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Estimant que "la guérilla n'a plus de sens en Amérique latine"
Hugo Chavez prie les FARC de libérer tous leurs otages sans condition
Déclarations et raisons du président du Venezuela
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Hugo Chavez - Pour peu il demanderait à la guérilla des FARC de ne plus faire que du vélo. Photo Marcelo Garcia / Prensa Presidencial
Fabriquée au Venezuela en coopération
avec l'Iran, la bicyclette de Chavez est une "Atomica", appellation ironique
inspirée par l'hostilité des Etats-Unis à l'égard
de la recherche nucléaire iranienne. |
CARACAS, lundi 9 juin 2008 (LatinReporters.com) -
Le président vénézuélien Hugo Chavez change de braquet et quitte
le peloton des FARC. Enfourchant dimanche en direct à la télévision
l'une des premières bicyclettes fabriquées avec l'Iran, il
aurait pu recommander aux guérilleros colombiens de ne plus faire
que du vélo, puisqu'il les a priés, dans le même programme,
de libérer sans condition tous leurs otages, dont Ingrid Betancourt.
"La guérilla, c'est de l'histoire ancienne. Elle n'a plus de sens
en Amérique latine" a asséné Chavez.
A Bogota, ces déclarations ont été bien accueillies
par le gouvernement colombien. "La façon dont s'est exprimé
Chavez n'aide pas les FARC sur le plan international" a estimé
dans une interview à W-Radio le ministre de la Défense, Juan
Manuel Santos. Il a presque versé dans l'euphorie en ajoutant: "J'espère
que les voisins nous aideront à combattre les groupes terroristes
et si les affirmations magnifiques [de Hugo Chavez] se traduisaient dans
les faits, ce serait une grande nouvelle indiquant que la fin des FARC est
proche".
Aussi attend-t-on avec le plus grand intérêt la réponse
des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC, marxistes)
et en particulier de leur nouveau chef, l'idéologue Alfonso Cano,
à ces phrases prononcées par Hugo Chavez, jusqu'à présent
leur principal allié, lors de sa 312e émission dominicale Aló
Presidente:
-"C'en est assez de toute cette guerre, c'est l'heure de s'asseoir pour
parler de paix. C'est notre volonté à nous, les Vénézuéliens.
Je suis disposé, Cano, à aller chercher les otages".
-"C'est mon message pour toi, Cano: allez, laisse tous ces gens partir!
Il y a des vieux, des femmes, des malades et des soldats qui sont retenus
prisonniers dans les montagnes depuis dix ans. Je crois que ça suffit,
Cano. La guerre de guérilla est de l'histoire ancienne."
-"L'heure est arrivée pour les FARC de libérer tous leurs
otages sans aucune contrepartie. Ce serait un grand geste humanitaire et
ce pourrait être le premier pas vers la fin, que nous souhaitons ici,
de la guerre en Colombie."
-"Aujourd'hui un mouvement de guérilla n'a plus de sens en Amérique
Latine. Et vous les FARC devez savoir que vous vous êtes converties
en excuse de l'empire [les Etats-Unis] pour nous menacer tous. Vous
êtes l'excuse parfaite. Le jour où la paix s'installera en Colombie,
l'empire nord-américain n'aura plus d'excuse".
Selon Chavez, il pourrait exister des conditions favorables à un processus
de paix en Colombie, avec un groupe de pays et d'instances qui garantiraient
les accords de paix, comme ce fut le cas en Amérique Centrale (au
Nicaragua et au Salvador). Dans ce cadre, le président vénézuélien
a cité "Argentine, Brésil, Nicaragua, Equateur, France,
Espagne, Portugal, même le Vatican, et l'OEA" (Organisation des
Etats américains).
En clair, Hugo Chavez vient de demander à Alfonso Cano et aux FARC
de se saborder, du moins en tant que mouvement armé, ce qui n'exclurait
pas une mue de la guérilla en force strictement politique. A cet égard, le nouveau
chef des FARC est aussi l'un des présidents de
la Coordination continentale bolivarienne (CCB), mouvement radical qui contribue
à propager en Amérique latine le socialisme dit bolivarien
cher au président vénézuélien.
Le virage du président Chavez est d'autant plus remarqué que
le 11 janvier dernier, à la tribune de l'Assemblée nationale
vénézuélienne, il qualifiait de "véritables
armées occupant un espace en Colombie" la guérilla des
FARC et celle de l'ELN (Armée de libération nationale; guévariste).
