Retour / BackPluralisme menacé par le référendum du 2 décembre? Venezuela - Constitution : socialisme et pouvoir populaire au centre de la réforme de Hugo Chavez
par Christian GALLOY, directeur de LatinReporters
CARACAS / MADRID, jeudi 29 novembre 2007 (LatinReporters.com)
- Inexistants dans la Charte suprême actuelle, les mots "socialiste(s)"
ou "socialisme" sont introduits seize fois (*) dans la réforme de
la Constitution du Venezuela que le président Hugo Chavez soumet au
référendum du 2 décembre. Ils s'appliquent à l'Etat, à son
système politique, social, économique et territorial. Apparaît aussi un Pouvoir
Populaire qui "ne naît ni du suffrage ni d'aucune élection".
Chavez le considère comme "le noyau fondamental" de son socialisme
du 21e siècle.
C'est donc un changement de régime et non une simple réforme,
comme on l'appelle officiellement, que matérialiserait un oui référendaire
à la refonte de 69 des 350 articles de la Constitution bolivarienne
que Hugo Chavez fit plébisciter en 1999. Le principe fondamental
de pluralisme politique semble contredit par le sacre constitutionnel explicite
d'un socialisme. Mais, paradoxalement, les articles 2 et 6 de la Charte fondamentale
qui garantissent théoriquement aujourd'hui le pluralisme ne sont
pas soumis à révision.
Les 27 millions de Vénézuéliens risquent-ils d'être
poussés vers un socialisme définitif qui interdirait légalement
toute marche arrière? La réforme garantira "l'irréversibilité
des changements et des progrès conquis par le processus révolutionnaire
bolivarien" expliquait Hugo Chavez le 23 novembre à Caracas dans
un meeting en faveur du oui. Selon le président, il s'agit de garantir
que les gouvernements postérieurs ne puissent pas restaurer l'ordre
antérieur. "No volverán!" ("Ils ne reviendront pas!") criaient
à ce propos le 26 octobre des députés en approuvant
le projet de réforme. L'Assemblée nationale est entièrement
aux mains des chavistes à cause du boycott par l'opposition des élections
législatives de décembre 2005.
L'approbation au référendum
du 2 décembre de la réforme de la Constitution "consommerait
un coup d'Etat" estimait le 5 novembre devant la presse l'ex-ministre
vénézuélien de la Défense et général
à la retraite Raul Isaias Baduel. Chavez lui doit son retour au pouvoir
après le putsch d'avril 2002. L'accusation de "coup d'Etat" est aussi
portée par plusieurs juristes, dont Hermann Escarra, avocat expert
en droit constitutionnel, et par les opposants vénézuéliens
du Commando National de la Résistance (CNR). Ces derniers mettent
en garde contre le "coup d'Etat organique" dans un document adressé
à l'Organisation des Etats américains (OEA).
Selon Baduel, qui se dit fidèle à La Constitution bolivarienne
de 1999 et qui jouit encore d'un certain prestige dans les casernes, la
réforme serait en réalité "une transformation de l'Etat",
un virage idéologique vers "un modèle très différent
de pays", dominé par "un supposé socialisme à la vénézuélienne", en violation du pluralisme constitutionnel.
A l'instar de l'Eglise, de l'opposition et du patronat, comme aussi
les étudiants qui manifestent dans la rue contre la réforme
et comme d'autres ex-chavistes échaudés comme lui par la
soif de pouvoir personnel qu'ils attribuent désormais à Hugo
Chavez, Baduel estime qu'un tel bouleversement, portant sur un cinquième
des articles de la Constitution, ne pourrait relever que d'une Assemblée
constituante et non du seul président avalisé par l'Assemblée
nationale qu'il domine.
Ministre de la Défense jusqu'au 18 juillet dernier après
avoir été commandant en chef de l'armée, Baduel dirigea
à la tête de la brigade de parachutistes l'opération
"Récupération de la dignité" qui ramena dans la nuit
du 14 au 15 avril 2002 Hugo Chavez au palais présidentiel. Des putschistes
l'en avaient éloigné 48 heures plus tôt au profit du
patron des patrons Pedro Carmona. Baduel fut en outre avec Chavez l'un des
quatre jeunes officiers fondateurs, en 1982, du Mouvement bolivarien révolutionnaire
200 (MBR-200), creuset de la révolution dite bolivarienne menée
depuis 1999 au Venezuela.
