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L'hégémonie du Parti Colorado menacée après 61 ans de pouvoir
Paraguay - élections: l'ex-évêque de gauche Fernando Lugo favori de la présidentielle

ASUNCION, vendredi 18 avril 2008 (LatinReporters.com) - La victoire de l'ex-évêque Fernando Lugo à l'élection présidentielle du 20 avril au Paraguay est annoncée par tous les sondages. Mgr Lugo est de gauche. S'il est élu, avec quel autre président de la région dira-t-il la messe? Avec Hugo Chavez, comme le prétendent ses adversaires, ou avec Lula? Evangile radical vénézuélien ou catéchisme social-démocrate brésilien? Pour le Parti Colorado, au pouvoir depuis 61 ans, ce serait l'enfer ou le purgatoire.

Parmi les 6,5 millions de Paraguayens, 2.861.940 électeurs sont appelés à désigner dimanche pour un mandat unique de cinq ans le président, le vice-président, les 45 sénateurs et 80 députés du Congrès, ainsi que les gouverneurs des 17 départements et 18 parlementaires du Mercosur, organisme régional regroupant le Brésil, l'Argentine, l'Uruguay et le Paraguay. La Bolivie voisine et le Paraguay sont les deux seuls pays des Amériques sans façade maritime.

La Constitution paraguayenne stipule que les ministres d'une quelconque religion ne peuvent pas briguer la présidence. Aussi Monseigneur Lugo renonçait-il en 2006 au sacerdoce pour se convertir à la politique. Le Tribunal supérieur de Justice électorale a entériné sa présence dans le groupe des sept candidats présidentiels. Mais le Vatican et la Conférence épiscopale du Paraguay rappellent, droit canon à l'appui, que la qualité d'évêque n'est pas jetable et doit s'assumer à vie. Pour l'Eglise, Fernando Lugo est donc toujours Mgr Lugo, même si Rome l'a frappé d'une suspension "a divinis" pour insubordination. Les Paraguayens continuent à l'appeler "l'évêque des pauvres".

Présidentielle à tour unique et à la majorité simple

Il y a gros à parier que cet embrouillamini favorisera des recours judiciaires visant à destituer Fernando Lugo s'il devenait Monseigneur le Président. Faire basculer à son tour le Paraguay à gauche laisserait à la seule Colombie le monopole d'un pouvoir élu de droite non dans l'ensemble de l'Amérique latine mais bien en Amérique du Sud. (Le Parti Apriste du président péruvien Alan Garcia, que certains situent à droite, est membre de l'Internationale socialiste).

Avec son visage bordé d'une barbe et de cheveux argentés qui suggèrent une apparence de père tranquille du peuple proche de celle incarnée par le président brésilien Lula, Monseigneur ou Monsieur Lugo, 56 ans, est crédité de la victoire dans le dernier sondage comme dans tous les précédents. Il l'emporterait avec 34,5% des suffrages. Score suffisant, car au Paraguay, comme au Mexique et au Venezuela, la présidentielle se joue à la majorité simple lors d'un tour unique. Cette particularité peut aussi favoriser un désordre post-électoral. On l'a vu au Mexique en 2006, où la victoire du président conservateur Felipe Calderon avec près de 36% des voix est aujourd'hui encore contestée par la gauche. Au Venezuela, l'ampleur des trois victoires successives de Hugo Chavez à l'élection présidentielle a jusqu'à présent éclipsé pareille controverse.

Dans le même sondage, à 6 points de distance, l'ex-putschiste et général à la retraite Lino Oviedo (28,9% des intentions de vote) dispute la 2e place à l'ex-ministre de l'Education Blanca Ovelar (28,5%), candidate du parti gouvernemental Colorado. Le mieux placé des quatre autres postulants plafonne à seulement 3%.

Emprisonné pour sa tentative de putsch de 1996, libéré de manière inattendue en septembre dernier (une manoeuvre du président sortant Nicanor Duarte pour mieux diviser l'opposition croient Lugo et les médias), mais toujours menacé d'inculpation d'une responsabilité intellectuelle dans l'assassinat du vice-président Luis Maria Argaña en mars 1999, le populiste de droite Lino Oviedo fut longtemps un pilier du Colorado avant de lancer son UNACE (Union nationale de citoyens éthiques). Cette division et des rivalités internes affaiblissent en réalité le Colorado, mouvement nationaliste conservateur qui appuya le général Alfredo Stroessner pendant sa longue dictature (1954-1989), à laquelle néanmoins mirent fin des factions du Colorado que menaient notamment à l'époque Lino Oviedo lui-même.

Pour la première fois depuis 1947, le parti gouvernemental risque donc d'être écarté du pouvoir. Sa candidate, Blanca Ovelar, a pour principale originalité d'être la première femme à briguer la présidence au Paraguay. Un argument qu'elle utilisa à satiété dans la campagne électorale.

