Retour / BackOpération basée sur l'espoir d'une dissidence ou trahison de guérilleros? Mission humanitaire Betancourt : les FARC se méfient de Sarkozy
BOGOTA, jeudi 3 avril 2008 (LatinReporters.com) -
La France "capitaliste","membre de l'OTAN" et gouvernée
par un "président de droite" [Nicolas Sarkozy] n'inspire pas
confiance à la guérilla marxiste des FARC (Forces armées
révolutionnaires de Colombie) si l'on en croit ANNCOL, l'une des agences
de presse officieuses des insurgés. Cela semble réduire les
chances de succès de la mission humanitaire médicalisée
dépêchée en Colombie à l'initiative de la France
pour accéder à Ingrid Betancourt, otage de la guérilla
depuis plus de six ans et aujourd'hui gravement malade. Mais une éventuelle
dissidence ou trahison de guérilleros qui la séquestrent faciliterait
sa libération. L'opération humanitaire est-elle basée
sur cet espoir?
ANNCOL qualifiait le 2 avril (1) le président Sarkozy de "naïf"
pour se lancer dans une "si dangereuse aventure" dans l'espoir d'une
"libération unilatérale" [d'Ingrid Betancourt]. Sous
le titre "Faites très attention! Vous ne pouvez pas avoir confiance",
comme s'il s'agissait d'un conseil donné aux guérilleros, l'agence
officieuse des insurgés a élargi le 3 avril (2) ses considérations
sur ce qu'elle appelle "La mission médico-humanitaire du président
Sarkozy".
"Les FARC marcheront avec des pieds de plomb, se souvenant que ce fut
précisément un appel de membres [il s'agissait plutôt
d'émissaires; ndlr] du gouvernement français, incité
par l'esprit criminel du psychiatre Dr Ternura [surnom donné par
les FARC au psychiatre et surtout Haut commissaire colombien à la
Paix, Luis Carlos Restrepo; ndlr], qui a permis au gouvernement des Etats-Unis
de localiser le camp de Raul Reyes et de le bombarder".
Raul Reyes, numéro deux des FARC, et une vingtaine de guérilleros
et sympathisants ont été tués le 1er mars dernier lors
d'un raid de l'armée colombienne contre un camp de la guérilla
au nord de l'Equateur. La sénatrice colombienne de gauche Piedad Cordoba
affirmait le 19 mars à l'hebdomadaire Cambio (3) que cette attaque "s'est
produite deux ou trois jours après une réunion à Panama
entre le commissaire Luis Carlos Restrepo, Daniel Parfait, ex-ambassadeur
de France en Colombie et époux actuel de la soeurd'Ingrid
Betancourt, et Noël Saez, assesseur du gouvernement français".
[Mari d'Astrid Betancourt, Daniel Parfait dirige actuellement le département
Amériques et Caraïbes au ministère français des
Affaires étrangères; ndlr].
Selon la sénatrice, "la réunion eut lieu pour que Restrepo
leur communique que le gouvernement [colombien] les autorisait à
parler avec Reyes pour voir comment on pouvait obtenir la libération
d'Ingrid ... Les Français ont appelé Reyes par téléphone
satellitaire [probablement pour fixer le rendez-vous autorisé
par Bogota; ndlr] et c'est là qu'ils l'ont écouté
[Piedad Cordoba veut sans doute dire "localisé"; ndlr]. Saez a
même dit ces derniers jours à l'un de mes amis qu'il se sentait
responsable de la mort de Reyes, car il croyait que c'est suite à
son appel que le chef guérillero a été localisé".
Interlocutrice habituelle des FARC et amie du président vénézuélien
Hugo Chavez, la sénatrice Piedad Cordoba est également bien
en cour à Paris, au point que l'ambassade de France à Bogota
vient de lui demander de faciliter la mission humanitaire. La même
ambassade démentait la semaine dernière qu'un appel satellitaire
d'émissaires français ait permis l'exécution de Raul
Reyes. Mais Piedad Cordoba a confirmé sa version. ANNCOL et sans doute
à travers elle des dirigeants des FARC la reprennent désormais
à leur compte, estimant donc qu'un appel téléphonique
satellitaire du négociateur français Noël Saez au nº2
de la guérilla, Raul Reyes, fut fatal à ce dernier.
Or Noël Saez, ancien consul de France à Bogota et agent de la
DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure),
fait partie de la mission humanitaire qui vient d'atterrir en Colombie pour
prendre contact avec les FARC et tenter d'accéder à Ingrid
Betancourt. Même s'il fut souvent l'interlocuteur de Raul Reyes, qui
était l'homme clef de toute négociation sur les otages, on
imagine que l'émissaire français ne risque pas aujourd'hui
d'être applaudi par les FARC, pour autant qu'elles acceptent encore
de le recevoir.
La méfiance jouxte la paranoïa lorsqu'ANNCOL se demande si en
autorisant la mission humanitaire, le gouvernement colombien ne cherche pas,
avec la complicité des Etats-Unis, à obtenir les coordonnées
exactes de l'endroit où est séquestrée Ingrid Betancourt
afin de le bombarder et d'assassiner la Franco-Colombienne. L'agence officieuse
des FARC prétend que l'équipe du président Alvaro
Uribe voit en Ingrid une éventuelle "sérieuse concurrente"
politique qu'il conviendrait d'éliminer.
