El Pais sur cinq colonnes à la une. Son analyste Soledad Gallego-Diaz écrit que "l'aspirant [Mariano Rajoy] n'a pas réussi à ébranler le président, mais il n'a pas non plus été vaincu clairement". Le diagnostic de l'éditorialiste d'El Mundo n'est pas très différent lorsqu'il estime qu'après le premier round "le match nul technique, compte tenu des marges d'erreur, persiste entre Zapatero et Rajoy". Le même journal barre toute la largeur de sa première page d'un long titre: "Un Rajoy toujours à l'attaque oblige Zapatero à se réfugier dans le passé".

L'invocation négative par M. Zapatero de la gestion ministérielle, de 1996 à 2004, de divers départements par Mariano Rajoy, le rappel du retour, en 2004 après la victoire socialiste aux législatives, des troupes espagnoles engagées en Irak, la réticence du PP à accepter alors cette victoire que les attentats islamistes de Madrid (191 morts et 1.856 blessés) précédèrent de trois jours, bousculant les pronostics favorables à la droite, ainsi que la dure opposition menée au cours de cette législature par le PP contre les vaines négociations de paix menées par M. Zapatero avec les terroristes indépendantistes basques de l'ETA, tous ces flashs-back sur le passé, parfois récent il est vrai, ont dominé les interventions du leader socialiste.

Relativement plus en prise sur l'actualité, Mariano Rajoy s'est fait le procureur des erreurs supposées de son adversaire, surtout à propos de l'ETA, de l'approfondissement de la régionalisation, de l'immigration massive et de la décélération économique qu'il attribue aux socialistes. Mais à l'instar de M. Zapatero, le chef de la droite a presque oublié de présenter son programme électoral. Les deux candidats, chacun applaudi comme vainqueur du débat par leur parti, ont à peine ébauché leurs nouvelles propositions aux électeurs. Ils devraient logiquement les approfondir et mieux dessiner le futur lors du second round, le 3 mars.

D'ici là, le terrorisme basque ou islamiste pourrait briser, comme en 2004, tous les calculs électoraux. Le ministre de l'Intérieur, Alfredo Pérez Rubalcaba, a indiqué que les forces de l'ordre sont en "alerte antiterroriste maximale".



Extraits du débat

Pour mesurer le fossé et l'animosité qui les séparent, voici la traduction des interventions initiales et finales, théoriquement les plus stratégiques dans un débat, de MM. Zapatero et Rajoy lors de leur duel du 25 février 2008:

Mariano Rajoy (premier tour de parole)

"Bonsoir [...] Comment peut-on dire que l'Espagne va très bien? Dans quels domaines véritablement importants allons-nous bien? Le logement? L'éducation? Nous sommes à la queue de l'Europe disent les organismes internationaux. L'immigration? Toute l'Europe a protesté contre le désordre que provoque ce gouvernement et nous, nous le souffrons. La sécurité? L'insécurité des citoyens croît de manière alarmante et nous importons des délinquants organisés en bandes très violentes.

Qu'a fait Monsieur Zapatero pendant quatre ans en dehors de discuter de la nation et de se distraire avec l'Alliance des civilisations ou la [loi dite de la] Mémoire historique? Il a fait deux choses et les deux très mal, concernant la structure de l'Espagne et les rapports avec [les indépendantistes basques de] l'ETA. Pour son compte, il a voulu modifier le modèle de l'Etat et négocier avec les terroristes. Les deux opérations ont mal tourné. Aucune d'elles ne reposait sur l'appui des électeurs, car elles ne figuraient pas dans son programme électoral. Il l'a fait sans s'en remettre à personne et pour arriver à ses fins il a dû rompre tous les consensus de la transition [de la dictature franquiste à la démocratie], y compris le Pacte contre le terrorisme pour qu'il n'y ait pas de témoins.

Il a eu besoin de mentir aux Espagnols sur ce qu'il faisait et il a dû mentir à l'opinion publique pour faire taire toute protestation. Aucun gouvernement n'a semé en démocratie autant de tension et de zizanie, tout en parlant d'entente, de savoir-faire et de coexistence. Nul [avant Zapatero] n'avait transmis aux Espagnols l'impression de cheminer sans but et de vivre au jour le jour [...]"