"Etrangers experts en agitation sociale"... Hugo Chavez montré du doigt

En clôture de cette campagne, jeudi soir à Asuncion, la capitale, Fernando Lugo réunissait une marée humaine. Davantage, selon plusieurs observateurs, que les cent mille sympathisants qu'aurait massés Blanca Ovelar la veille au même endroit. "Ce pays va ressusciter comme peuple" lançait bibliquement à la foule l'ex-évêque. Il promettait de "ne pas voler un centime", contrairement aux "voleurs de la patrie, qui partiront dans trois jours". Argument simple, mais de poids. Transparency International classe en effet le Paraguay parmi les quatre pays les plus corrompus des Amériques. Seuls l'Equateur, le Venezuela et Haïti le surpassent.

Dans une interview publiée jeudi également par le quotidien argentin Clarin, Fernando Lugo avertissait: "Voilà 14 mois que nous sommes en tête des sondages... La victoire d'un autre candidat ne serait pas un miracle, mais une fraude". Avertissement d'autant plus inquiétant que, selon le président Nicanor Duarte, les services de sécurité auraient décelé l'arrivée à Asuncion "d'étrangers experts en agitation sociale" venus d'Equateur, de Bolivie et du Venezuela, trois pays dominés par la gauche pro-chaviste. Nicanor Duarte et sa dauphine Blanca Ovelar n'ont pas hésité à mettre publiquement en garde le président vénézuélien Hugo Chavez contre toute manoeuvre déstabilisatrice.

Les adversaires de Fernando Lugo n'ont eu cesse de le présenter comme un pion de Chavez, un rouge, un communiste et même comme un allié de la guérilla marxiste des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie), qui séquestre notamment Ingrid Betancourt. Les critiques les plus douces lient le favori de la présidentielle à la théologie de la libération. Sur le plan de l'efficacité électorale, elle n'a rien d'un péché mortel.

Néanmoins, c'est autour d'une formation de centre droit, le Parti libéral radical authentique, second parti du pays et principal concurrent du Colorado, que Fernando Lugo a forgé son Alliance patriotique pour le changement (APC). Elle englobe aussi une vingtaine de mouvements sociaux du monde paysan, indigène et syndical. Ils relèvent, eux, en majorité de la gauche, y compris la plus radicale.

Ne cachant pas que sa famille fut persécutée sous la dictature de Stroessner, l'ex-évêque affirme cependant que "l'idéologie est au second plan. Je ne me sens ni de gauche ni de droite ni d'en haut ni d'en bas... Ma préoccupation pour les pauvres découle de mon option pastorale plutôt que d'une décision idéologique ou partisane".

Nationalisme économique

Nationalisme économique et réforme agraire dominent le discours de l'ancien prélat. Dans les campagnes déstructurées par l'expansion du soja, l'or vert que contrôlent souvent des investisseurs brésiliens, les paysans (300.000 sont sans terre) voient en Fernando Lugo le messie ressuscité venu les sauver de la corruption, de l'injustice et de cette pauvreté qui frappe au moins 35% de la population et n'alimente que l'émigration massive. Un messie qui leur parle volontiers en guarani, langue précolombienne officielle au même titre que l'espagnol et comprise par 90% des Paraguayens, quasi tous métis. Le pays ne compterait plus que 85.000 autochtones authentiques, mais, dit-on, si les Paraguayens raisonnent en espagnol, ils aiment et haïssent en guarani. Même Lino Oviedo le manie à merveille dans ses meetings.

Interpellant les deux grands voisins et partenaires du Paraguay au sein du Mercosur, Fernando Lugo réclame -ce fut un thème majeur de sa campagne- la révision des traités sur les centrales hydroélectriques exploitées en bordure du fleuve Parana, à Yacyreta avec l'Argentine et à Itaipu avec le Brésil.

Le traité sur la puissante centrale d'Itaipu répartit en part égales la production, mais il prévoit que chacun des deux partenaires cède à l'autre, au prix de revient, l'énergie électrique qu'il n'utilise pas. En conséquence, le Paraguay est devenu malgré lui, dans un sous-continent menacé de crise énergétique, le troisième exportateur mondial d'électricité, assurant à bas prix au géant brésilien 20% de sa consommation.

Fernando Lugo veut que l'électricité cédée à son voisin soit facturée au prix du marché. La facture annuelle, 307 millions de dollars en 2007, bondirait alors à deux milliards de dollars. Le Brésil de Lula fait la sourde oreille. Il a déjà été échaudé par la hausse des prix du gaz livré par un autre nationaliste de gauche, le Bolivien Evo Morales.




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