Avec pareil pedigree, Raul Isaias Baduel est écouté lorsqu'il
parle. Son appel à voter non à contribué aux résultats
des sondages qui, dans leur majorité, estiment possible une défaite
électorale de Chavez pour la première fois en près
de neuf ans de pouvoir. La fermeture politique -ou non renouvellement de
la concession- le 27 mai dernier du très populaire canal privé
Radio Caracas Televisión (RCTV) pourrait aussi avoir un coût
électoral.
De nombreux éditorialistes vénézuéliens,
colombiens et espagnols croient que la crainte d'un désaveu au référendum
du 2 décembre expliquerait la violence verbale de Hugo Chavez à
l'égard de l'Espagne et de la Colombie. Le président vénézuélien
miserait sur l'exacerbation du nationalisme pour éviter d'être
giflé par les urnes. Soudainement déchargé par le président
colombien Alvaro Uribe d'une médiation avec la guérilla marxiste
des FARC, qui séquestre notamment Ingrid Betancourt, et prié
crûment de se taire par le roi Juan Carlos d'Espagne, le 10 novembre
au sommet ibéro-américain de Santiago du Chili, Hugo Chavez
a "mis au congélateur", en multipliant les insultes, ses relations
diplomatiques avec Bogota et Madrid.
Dire que l'ivresse nationaliste huilée socialement par la manne
pétrolière risque de concrétiser sinon un coup d'Etat
du moins l'adoption d'un régime unicolore déguisée
en réforme constitutionnelle est la charge intellectuellement la plus
dure contre la réforme proposée par Hugo Chavez. Les autres
critiques soulevées par cette réforme portent sur des points
qui paveraient le chemin vers cet objectif essentiel d'un socialisme voulu irréversible.
Pouvoir Populaire
Ainsi, l'apparition d'un Pouvoir Populaire à l'article 136 révisé
de la Constitution est-elle souvent associée à la volonté
de liquider le pluralisme, dans la mesure où ce pouvoir est défini
comme "ne naissant ni du suffrage ni d'aucune élection, mais de la
condition des groupes humains organisés comme base de la population".
L'article 136 précise que "le Pouvoir Populaire s'exprime par la
constitution des communautés, des communes et de l'autogouvernement
des villes, à travers les conseils communaux, les conseils ouvriers,
les conseils paysans, les conseils d'étudiants et autres entités
que la loi désigne".
Comprenne qui pourra, mais une indication concrète est la dimension
territoriale que peut revêtir le Pouvoir Populaire. Toujours selon l'article
136, il côtoie le pouvoir municipal et le pouvoir départemental
dans la distribution territoriale du pouvoir public. Pour les élus
locaux de l'opposition, cela signifierait que mairies et assemblées
départementales élues démocratiquement auraient leurs
jours comptés.
"Les communes seront les cellules géo-humaines du territoire organisé
par les communautés, le noyau spatial fondamental ... indivisible
de l'Etat socialiste" du 21e siècle clame Hugo Chavez. Selon
lui, ce Pouvoir Populaire marquerait la différence et l'espoir par
rapport au défunt socialisme soviétique, qui aurait échoué
victime de la bureaucratie et de la confiscation du pouvoir par une élite.
Des milliers de cellules urbaines et rurales du Pouvoir Populaire que Chavez
veut constitutionnaliser existent déjà. Regroupant chacune des
dizaines ou des centaines de familles, elles cherchent à assurer, par
exemple, la scolarisation d'enfants, l'irrigation de cultures, l'éclairage
public d'un quartier ou d'un village, etc. Le 23 novembre, le président Chavez estimait même que dans ce pays pétrolier qu'est le Venezuela une commune du Pouvoir
Populaire pourrait parfaitement être propriétaire d'une usine
pétrochimique qu'elle construirait et dont elle gérerait les
bénéfices.
Les cellules du Pouvoir Populaire seraient donc appelées à
étendre leur emprise sur la vie sociale et économique. Etant
rattachées directement à la présidence de la République
et financées par une Commission présidentielle,
elles accroîtraient en principe le pouvoir direct de Hugo Chavez. Mais
la nouveauté de l'expérience empêche provisoirement de
mieux la comprendre et d'en évaluer l'impact réel.
Longévité présidentielle, état d'exception,
semaine des 36 heures
La comparaison d'articles de l'actuelle Constitution avec leur projet de
réforme nourrit d'autres questions et critiques, autant voire plus
médiatisées que les précédentes. On citera notamment:
Volonté supposée de Chavez de se perpétuer au
pouvoir. Le mandat présidentiel (article 230) de six ans devient,
dans la réforme soumise à référendum, un septennat.
