Le « modèle social européen » est-il encore un argument ?
Sommet Europe - Amérique latine (UE-Celac) : l'ombre de la Chine
par Christian GALLOY
BRUXELLES / MADRID, 8 juin 2015 (LatinReporters.com) - Face à la forte et croissante présence de la Chine en Amérique latine, l'Europe tentera d'y maintenir son importance en relançant à nouveau le partenariat birégional dit « stratégique » lors du sommet UE-Celac, les 10 et 11 juin à Bruxelles.
Représentant plus d'un milliard de personnes et un tiers des membres de l'ONU, les dirigeants de 61 pays, les 28 de l'Union européenne (UE) et les 33 de la Communauté des États latino-américains et des Caraïbes (Celac), sont convoqués dans la capitale communautaire sous le thème « Penser ensemble notre avenir pour que les citoyens vivent dans des sociétés prospères, solidaires et durables ». L'actualité politique et économique sera néanmoins présente dans les débats. Depuis la naissance des sommets bisannuels entre les deux régions en 1999 à Rio de Janeiro, l'équilibre mondial du pouvoir s'est déplacé vers l'Asie et bien que l'Union européenne reste le premier investisseur dans la région, la Chine est devenue la locomotive de l'Amérique latine par l'achat massif de ses ressources naturelles et matières premières et par des investissements notables dans ses infrastructures. Rang de l'UE dans le commerce avec la Celac L'UE se présente encore comme le second partenaire commercial de l'Amérique latine, derrière les États-Unis. Mais le Fonds monétaire international (FMI) relève que les échanges commerciaux entre la Chine et les pays latino-américains, d'à peine 12 milliards $ en 2000, ont bondi en 2013 à 289 milliards $. Ce chiffre surpasse les 250 milliards $ d'échanges de marchandises entre l'ensemble du continent européen et l'Amérique du Sud et centrale enregistrés pour la même année 2013 par l'Organisation mondiale du commerce (OMC). À défaut de chiffres plus récents et plus transparents, cette comparaison partiellement boiteuse incite à se demander si la Chine n'est pas déjà aujourd'hui le second, voire le premier partenaire commercial de la Celac, qui regroupe tous les pays des Amériques, à l'exception des États-Unis et du Canada. [Ajout du 10 juin 2015 - Tout en prétendant ce 10 juin à l'ouverture du sommet birégional que l'UE demeure le deuxième partenaire commercial de la Celac, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a chiffré à 212 milliards € (240 milliards $) les ultimes échanges annuels de biens et de services entre les deux blocs, soit un niveau déjà largement surpassé par les échanges Chine-Amérique latine (289 milliards $ en 2013, selon le FMI]. En janvier dernier à Pékin, lors du premier forum ministériel Chine-Celac, le président chinois Xi Jinping annonçait 250 milliards $ d'investissements en Amérique latine et dans les Caraïbes pour les dix prochaines années. Et il souhaitait que le commerce annuel entre la Chine et le bloc des 33 pays de la Celac atteigne 500 milliards de dollars lors de la même décennie. L'argument du « modèle européen » L'Union européenne est convaincue que, pour améliorer l'inclusion sociale, l'Amérique latine et les Caraïbes s'inspireront plus du modèle européen que de celui des États-Unis ou de la Chine, déclarait en substance le 4 juin Christian Leffler, directeur pour les Amériques au Service d'Action Extérieure de l'UE. Mais vanter « le modèle social européen » est peut-être aventureux alors que la crise globale sert de prétexte à son démantèlement progressif par les gouvernements libéraux-conservateurs majoritaires en Europe, que l'euro est toujours menacé par la situation en Grèce, que le Royaume-Uni convoquera un référendum sur son maintien au sein de l'UE et que dans un pays aussi important que l'Espagne la pauvreté croissante frappe 22,2 % de la population (chiffre de l'Institut national de la statistique arrêté à fin 2013). Dans ce contexte, il sera intéressant de jauger le contraste entre les deux présidents du sommet de Bruxelles, Rafael Correa (socialiste bolivarien, président de l'Équateur et président en exercice de la Celac) et Donald Tusk (président du Conseil européen et ex-Premier ministre libéral-conservateur de la Pologne). Rafael Correa répétera à Bruxelles que « combattre la pauvreté est plus un problème politique et de justice que de charité ». Selon lui, dans la phase de développement actuelle, cette vision va au-delà de la coopération et de « l'obole pour construire une école ». Le président de la Celac en appelle à une redéfinition des relations internationales pour favoriser notamment les transferts de technologie et l'accès à la connaissance. « Partenariat stratégique » Il n'empêche qu'après une décennie euphorique de forte croissance qui a réduit la pauvreté et les encore grandes inégalités, l'Amérique latine est aujourd'hui menacée de stagnation. Deux des plus importants pays de la région, le Brésil et l'Argentine, seront en récession en 2015. L'UE en profitera pour tenter de relancer ce qu'elle appelle le « partenariat stratégique », basé essentiellement sur la recherche, l'actualisation ou l'approfondissement d'accords de libre échange dans le cadre de la mondialisation économique. L'Europe est pourtant l'une des principales victimes de cette mondialisation, comme le démontrent aujourd'hui encore les conséquences de la crise globale sur le Vieux continent. L'actualisation des accords commerciaux avec le Chili et le Mexique et l'éternelle poursuite d'un accord d'association avec les quatre pays fondateurs du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay) accapareront une grande part des débats du sommet de Bruxelles. L'UE et la Celac salueront par ailleurs la normalisation progressive des relations américano-cubaines et les espoirs de paix en Colombie nés de la négociation entre Bogota et la guérilla des Farc. Quant à une éventuelle condamnation commune de la situation au Venezuela, elle devrait être bloquée par l'opposition consensuelle de l'Amérique latine aux « ingérences extérieures » dont elle a longtemps souffert. |