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ARRIVÉE TRIOMPHALE DE LA MARCHE CONTRE LE PROJET ROUTIER DU TIPNIS
Bolivie : La Paz ovationne les Indiens qu'Evo Morales blâmait
 

LA PAZ, jeudi 20 octobre 2011 (LatinReporters.com) - Des dizaines de milliers d'habitants de La Paz ont accueilli en triomphe le 19 octobre plus de mille Indiens amazoniens au terme de leur marche de 66 jours, sur quelque 600 km, contre un projet de route traversant leur territoire. Ils prétendent rester à La Paz tant que le projet n'aura pas été annulé par le président de la Bolivie, Evo Morales, qui a longtemps blâmé les marcheurs, victimes en outre de violences policières.

Le centre de La Paz était envahi par une foule en fête et en proie à l'émotion. Fanfare municipale, volées de cloches des églises, fleurs, chants, pleurs, embrassades et offre de vêtements et de nourriture aux hommes, femmes et enfants venus de la chaleur de l'Amazonie jusqu'au froid des Andes... Ce spectacle étonnant et bouleversant est une gifle infligée au président Morales.

Car pendant des semaines, il a traité les marcheurs de serviteurs de l'impérialisme yankee, de marionnettes de l'opposition ou de saboteurs de la révolution parce qu'ils s'opposent au projet d'une route de 300 km qui couperait en deux le million d'hectares de la réserve écologique du Tipnis (Territoire indigène et Parc national Isiboro Secure), terre ancestrale de 50.000 autochtones de l'Amazonie bolivienne.

Financé quasi totalement par le Brésil voisin, l'axe contesté faciliterait en principe les liaisons entre les départements boliviens, entre la Bolivie et le Brésil et entre ce géant sud-américain et les ports du Pacifique.

Mais, outre l'impact écologique sur leur parc, les autochtones du Tipnis disent redouter que le président bolivien ne facilite, avec la nouvelle route, la colonisation de leur territoire par des cultivateurs de coca, matière première de la cocaïne. Evo Morales est demeuré le principal dirigeant des cocaleros de la région du Chapare, voisine du Tipnis. Il leur a promis de nouvelles terres, alors que la surface des plantations de coca est déjà deux fois et demie celle autorisée par la loi bolivienne pour couvrir l'usage traditionnel des feuilles de coca, dont leur masticage. En ovationnant mercredi l'arrivée des marcheurs à La Paz, la foule scandait "Tipnis, oui. Coca, non" et "Tipnis, nous le sommes tous".

Les autochtones se plaignent aussi de n'avoir pas été consultés sur le projet routier, ce qui contredit les droits des "nations et peuples indigènes originaires" protégés en principe par la Constitution de l'Etat "plurinational" et "interculturel" qu'est officiellement la Bolivie du socialiste radical Evo Morales, premier président amérindien du pays.

Moins de 40% de votes valables à la première élection de magistrats au suffrage universel


Le 25 septembre, des centaines de policiers attaquèrent violemment les marcheurs pour tenter, en vain, de les ramener de force dans leur région. Des dizaines de protestataires furent blessés. Les images dures de cette intervention soulevèrent une indignation généralisée et la réaction inquiète du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme. Une grève générale paralysa partiellement les grandes villes. Deux ministres, ceux de la Défense et de l'Intérieur, et un vice-ministre ont démissionné. Evo Morales a demandé pardon et suspendu le projet jusqu'à la prochaine consultation, "non contraignante" a-t-il précisé, des populations du Tipnis.

Mais les marcheurs exigent l'annulation définitive du projet. La veille de leur arrivée à La Paz, Evo Morales a enfin accepté d'ouvrir avec eux "un dialogue direct" qu'il refusait. Ce dialogue risque d'être peu chaleureux. Dans un discours prononcé sur la Plaza Mayor de La Paz après l'arrivée des marcheurs, le président du Tipnis, Fernando Vargas, a accusé publiquement le président Morales de promouvoir la coca "pour produire plus de drogue". Il a traité le chef de l'Etat de "destructeur de la Terre Mère, de l'environnement et de la biodiversité". Il lui a aussi reproché à nouveau de violer les droits des indigènes et la Constitution qu'il a lui même promulguée il y a deux ans.

Faisant pâlir l'auréole d'écologiste, d'indigéniste et de démocrate d'Evo Morales, l'affaire du Tipnis a probablement contribué à son premier revers électoral depuis sa victoire à la présidentielle de décembre 2005. L'élection pour la première fois au suffrage universel, le 16 octobre dernier, des principaux magistrats du pays, dont ceux du Tribunal suprême et du Tribunal constitutionnel, s'est en effet soldée par moins de 40% de votes valables et plus de 60% de votes blancs ou nuls, selon un sondage à la sortie des urnes confirmé par les premiers résultats officiels partiels. Le chef de l'Etat avait pourtant cru pouvoir prédire que les élus, et indirectement lui-même, seraient plébiscités par 70% des électeurs, obligés par la loi d'aller aux urnes.

L'opposition avait recommandé le vote blanc ou nul. Elle déduit du succès de sa consigne que les magistrats élus, parmi des candidats sélectionnés par la majorité parlementaire gouvernementale, n'ont aucune légitimité. Evo Morales est accusé par ses adversaires de vouloir contrôler la justice pour l'utiliser à des fins politiques contre l'opposition et les médias trop critiques, ainsi que pour assurer en 2014 sa candidature à un troisième mandat présidentiel pourtant prohibé par la Constitution.


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