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Estimant que "la guérilla n'a plus de sens en Amérique latine" Hugo Chavez prie les FARC de libérer tous leurs otages sans condition Déclarations et raisons du président du Venezuela
A Bogota, ces déclarations ont été bien accueillies par le gouvernement colombien. "La façon dont s'est exprimé Chavez n'aide pas les FARC sur le plan international" a estimé dans une interview à W-Radio le ministre de la Défense, Juan Manuel Santos. Il a presque versé dans l'euphorie en ajoutant: "J'espère que les voisins nous aideront à combattre les groupes terroristes et si les affirmations magnifiques [de Hugo Chavez] se traduisaient dans les faits, ce serait une grande nouvelle indiquant que la fin des FARC est proche". Aussi attend-t-on avec le plus grand intérêt la réponse des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC, marxistes) et en particulier de leur nouveau chef, l'idéologue Alfonso Cano, à ces phrases prononcées par Hugo Chavez, jusqu'à présent leur principal allié, lors de sa 312e émission dominicale Aló Presidente: -"C'en est assez de toute cette guerre, c'est l'heure de s'asseoir pour parler de paix. C'est notre volonté à nous, les Vénézuéliens. Je suis disposé, Cano, à aller chercher les otages". -"C'est mon message pour toi, Cano: allez, laisse tous ces gens partir! Il y a des vieux, des femmes, des malades et des soldats qui sont retenus prisonniers dans les montagnes depuis dix ans. Je crois que ça suffit, Cano. La guerre de guérilla est de l'histoire ancienne." -"L'heure est arrivée pour les FARC de libérer tous leurs otages sans aucune contrepartie. Ce serait un grand geste humanitaire et ce pourrait être le premier pas vers la fin, que nous souhaitons ici, de la guerre en Colombie." -"Aujourd'hui un mouvement de guérilla n'a plus de sens en Amérique Latine. Et vous les FARC devez savoir que vous vous êtes converties en excuse de l'empire [les Etats-Unis] pour nous menacer tous. Vous êtes l'excuse parfaite. Le jour où la paix s'installera en Colombie, l'empire nord-américain n'aura plus d'excuse". Selon Chavez, il pourrait exister des conditions favorables à un processus de paix en Colombie, avec un groupe de pays et d'instances qui garantiraient les accords de paix, comme ce fut le cas en Amérique Centrale (au Nicaragua et au Salvador). Dans ce cadre, le président vénézuélien a cité "Argentine, Brésil, Nicaragua, Equateur, France, Espagne, Portugal, même le Vatican, et l'OEA" (Organisation des Etats américains). En clair, Hugo Chavez vient de demander à Alfonso Cano et aux FARC de se saborder, du moins en tant que mouvement armé, ce qui n'exclurait pas une mue de la guérilla en force strictement politique. A cet égard, le nouveau chef des FARC est aussi l'un des présidents de la Coordination continentale bolivarienne (CCB), mouvement radical qui contribue à propager en Amérique latine le socialisme dit bolivarien cher au président vénézuélien. Le virage du président Chavez est d'autant plus remarqué que le 11 janvier dernier, à la tribune de l'Assemblée nationale vénézuélienne, il qualifiait de "véritables armées occupant un espace en Colombie" la guérilla des FARC et celle de l'ELN (Armée de libération nationale; guévariste). "Ce sont des forces insurgées qui ont un projet politique, qui ont un projet bolivarien qui, ici [au Venezuela], est respecté" clamait alors Hugo Chavez. Il appelait en outre la communauté internationale à reconnaître les deux mouvements rebelles et à les extraire des listes d'organisations terroristes. Les raisons du virage de Chavez Se démarquer aujourd'hui des FARC pourrait permettre à Hugo Chavez et à son nouveau Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV) d'aborder plus sereinement les importantes élections régionales et municipales de novembre. Souvent mal