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Au moins 500.000 emplois publics à supprimer, secteur privé élargi
Cuba: l'actualisation du "modèle qui ne fonctionne plus" démarre

LA HAVANE, samedi 18 septembre 2010 (LatinReporters.com)
Suppression de 500.000 emplois publics d'ici fin mars 2011, privatisation d'activités professionnelles qu'exerceront des indépendants ayant accès au crédit, extension des coopératives au-delà du secteur agricole, nouveau système fiscal ... Dix jours après la publication de la fameuse phrase de Fidel Castro, "Le modèle cubain ne fonctionne même plus pour nous", on ne parle à Cuba que de l'"actualisation du socialisme".

"Actualisation"... Euphémisme? Le mot permet certes aujourd'hui de se réclamer encore d'une Révolution qui n'aurait officiellement besoin que d'un vigoureux toilettage économique parrainé, ou pour le moins toléré, par le Parti communiste cubain, qui demeure le seul autorisé dans l'île des frères Castro. Mais l'incisive blogueuse dissidente Yoani Sanchez pose déjà la question de demain: "Comment [le pouvoir] réagira-t-il lorsque l'autonomie économique de ceux qui travaillent à leur compte se convertira en autonomie idéologique?"

Indépendants admis dans 124 types d'activité

La suppression de 500.000 emplois publics au cours des six prochains mois était annoncée le 13 septembre par un communiqué de la Centrale des travailleurs de Cuba (CTC), l'unique syndicat officiel de l'île.

La mesure "aura un impact sur tous les secteurs (...) Notre Etat ne peut pas et ne doit pas continuer à entretenir des entreprises et des services dont les effectifs sont en surnombre et où les pertes sont contre-productives" affirmait la communiqué. Il laissait entrevoir des coupes plus massives encore à une date indéterminée en évaluant à "plus d'un million de personnes" le personnel excessif du secteur public.

Selon la CTC, les nouveaux chômeurs devraient pouvoir trouver du travail dans le secteur privé, au sein de coopératives ou en travaillant comme indépendants.

Cuba compte 11 millions d'habitants. Parmi sa population active globale de quelque cinq millions de personnes, seules 591.000 travaillent actuellement dans le privé, ce qui inclut la plupart des familles d'agriculteurs et 143.000 indépendants, selon le Bureau national des statistiques.

Des documents circulant sur les lieux de travail indiquent que le gouvernement cubain prévoit d'accorder 250.000 nouveaux permis à ceux qui se recycleraient comme indépendants dans 124 types d'activité. La liste s'ouvre aux électriciens, photographes, jardiniers, plombiers, traducteurs, peintres en bâtiment, horlogers, mécaniciens, cordonniers, cireurs, coiffeurs, etc. D'autres professions également citées dans le cadre de cette ouverture -notamment porteur d'eau, muletier ou réparateur de parapluies- étonneront peut-être, plus d'un demi-siècle après l'avènement de la Révolution castriste, certains de ses sympathisants étrangers.

Microcrédits et nouvelle fiscalité

Pour absorber l'autre moitié des 500.000 Cubains qui seront licenciés, les plans de relance économique du président Raul Castro misent sur la création de coopératives et, dans une moindre mesure, de microentreprises. L'accès au crédit et l'autorisation d'engager des travailleurs salariés seraient en principe assurés. Pouvant, le cas échéant, devenir des fournisseurs de l'Etat, les nouvelles coopératives dynamiseraient les secteurs de la construction, de l'agroalimentaire, de l'industrie légère et même ... des pompes funèbres!

Des experts espagnols de la Mondragón Corporación Cooperativa, perle du mouvement coopératif basque, et des techniciens de l'Agence espagnole de coopération internationale participent déjà à la préparation de la reconversion d'entreprises publiques en coopératives.

A propos du financement que nécessitera cette actualisation de l'économie, le gouvernement cubain s'intéresse aux programmes de microcrédits élaborés notamment par l'Espagne, la Norvège, l'Union européenne et les Nations unies dans le cadre de leur aide au développement.

Selon un document que font circuler des dirigeants du Parti communiste cubain, un nouveau système fiscal sera appliqué aux nouvelles activités. Des impôts progressifs grèveront les revenus personnels, les chiffres d'affaires, la publicité et l'utilisation de salariés. Indépendants et coopératives devront aussi alimenter la sécurité sociale.

En résumé, le mastodonte étatique, qui emploie 85% des travailleurs cubains, espère à la fois réduire ses coûts en licenciant massivement et accroître ses recettes grâce aux impôts prélevés sur un secteur privé élargi. La libre entreprise est ainsi appelée au secours de la Révolution qui l'avait asphyxiée. La Chine et le Vietnam ont déjà vécu et surpassé ce paradoxe.

L'"actualisation" cubaine reste entourée d'incertitudes

Que se passera-t-il si des dizaines de milliers de travailleurs parmi les 500.000 prochainement licenciés plongent dans un chômage de longue durée, avec une indemnité de licenciement limitée à un mois de salaire par tranche de 10 années d'ancienneté? Le pouvoir d'achat des Cubains est-il suffisant pour relancer l'initiative privée? En envisageant des taux d'imposition atteignant parfois 40%, la nouvelle fiscalité sera-t-elle d'emblée un étouffoir?

A ces questions s'ajoute celle des résistances de collectivistes orthodoxes. A titre d'exemple, le quotidien Granma, organe officiel du Comité central du Parti communiste de Cuba, faisait grand cas, le 17 septembre, d'une lettre de lecteur intitulée "La vie dans le socialisme : invitation à pense différemment".

Signée par l'un du commun des mortels, R. Villavicencio Finalét, la lettre disait notamment : "Certains défendent la propriété privée, comme si avaient été négligeables les souffrances millénaires endurées par des millions d'êtres humains au cours de leur évolution historique à cause de ce fléau, porteur de la mentalité égoïste léguée par le passé. Lénine disait que la petite propriété engendre la bourgeoisie et nous connaissons tous la manière de penser d'un bourgeois".


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