"Ce sont des forces insurgées qui ont un projet politique, qui
ont un projet bolivarien qui, ici [au Venezuela], est respecté"
clamait alors Hugo Chavez. Il appelait en outre la communauté internationale
à reconnaître les deux mouvements rebelles et à les extraire
des listes d'organisations terroristes.
Les raisons du virage de Chavez
Se démarquer aujourd'hui des FARC pourrait permettre à Hugo
Chavez et à son nouveau Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV)
d'aborder plus sereinement les importantes élections régionales
et municipales de novembre. Souvent mal compris au Venezuela, le soutien
bruyant de Chavez à une guérilla colombienne qui a séquestré
également des Vénézuéliens avait contribué
partiellement à sa première défaite électorale,
au référendum constitutionnel de décembre 2007.
On remarquera aussi que si quasi toute l'Amérique du Sud (mais non toute l'Amérique
latine) est aujourd'hui régie par des gouvernements
relevant d'une gauche modérée ou radicale, la Colombie est
une notable exception, en fonction précisément du rejet populaire
majoritaire de la violence des FARC. Chez cet important voisin du Venezuela
qu'est la Colombie, les guérilleros freineraient en somme l'expansion
par les urnes du socialisme bolivarien dont ils se proclament pourtant les
alliés.
L'analyste français Jacques Thomet, ex-directeur de l'Agence France
Presse (AFP) à Bogota et Caracas, écrit par ailleurs sur son
excellent blog: "Si le
président vénézuélien
a opéré cette étonnante mutation, c'est pour une raison
évidente. Les 17.000 fichiers saisis dans les ordinateurs de Raul Reyes,
l'ancien nº2 de la guérilla éliminé le 1er mars
dernier, illustrent sa complicité active avec les FARC, via des aides
en argent et en armes. Et tous les documents sont loin d'avoir été
révélés dans leur intégralité. Parvenir
à tordre le bras aux FARC pour qu'ils se rendent, ou à tout
le moins tenter de le faire, est à même d'éviter à
Chavez les désagréments que pourrait lui valoir un maintien
de son appui à la guérilla, y compris devant le Tribunal pénal
international de La Haye".
Il est vrai que le contenu de ces ordinateurs, non altéré selon
l'analyse d'Interpol, a mis Hugo Chavez sur la défensive, notamment
à l'égard de pays "frères" latino-américains,
y compris de gauche, qui découvrent des immixtions "bolivariennes"
dans leurs affaires intérieures après avoir sollicité
de Bogota l'accès aux fichiers de Raul Reyes.
Hugo Chavez, dont l'instinct de survie est un facteur de son étonnant parcours
politique, avait besoin, qu'il soit sincère ou non, de se distancier de manière
visible des FARC. Même le démocrate progressiste américain
Barack Obama, premier candidat noir à la Maison blanche, exige toute
la lumière sur les liens entre la guérilla et Chavez avant
tout contact "sérieux" avec lui.
Espoir pour les otages?
Quant à la libération des otages que prône Hugo
Chavez, Jacques Thomet tempère l'optimisme. A ses yeux, "on imagine
mal les FARC renvoyer dans leurs foyers ces boucliers humains que sont les
otages, certains séquestrés depuis 11 ans, puis aller s'asseoir
devant une table pour négocier la paix face au président colombien
Alvaro Uribe. L'époque des amnisties à répétition
en Colombie, comme pour le M-19 en 1991, est révolue depuis la création
du Tribunal de La Haye. Les auteurs de crimes contre l'humanité, comme
nombre de responsables des FARC, seront un jour ou l'autre poursuivis par
les familles des victimes. Les guérilleros le savent et vont
réfléchir plus qu'à deux fois avant de mettre une fleur
dans le canon de leur AK-47".
L'analyste français note qu'un message d'Ivan Marquez, l'un des sept
membres du secrétariat (haut commandement collectif) des FARC était
diffusé le même dimanche 8 juin que les déclarations
de Chavez. Dans ce message daté du 5 juin et publié par l'Agence
bolivarienne de presse (ABP), Ivan Marquez écrivait: "Le soulèvement
armé est un droit universel comme moyen légitime, pour tous
les peuples du monde, de se libérer de l'oppression. L'objectif stratégique
des FARC est la prise du pouvoir pour le peuple".
"C'est comme si l'état-major des FARC, prévenu du virage
qu'allait prendre Hugo Chavez, avait voulu d'avance signifier son refus d'obtempérer
à ses desiderata et sa volonté de poursuivre la lutte armée"
déduit Jacques Thomet.
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