compris au Venezuela, le soutien bruyant de Chavez à une guérilla colombienne qui a séquestré également des Vénézuéliens avait contribué partiellement à sa première défaite électorale, au référendum constitutionnel de décembre 2007. On remarquera aussi que si quasi toute l'Amérique du Sud (mais non toute l'Amérique latine) est aujourd'hui régie par des gouvernements relevant d'une gauche modérée ou radicale, la Colombie est une notable exception, en fonction précisément du rejet populaire majoritaire de la violence des FARC. Chez cet important voisin du Venezuela qu'est la Colombie, les guérilleros freineraient en somme l'expansion par les urnes du socialisme bolivarien dont ils se proclament pourtant les alliés. L'analyste français Jacques Thomet, ex-directeur de l'Agence France Presse (AFP) à Bogota et Caracas, écrit par ailleurs sur son excellent blog: "Si le président vénézuélien a opéré cette étonnante mutation, c'est pour une raison évidente. Les 17.000 fichiers saisis dans les ordinateurs de Raul Reyes, l'ancien nº2 de la guérilla éliminé le 1er mars dernier, illustrent sa complicité active avec les FARC, via des aides en argent et en armes. Et tous les documents sont loin d'avoir été révélés dans leur intégralité. Parvenir à tordre le bras aux FARC pour qu'ils se rendent, ou à tout le moins tenter de le faire, est à même d'éviter à Chavez les désagréments que pourrait lui valoir un maintien de son appui à la guérilla, y compris devant le Tribunal pénal international de La Haye". Il est vrai que le contenu de ces ordinateurs, non altéré selon l'analyse d'Interpol, a mis Hugo Chavez sur la défensive, notamment à l'égard de pays "frères" latino-américains, y compris de gauche, qui découvrent des immixtions "bolivariennes" dans leurs affaires intérieures après avoir sollicité de Bogota l'accès aux fichiers de Raul Reyes. Hugo Chavez, dont l'instinct de survie est un facteur de son étonnant parcours politique, avait besoin, qu'il soit sincère ou non, de se distancier de manière visible des FARC. Même le démocrate progressiste américain Barack Obama, premier candidat noir à la Maison blanche, exige toute la lumière sur les liens entre la guérilla et Chavez avant tout contact "sérieux" avec lui. Espoir pour les otages? Quant à la libération des otages que prône Hugo Chavez, Jacques Thomet tempère l'optimisme. A ses yeux, "on imagine mal les FARC renvoyer dans leurs foyers ces boucliers humains que sont les otages, certains séquestrés depuis 11 ans, puis aller s'asseoir devant une table pour négocier la paix face au président colombien Alvaro Uribe. L'époque des amnisties à répétition en Colombie, comme pour le M-19 en 1991, est révolue depuis la création du Tribunal de La Haye. Les auteurs de crimes contre l'humanité, comme nombre de responsables des FARC, seront un jour ou l'autre poursuivis par les familles des victimes. Les guérilleros le savent et vont réfléchir plus qu'à deux fois avant de mettre une fleur dans le canon de leur AK-47". L'analyste français note qu'un message d'Ivan Marquez, l'un des sept membres du secrétariat (haut commandement collectif) des FARC était diffusé le même dimanche 8 juin que les déclarations de Chavez. Dans ce message daté du 5 juin et publié par l'Agence bolivarienne de presse (ABP), Ivan Marquez écrivait: "Le soulèvement armé est un droit universel comme moyen légitime, pour tous les peuples du monde, de se libérer de l'oppression. L'objectif stratégique des FARC est la prise du pouvoir pour le peuple". "C'est comme si l'état-major des FARC, prévenu du virage qu'allait prendre Hugo Chavez, avait voulu d'avance signifier son refus d'obtempérer à ses desiderata et sa volonté de poursuivre la lutte armée" déduit Jacques Thomet. © LatinReporters.com - Amérique latine - Espagne
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