José Luis Rodriguez Zapatero (premier tour de parole)

"Bonsoir. Je me réjouis que nous ayons enfin ce débat. Ma satisfaction n'est pas personnelle. Elle se réfère aux citoyens qui vont pouvoir comparer ce soir deux projets politiques bien définis et différents [...]. Pour ma part, je viens solliciter l'appui à un projet en plein développement. Un projet ambitieux pour l'Espagne nécessitant quatre ans de plus. Un projet pour une Espagne prospère et décente. L'Espagne s'est convertie en huitième puissance économique mondiale. En revenu par habitant, nous avons dépassé l'Italie. L'Espagne est un pays qui s'occupe des jeunes, qui a créé trois millions d'emplois au cours de cette législature, plus de la moitié pour les femmes. Un pays qui appuie aussi les aînés. Nous avons augmenté les pensions minimales de 30%, la plus forte augmentation des pensions en une seule législature de notre démocratie. Un pays qui défend les femmes, avec la loi historique de l'égalité [...].

Le principal obstacle a été une opposition qui, dès le premier jour, n'a pas accepté le résultat électoral [la victoire socialiste aux législatives du 14 mars 2004], qui a recouru à l'insulte personnelle, comme vous-même Monsieur Rajoy, ce qui est une limite qu'on ne peut pas franchir en démocratie. Une opposition qui a crispé, qui a opposé les uns aux autres des citoyens de communautés régionales, qui a évolué dans le mensonge et l'exagération, qui n'a appuyé le gouvernement dans aucune des grandes questions d'Etat, qui n'a pas hésité à utiliser le terrorisme à des fins partisanes ni à se servir de la douleur des victimes [...]. L'alternative pour les prochaines élections est dialogue ou confrontation [...]."

Mariano Rajoy (intervention finale)

"Je voudrais que vous alliez dormir ce soir avec tranquillité, assurés que nous pouvons mettre les choses sur la bonne voie. Les élections nous offrent une grande opportunité et nous ne devrions pas la perdre [...]. Ce n'est pas pour moi que je sollicite votre vote. L'enjeu, ce n'est pas moi. Ce n'est pas moi qui gagnerai ou perdrai ces élections. C'est l'Espagne toute entière. L'enjeu est tout ce que nous pouvons faire si nous marchons ensemble et tout ce que nous pouvons perdre si nous ne le faisons pas [...].

Je veux que la petite fille qui naît en Espagne ait une famille, un logis et des parents ayant un travail. C'est le minimum que nous devons exiger pour tous. Je m'efforcerai spécialement qu'on s'occupe de la famille, qu'on puisse se loger et que le travail ne manque pas. Je veux que cette fillette, où qu'elle naisse, reçoive la meilleure éducation. Je veux qu'elle puisse parcourir le monde sans complexes, connaissant les langues et ayant un titre professionnel apprécié dans le monde entier. Je veux qu'elle soit un héraut de la liberté, de la tolérance et des droits humains, car elle aura grandi en liberté et ne craindra pas les idées des autres. Et elle aura appris à respecter tous ceux qui respectent la loi.

Je veux qu'elle ressente l'orgueil profond d'être Espagnole, d'appartenir à une nation si ancienne, si admirable, qui lui aura offert les meilleures opportunités, mais qui aura été exigeante à son égard pour la convertir en femme mûre et responsable [...]. L'Espagne est l'affaire de tous et nous devons la prendre très au sérieux. Merci beaucoup et une très bonne nuit".

José Luis Rodriguez Zapatero (intervention finale)

"[...] Il y a quatre ans, je sollicitais les suffrages pour que nous revenions à la légalité internationale, que nos soldats en Irak reviennent d'une guerre illégale. Je sollicitais le votes pour accroître la prospérité et le bien-être de l'Espagne. Nous avons progressé économiquement et nous avons créé trois millions d'emplois [...].

Au cours des quatre prochaines années, je me propose de continuer à accroître la prospérité pour arriver au plein emploi, patrons et travailleurs travaillant ensemble. Je suis résolu à ce que l'égalité entre hommes et femmes, en droits et en salaires, rende compatible vie familiale et travail [...]. Je suis décidé à ce que l'Espagne soit à l'avant-garde de la lutte contre le changement climatique, de la qualité de l'éducation et des infrastructures C'est à notre portée.

Je suis décidé à ce que l'Espagne défende toujours la paix dans le monde, loin des guerres illégales, augmentant l'aide au développement jusqu'à 0,7% [du PIB]. Tout est possible. Tout est à notre portée. Je travaillerai inspiré par les aînés, avec l'illusion de construire un futur pour nos enfants et avec l'ambition de progrès qu'ont les jeunes. Je ne peux pas promettre à tous le succès dans la vie, mais je peux m'engager à oeuvrer pour que tous aient les mêmes chances de succès et ceux qui n'y arrivent pas jouiront de la protection de notre pays. Bonne nuit et bonne chance".




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