"Jusqu'où va la sincérité de Sarkozy?"
"Nous ne devons pas oublier que la France est un pays capitaliste,
que son président est de droite, qu'elle est membre de l'OTAN et que
nous ne savons pas jusqu'où va la sincérité de Sarkozy.
En outre, il faut rappeler que les pays ont des intérêts, mais
non des amis" écrit ensuite ANNCOL. Selon cette agence,
"les Etats-Unis et leurs laquais" devraient apprendre "qu'on ne
peut pas fermer absolument tous les canaux de communication avec l'ennemi"
pour ensuite "envoyer des avions qui attendent inutilement quelqu'un"
[Ingrid Betancourt; ndlr].
Jesus Santrich, commandant des FARC, et Rodrigo Granda, l'ex-"ministre des
Affaires étrangères" de la guérilla libéré
en juin 2007 par le président Uribe à la demande expresse de
Nicolas Sarkozy, écrivaient déjà, le 19 mars dans les
colonnes de la même ANNCOL (4), que l'expérience de la mort de Raul
Reyes "nous donne raison quant à la nécessité d'exiger
chaque fois plus de garanties pour des rencontres de n'importe quel type.
Il n'y aura par exemple aucune rencontre entre le gouvernement et la guérilla
sans l'existence d'une zone démilitarisée".
"Que personne ne fasse l'innocent. Tous les captifs [des FARC] sont
responsables de l'expansion de la guerre, qu'il s'agisse d'Ingrid [Betancourt]
et d'autres et il faut dire qu'aucun d'eux n'est dans de pires conditions
que Simon Trinidad et Sonia" [deux chefs des FARC extradés et
condamnés aux Etats-Unis; ndlr] ajoutaient Santrich et Granda, qui s'opposaient en outre
à toute nouvelle libération unilatérale d'otages pour n'accepter
que d'éventuels échanges de prisonniers.
Ce manque de sensibilité à l'égard de la Franco-Colombienne,
considérée comme un rouage du système combattu par les
FARC, et la méfiance de la guérilla découlant des circonstances
de l'attaque mortelle contre Raul Reyes rendent donc improbable le succès
de la mission humanitaire.
Le diagnostic serait différent si Paris disposait d'informations sur un groupe de guérilleros
disposés à trahir leurs chefs pour empocher les primes millionnaires
promises par Bogota aux rebelles qui déserteraient en emmenant leurs
otages vers la liberté et qui jouiraient de l'asile offert par la France. L'un des sept principaux commandants des FARC, Ivan Rios, avait été abattu en mars par le chef de sa garde
personnelle, qui se présenta avec la main coupée de sa victime
pour authentifier son droit à la récompense...
Les révélations d'un prêtre relèvent peut-être
de l'hypothèse de la dissidence ou de la trahison de guérilleros.
"Les FARC cherchent à libérer Ingrid Betancourt, [à
trouver] la manière de la livrer" affirmait dans le quotidien
colombien El Tiempo du 31 mars (5) le prêtre catholique Manuel
Mancera. Il révélait avoir été contacté
le 26 mars par la guérilla, sans préciser le niveau hiérarchique
des ses interlocuteurs, et il croit que ce contact est lié à
l'ouverture de démarches pour la libération d'Ingrid Betancourt.
Coïncidence ou non, des prélats de l'Eglise colombienne étaient reçus
à l'ambassade de France à Bogota le même 31 mars, veille de l'annonce par le
président Sarkozy de l'envoi de la mission humanitaire.
Titulaire de la paroisse de la localité de La Libertad, dans le département
du Guaviare (450 km au sud-est de Bogota) que contrôlent partiellement
les FARC, le père Mancera avait déjà été
contacté par les rebelles avant qu'ils ne libèrent Clara Rojas,
ex-directrice de campagne et colistière d'Ingrid Betancourt pour l'élection
présidentielle de 2002. Les six otages colombiens, dont Clara Rojas,
libérés unilatéralement par la guérilla depuis
le mois de janvier dernier l'ont tous été dans le département
du Guaviare.
C'est aussi dans le Guaviare que divers témoins affirment avoir aperçu
Ingrid Betancourt, en février et mars, lorsque des guérilleros
l'auraient amenée dans divers dispensaires pour tenter d'enrayer l'hépatite
B, la leishmaniose et le paludisme qui la mettraient au bord d'une issue fatale.
(4)Raúl Reyes, el camino de la vida a pesar de la muerte, ANNCOL, mercredi 19 mars 2008. Ce même article de Jesus Santrich et Rodrigo Granda ayant été publié à nouveau ce 3 avril 2008 par une autre agence proche des FARC, l'ABP (Agencia Bolivariana de Prensa), certains ont cru y voir une réponse à la mission humanitaire que le président Sarkozy n'annonçait cependant que le 1er avril, soit 13 jours après la première publication de l'article.