Il pourrait être brigué indéfiniment, alors qu'actuellement
une seule réélection est autorisée. Aujourd'hui,
tous les pays latino-américains, sauf Cuba, prohibent la réélection
présidentielle immédiate ou n'en admettent qu'une.
Péril possible pour les libertés fondamentales. Dans
le texte révisé, la liberté d'information n'est plus
garantie et d'autres droits peuvent être suspendus au lieu de n'être
que restreints lors d'un éventuel état d'exception (articles
337 et 339). Seul le président de la République pourra le décréter,
sans que la Salle constitutionnelle du Tribunal suprême n'ait encore,
comme requis aujourd'hui, à se prononcer sur sa constitutionnalité.
Le chef de l'Etat sera aussi le seul à pouvoir abroger l'état
d'exception, faculté réservée par la Constitution actuelle
au gouvernement ou à l'Assemblée nationale.
Accroissement considérable des pouvoirs présidentiels. Le
chef de l'Etat pourrait créer par décret des "régions
militaires spéciales à des fins stratégiques et de défense"
(article 11). Toujours par décret, moyennant accord préalable
de la majorité simple des députés, il pourrait aussi
créer des provinces et des villes "fédérales", ainsi
que des "districts fonctionnels" sur la base de "caractéristiques
historiques, socio-économiques et culturelles" (article 16). Par ailleurs,
la Banque centrale perdrait son autonomie. C'est sous "l'administration et
la direction du Président de la République" que cette banque
administrerait "les réserves internationales de la République""
(article 318).
Craintes pour la propriété privée. L'article 115 révisé
la relativise en l'entourant de divers autres types de propriété,
"sociale", "citoyenne", "collective" et "mixte". L'Etat pourrait occuper un
bien exproprié pour raison d'utilité publique avant que ne
soit déterminée et payée l'indemnisation. Dans ses discours,
Hugo Chavez trace la frontière en affirmant que "la propriété
privée accumulatrice de richesse au prix de la misère des autres
n'a pas sa place dans une révolution socialiste".
Politisation de l'armée. "Les forces armées bolivariennes
constituent un corps essentiellement patriotique, populaire et anti-impérialiste"
dit l'article 328 révisé. L'armée y est appelée
"à empoigner l'épée pour défendre les garanties
sociales". Une "milice populaire bolivarienne" est intégrée
dans les forces armées, qui "pourront exercer les activités
de police administrative et d'enquête pénale attribuées
par la loi" (article 329). Par ailleurs, Hugo Chavez a depuis longtemps instauré
dans les casernes la consigne castriste "Patrie, socialisme ou mort".
L'instauration de la journée de travail de six heures et de la semaine
des 36 heures (article 90), ainsi que l'élargissement de la sécurité
sociale (article 87) aux travailleurs indépendants (chauffeurs de taxi,
transporteurs, commerçants, artisans, etc.) sont considérées
par les analystes comme des hameçons servant à pêcher
le plus grand nombre possible de oui au référendum. Il n'est
pas courant qu'un pays insère dans sa Constitution ce type de mesures concrètes
relevant de la législation ordinaire.
Accroître les avantages sociaux compense-t-il les craintes pour les
droits fondamentaux? "Nous voulons un équilibre entre justice sociale
et liberté. Au nom de la justice sociale, ce gouvernement a réduit
les libertés, notamment celles d'expression, de conscience et de manifestation"
se plaignait récemment le maire de la municipalité de Chacao
(Caracas), Leopoldo Lopez, membre de la coalition d'opposition Un Nuevo Tiempo.
Malgré les critiques et les sondages, il est difficile d'imaginer
que Hugo Chavez puisse être désavoué par les urnes un
an seulement après avoir été élu pour la 3e fois
consécutive, le 3 décembre 2006, sur le score triomphal de
63% des suffrages. Mais, comme le soulignait un éditorialiste du quotidien
de centre gauche espagnol El Pais, la question est de savoir si le caudillo
vénézuélien n'a pas déjà atteint ce que
Clausewitz appelait "le point culminant de la victoire", à partir
duquel il est très coûteux de maintenir les conquêtes.
(*) Les mots "socialista(s)" ou "socialismo" apparaissent dans le projet
de réforme constitutionnelle aux articles 16, 70, 103, 112, 113, 158,
168, 184, 299, 300, 318 et 321, ainsi qu'aux dispositions transitoires
primera 2. et novena.