Retour / Back

Le président se soumet au verdict de la Cour constitutionnelle
Colombie - Uribe s'en ira le 7 août : démocratie et succession présidentielle

BOGOTA / MADRID, dimanche 28 février 2010 (LatinReporters.com) - Huit ans de règne du président conservateur Alvaro Uribe s'achèveront le 7 août 2010. Ce jour-là, le président peut-être le plus populaire de l'histoire de la Colombie cédera le pouvoir à son successeur élu le 30 mai (1er tour) ou le 20 juin (2e tour). Avec une humilité démocratique le différenciant d'autres chefs d'Etat de la région, le président Uribe se soumet au verdict de la Cour constitutionnelle qui l'empêche de briguer un 3e mandat. Ce verdict ne passera pas inaperçu au Venezuela.

Reflétant l'opinion de sept de ses neuf magistrats, la Cour constitutionnelle colombienne a frappé de nullité, le 26 février, la loi 13-54 de 2009 convoquant un référendum visant à amender la Constitution pour élargir à un 3e mandat consécutif la réélection présidentielle. La Charte suprême avait déjà été révisée en 2005 pour permettre au président d'être réélu une seule fois. Alvaro Uribe le fut en 2006 dès le premier tour avec une majorité absolue de 62%, supérieure à celle de 53% obtenue en 2002. Sa popularité actuelle surpasse 70% et les Colombiens l'auraient sans doute maintenu à la présidence s'il avait pu se présenter à nouveau.

Parmi les vices de forme dénoncés par la Cour constitutionnelle figurent les dépenses excessives, lors du recueil des millions de signatures nécessaires, des promoteurs du référendum désormais enterré. La Cour taxe aussi d'illégale l'approbation de la loi référendaire 13-54 lors de sessions parlementaires additionnelles convoquées par un décret non publié au Journal officiel. Est en outre jugée inconstitutionnelle la modification parlementaire tardive de la question référendaire, portant d'abord par erreur sur une réélection présidentielle espacée avant d'être corrigée pour traiter de réélection immédiate.

La Cour constitutionnelle estime que ces vices de forme "ne sont pas de simples irrégularités formelles, mais bien des violations substantielles du principe démocratique, dont l'une des composantes est le respect des normes dans lesquelles il prévu que se prononcent les majorités".

Il semble donc qu'aux yeux des magistrats de la Cour la forme et le fond seraient ici indissociables. C 'est toutefois un vice purement de fond qui confère à la sentence un poids considérable, à savoir qu'une seconde réélection (pour assumer un 3e mandat présidentiel) briserait, estiment en substance les magistrats, les mécanismes prévus pour empêcher qu'un pouvoir (en l'occurrence l'exécutif) ne se superpose aux autres. "Le principe de la séparation des pouvoirs, le système de freins et de contrepoids et la règle de l'alternance" équilibrant une démocratie étaient en jeu selon la Cour constitutionnelle, a précisé son président, Mauricio Gonzalez.

Message pour le Venezuela

A défaut de faire jurisprudence en Amérique latine, ces arguments de la justice colombienne pour interdire une nouvelle réélection présidentielle seront applaudis par l'opposition dans divers pays de la région, surtout au Venezuela. Le président vénézuélien Hugo Chavez a réussi en février 2009 a introduire dans sa Constitution bolivarienne la réélection présidentielle sans limite du nombre de mandats. Il sera en 2012 candidat à un 3e sexennat. Une nouvelle victoire électorale lui permettrait de perpétuer un régime présidentiel autoritaire échappant largement à un contrôle parlementaire de surcroît nettement moins exigeant que dans les démocraties européennes. "Où se situe la ligne séparant la démocratie de la néodémocratie dans laquelle le président agit comme substitut de la légitimité des institutions, disposant de pouvoirs au-delà du raisonnable?" se demandaient dans leur Rapport 2009 les analystes internationaux de l'influente Corporación Latinobarómetro, basée à Santiago du Chili.

Le président colombien Alvaro Uribe est dans son pays aussi populaire et sans doute même plus que ne le sont chez eux le Vénézuélien Hugo Chavez, le Bolivien Evo Morales et l'Equatorien Rafael Correa. Ces trois derniers, unis par un socialisme radical américanophobe, ont purement et simplement destitués à des dates diverses des juges ayant émis des verdicts "contre-révolutionnaires", c'est-à-dire contestant la légalité de décisions gouvernementales. Alvaro Uribe, lui, déclarait "Je prends acte et je respecte l'arrêt de la Cour constitutionnelle", soulignant après le verdict pourtant fatal à son avenir politique que "l'Etat de droit est une grande conquête de l'humanité".

