Note introductive de LatinReporters.com, 13 février 2016 - Une étape très symbolique du voyage actuel du pape François au Mexique sera, le 15 février, la ville de San Cristóbal de las Casas, dans l'État du Chiapas (sud), où se soulevèrent les zapatistes en 1994.
Le pape y rencontrera les représentants de communautés indigènes. Le décret autorisant les langues locales dans toutes les liturgies sera alors publié.
Mais des représentants de peuples autochtones ont sollicité un geste plus fort : l'abandon par le Vatican de la doctrine de la découverte qui, depuis le 15e siècle, justifie à leurs yeux la spoliation et la domination des peuples originaires.
Publié sur l'important site Nodal, l'excellent article de l'ethnologue Margarita Warnholtz Locht, que nous traduisons ici, expose clairement le problème.
Le pape, les indigènes et la doctrine de la découverte
par Margarita Warnholtz Locht (*)
Dans le cadre de la visite du pape François au Mexique, une rencontre de la Commission Continentale Abya Yala s'est tenue cette semaine à San Cristóbal de las Casas, dans l'État du Chiapas. Des représentants de divers peuples autochtones du continent américain y participèrent, basiquement pour traiter le sujet de la doctrine de la découverte. Dans la déclaration finale de l'événement, ils demandent au pape une audience pour dialoguer sur les violations de leurs droits et ils l'enjoignent « d'assumer le démantèlement de la doctrine de la découverte ».
Cette pétition, les peuples autochtones l'adressent au Vatican depuis une trentaine d'années et non sans raisons. Le fait est que jusqu'à présent sont toujours en vigueur les bulles émises en 1493 par le pape Alexandre VI, dans lesquelles était octroyé aux découvreurs le droit d'exercer une souveraineté sur les territoires conquis et de dominer leurs habitants pour « les réduire » à la foi catholique.
Ces bulles papales furent le point de départ et la justification légale et spirituelle de la colonisation des peuples indigènes, qui mena à la perte de leur liberté et de leurs territoires. Sur la doctrine de la découverte (qui s'appuie sur les bulles) se basent encore actuellement la spoliation et la domination des peuples originaires, à tel point que le sujet a été motif de discussion au Forum permanent des Nations unies pour les questions indigènes et, en 2012, il fut traité comme thème de l'année. Parmi les recommandations émises à cette occasion on « exhorte les États à répudier ces doctrines comme base du refus des droits de l'homme des peuples indigènes ».
Bien que cela semble incroyable, en plein XXIe siècle des pays continuent d'utiliser ladite doctrine comme principe juridique actif. Aux États-Unis, comme le mentionne une étude des Nations unies, la Cour suprême basa en 2005 sur la doctrine de la découverte sa sentence pour résoudre une controverse concernant des impôts frappant des terres ancestrales de la nation oneida de New York.
Comme l'affirme Araceli Burguete dans cet article, le Saint-Siège a une responsabilité historique pour la situation actuelle de colonialisme interne dans laquelle se trouvent les peuples autochtones, situation qui engendre des violations de leurs droits humains. Et c'est pour cela que les participants à la rencontre de la Commission Continentale Abya Yala demandent au pape de « prendre les mesures adéquates et de soumettre à un processus de responsabilité internationale le rôle de l'Église catholique dans l'origine et la responsabilité intellectuelle des violations de droits de l'homme, qui sont encore des normes de la Doctrine de la Découverte ».
Depuis que les organisations et peuples autochtones demandent au Saint-Siège l'abandon de la doctrine en question, ils n'ont pas reçu de réponse. Il semble que le pape François soit plus sensible à ce thème que ses prédécesseurs, comme on peut le constater dans l' encyclique Laudato si « sur la sauvegarde de la maison commune » qu'il a émise en mai de l'an dernier, dont les paragraphes 145 et 146 disent :
« Beaucoup de formes hautement concentrées d’exploitation et de dégradation de l’environnement peuvent non seulement épuiser les ressources de subsistance locales, mais épuiser aussi les capacités sociales qui ont permis un mode de vie ayant donné, pendant longtemps, une identité culturelle ainsi qu’un sens de l’existence et de la cohabitation. La disparition d’une culture peut être aussi grave ou plus grave que la disparition d’une espèce animale ou végétale. L’imposition d’un style de vie hégémonique lié à un mode de production peut être autant nuisible que l’altération des écosystèmes.
Dans ce sens, il est indispensable d’accorder une attention spéciale aux communautés aborigènes et à leurs traditions culturelles. Elles ne constituent pas une simple minorité parmi d’autres, mais elles doivent devenir les principaux interlocuteurs, surtout lorsqu’on développe les grands projets qui affectent leurs espaces. En effet, la terre n’est pas pour ces communautés un bien économique, mais un don de Dieu et des ancêtres qui y reposent, un espace sacré avec lequel elles ont besoin d’interagir pour soutenir leur identité et leurs valeurs. Quand elles restent sur leurs territoires, ce sont précisément elles qui les préservent le mieux. Cependant, en diverses parties du monde, elles font l’objet de pressions pour abandonner leurs terres afin de les laisser libres pour des projets d’extraction ainsi que pour des projets agricoles et de la pêche, qui ne prêtent pas attention à la dégradation de la nature et de la culture. »
Assurément, les mots de cette encyclique sont contraires à la doctrine de la découverte, ce qui permet d'espérer que les peuples autochtones recevront finalement une réponse positive à leur pétition.
Source : http://www.nodal.am/2016/02/el-papa-los-indigenas-y-la-doctrina-del-descubrimiento-por-margarita-warnholtz-locht/
(*) Margarita Warnholtz Locht est ethnologue diplômée de l'ENAH (École nationale d'anthropologie et d'histoire - Mexico). Elle a travaillé de nombreuses années avec des organisations indigènes sur des questions de communication.
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