Les pourparlers lancés à Oslo se poursuivront en novembre à La Havane
Négociations Colombie-Farc: deux visions distinctes de la paix
 

OSLO / BOGOTA, vendredi 19 octobre 2012 (LatinReporters.com) - Pour tenter de clore le plus vieux conflit armé d'Amérique latine, le gouvernement de la Colombie et la guérilla marxiste des Farc, créée en 1964, recherchent ensemble la paix pour la quatrième fois en trente ans. Mais l'ouverture officielle de ce nouveau processus, jeudi à Oslo, a confirmé que la paix n'a pas la même signification pour les deux parties.

"La paix ne signifie pas le silence des fusils. Elle recouvre aussi des changements dans les structures de l'État et les structures économiques" a lancé Ivan Marquez, nº2 des Farc (Forces armées révolutionnaires de Colombie) et chef de leur délégation. Prônant une "paix avec justice sociale" et réclamant en conséquence des "réformes économiques et sociales radicales", il a fait une longue et virulente tirade contre "les crimes du capitalisme", accusant les États-Unis, les grands propriétaires terriens, les compagnies pétrolières ou encore les groupes miniers d'être des "flibustiers", des "cow-boys" ou des "vampires".

"Ils devraient lutter pour leurs idées, mais dans le cadre de la démocratie"

"Ni le modèle économique ni les investissements étrangers ne sont à l'agenda de ces pourparlers" a répliqué le chef de la délégation gouvernementale colombienne, l'ancien vice-président Humberto de la Calle. Il a précisé que "les 5 points concrets de l'agenda" (qui en compte en fait six) du processus de paix sont le fruit d'un accord, l'"Accord Général pour mettre fin au conflit et construire une paix stable et durable", accepté par les Farc et signé en août à Cuba par les deux parties.

L'action politique allant au-delà de l'agenda des pourparlers pourrait être exercée par les militants des Farc lorsqu'ils auront déposé les armes, a poursuivi en substance Humberto de la Calle. "Ils devraient lutter pour leurs idées, mais dans le cadre de la démocratie", a-t-il dit, l'essentiel étant que "la politique ne se fasse plus par les armes". Les Farc n'ont toutefois pas oublié l'assassinat de 4.000 membres de l'Union patriotique, leur expression politique autorisée dans les années 80 du siècle dernier.

L'ex-vice-président a par ailleurs confirmé, contrariant le souhait des Farc, le refus du président colombien Juan Manuel Santos d'instaurer un cessez-le-feu avant un succès total des négociations. "Nous ne serons pas liés indéfiniment à ce processus" a-t-il en outre menacé, pressant ainsi implicitement les Farc, largement surpassées par l'armée colombienne, de saisir la chance offerte par les nouveaux pourparlers.

Sans le poids d'un conflit qui a fait quelque 400.000 morts et déplacé près de quatre millions de Colombiens, ce duel dialectique illustrant de profondes divergences aurait pu être l'oraison funèbre d'une négociation mort-née. Elle se poursuivra néanmoins à Cuba, entrant dans le vif du sujet le 15 novembre à La Havane avec l'important chapitre du développement agraire, un cheval de bataille de la rébellion née voici près d'un demi-siècle d'une insurrection paysanne.

Ivan Marquez et Humberto Lacalle s'exprimaient devant la presse internationale, convoquée dans un hôtel de la localité de Hurdal, à 70 km au nord d'Oslo. La Norvège, dont la diplomatie a favorisé de nombreuses initiatives de paix, et Cuba appuient les pourparlers en qualité de "garants". Le Venezuela et le Chili y sont associés en tant qu'"accompagnateurs".

L'agenda du processus de paix

Les Farc sont inscrites sur la liste des organisations terroristes des États-Unis et de l'Union européenne. Bogota a prié Interpol de suspendre les avis de recherche et de capture visant les négociateurs des insurgés afin qu'ils puissent voyager sans risquer d'être appréhendés. Incorporée tardivement à la représentation des Farc, la célèbre guérillera néerlandaise Tanja Nijmeijer, unique recrue européenne connue des Farc, figurait encore hier sur une carte rouge d'Interpol. Elle n'a donc pas pu se rendre à Oslo, mais elle participera en novembre aux négociations à La Havane.

Contenus dans l'"Accord Général pour mettre fin au conflit et construire une paix stable et durable" signé en août à Cuba par les Farc et le gouvernement colombien après six mois de contacts exploratoires, les six points successifs de l'agenda du processus de paix sont, dans l'ordre, le développement agraire, la réinsertion des guérilleros et leur accès à la scène politique, la fin du conflit avec cessez-le-feu définitif et adieu aux armes, la solution du problème des drogues, les réparations dues aux victimes du conflit et, enfin, la mise-en-oeuvre vérifiée de tous les points accordés. L'accord final et la fin des hostilités n'existeront qu'après accord sur le tout.

Les "réformes économiques et sociales radicales" réclamées par Ivan Marquez ne figurent pas dans ce menu. Toutefois, le chef de la délégation des Farc a justifié sa revendication en invoquant le préambule du même "Accord général". Le leader guérillero a affirmé qu'aux yeux de son mouvement ce préambule a "force contraignante" et il en a lu des extraits devant la presse.

Tant le gouvernement colombien que les Farc reconnaissent notamment dans ledit préambule que "le développement économique avec justice sociale et en harmonie avec l'environnement est une garantie de paix et de progrès" et que "le développement social dans l'équité et le bien-être, étendus à la grande majorité, permet de progresser en tant que pays".

"Abîme" entre le gouvernement de Bogota et les Farc

"Chaque camp a clairement affiché son point de départ différent. Pour les Farc, la paix passe par des changements sociaux, tandis que le gouvernement a insisté sur le passage du combat armé au combat politique", explique à l'AFP le politologue colombien Jaime Zuluagua.

Le ton acéré des interventions a montré "l'étendue des difficultés qui attendent les négociateurs", selon ce professeur de l'Université nationale de Bogota. "Mais les Colombiens peuvent garder l'espoir que chacun ait enfin la maturité de comprendre que la guerre sert les pires intérêts du pays", poursuit-il.

L'analyste et académicien colombien Vicente Torrijos, cité par l'agence espagnole EFE, souligne pour sa part "le grand abîme séparant le gouvernement et les Farc sur ce que signifierait la fin du conflit", Bogota l'assimilant à l'adieu aux armes et les guérilleros voulant une paix qui garantisse leurs objectifs stratégiques historiques.

Entre la rigueur des négociateurs gouvernementaux voulant s'en tenir à l'agenda et l'obstination de la guérilla à réclamer la transformation de la Colombie, Vicente Torrijos n'écarte pas l'entrée en scène d'un médiateur dont il cite le nom : Hugo Chavez, président du Venezuela.


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