Cette humilité démocratique fit défaut à l'ex-président du Honduras, Manuel Zelaya. Téléguidé par Hugo Chavez, il tenta, avec les conséquences dramatiques connues (coup d'Etat du 28 juin 2009), d'instaurer la réélection présidentielle malgré les avertissements répétés d'inconstitutionnalité que lui lançaient la Cour suprême de Justice, le Parquet de la République, le Tribunal suprême électoral et le Congrès national (Parlement) honduriens. Le président Uribe serait-il, comme Manuel Zelaya, déposé par l'armée avant le terme de son mandat s'il défiait la Cour constitutionnelle en briguant une nouvelle réélection? La question est sans objet puisqu'Alvaro Uribe, lui, a fait allégeance à l'institution démocratique qu'est un pouvoir judiciaire indépendant de l'exécutif.

La joie des syndicats colombiens, qui ont applaudi le verdict de la Cour constitutionnelle, renforce le caractère d'avertissement implicite que constitue ce verdict pour Hugo Chavez et ses alliés régionaux de la gauche radicale. Le refus d'une nouvelle réélection présidentielle est historique, car "prévalent ainsi les principes constitutionnels de limitation de l'exercice du pouvoir et de protection de l'Etat démocratique" affirme la Centrale unitaire des travailleurs de Colombie (CUT). Selon elle, une 3e mandat du chef de l'Etat "aurait mis fin à l'équilibre des pouvoirs et permis une dictature civile constitutionnelle". Au Venezuela, pareil discours serait actuellement considéré comme subversif ou même putschiste.

Quant aux Etats-Unis, ils saisissent l'occasion pour justifier leurs liens privilégiés avec Bogota. "La décision de la Cour [constitutionnelle] est un nouveau signal de démocratie vibrante et mûre montrant pourquoi la Colombie est un allié si apprécié" à Washington déclare au journal colombien El Tiempo un porte-parole du département d'Etat, Charles Luoma-Overstreet.

Qui succédera à Alvaro Uribe?

El Tiempo estime que l'inéligibilité soudaine du président Uribe rend leurs chances à au moins sept candidats potentiels. Le journal ajoute que le futur chef de l'Etat ne sera probablement pas connu avant le 20 juin, date du second tour de l'élection présidentielle.

Les résultats du sondage le plus récent, diffusés le 18 février, huit jours avant la décision de la Cour constitutionnelle, classaient dans l'ordre, loin derrière l'encore intouchable Uribe, son ex-ministre de la Défense Juan Manuel Santos (18% des intentions de vote), l'ex-maire indépendant de Medellin Sergio Fajardo (12%) et l'ex-ministre conservatrice des Affaires étrangères Noemi Sanin (11%).

Aucun de ces trois désormais favoris ne dénoncerait le récent accord militaire, très critiqué en Amérique latine, qui autorise l'utilisation par les Etats-Unis d'au moins sept bases colombiennes. Ces trois précandidats n'ont en outre pas de sympathie particulière ni pour le voisin vénézuélien Hugo Chavez ni moins encore pour ses amis de la narco-guérilla marxiste des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie). Ses succès contre les FARC expliquent l'essentiel de la popularité du président Uribe. La libération spectaculaire, le 2 juillet 2008 par l'armée colombienne, de 15 otages des FARC, dont la Franco-Colombienne Ingrid Betancourt et trois Américains, est le meilleur atout électoral de Juan Manuel Santos. Responsable de la Défense à l'époque, il est perçu aujourd'hui comme le dauphin d'Alvaro Uribe.

Quant à la gauche regroupée au sein du Pôle démocratique alternatif (PDA), son candidat présidentiel Gustavo Petro, autrefois militant de la guérilla urbaine M-19 (Mouvement du 19 avril, actif de 1970 à 1990), n'était crédité le 18 février que de 9% des intentions de vote.

Les élections législatives du 14 mars et de prochains sondages n'incluant plus Alvaro Uribe devraient modifier ou affiner substantiellement les pronostics actuels sur la succession présidentielle.


© LatinReporters.com - Amérique latine - Espagne