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L'autoritarisme de Rafael Correa contesté à gauche aussi
Equateur: "tentative de coup d'Etat" selon le président Correa, délivré par l'armée

QUITO, vendredi 1er octobre 2010 (LatinReporters.com) - Libéré au soir du 30 septembre par l'armée après avoir été séquestré le matin par des policiers mutinés pour raison dite salariale, le président de l'Equateur, Rafael Correa, a dénoncé une "tentative de coup d'Etat". La communauté internationale lui a exprimé un appui unanime. Socialiste radical et allié du président vénézuélien Hugo Chavez, le président Correa, 47 ans, n'en est pas moins critiqué par la gauche amérindienne et syndicale, ainsi que par l'Eglise.

L'explosion près de lui de grenades lacrymogènes lancées dans une caserne de la capitale, Quito, par des policiers qu'il tentait de rassurer sur l'avenir de leurs rémunérations obligea Rafael Correa à se réfugier dans un hôpital où les mutins le séquestrèrent onze heures durant.

Des policiers rebelles occupèrent en outre l'Assemblée nationale et des commissariats à Quito, Guayaquil et Cuenca. De leur côté, 150 militaires mutins avaient bloqué l'aéroport international de la capitale.

Sans que l'on sache encore si ces mouvements étaient planifiés, ils pourraient, comme la séquestration du président, accréditer la thèse de la tentative de coup d'Etat. Les mutins qui retenaient Rafael Correa lui offrirent néanmoins, aux dires mêmes du président, de le libérer s'il acceptait d'abroger la nouvelle loi qui annule des primes et avantages divers dont jouissaient policiers et militaires.

Le chef de l'Etat refusa ce chantage. Une opération de militaires loyalistes le délivra au prix, selon la Croix-Rouge, de deux morts et trente-sept blessés. Au terme d'une journée de crise sans précédent depuis son arrivée au pouvoir, en janvier 2007, Rafael Correa était ramené sous escorte au palais de Carondelet, siège de la présidence au coeur historique de la capitale, Quito.

"Des frères équatoriens sont tombés pour me libérer. C'est un jour de profonde tristesse. Je n'aurais jamais cru que cela se produirait sous mon gouvernement, qui ne cherche que le bien vivre" lançait d'un balcon le président aux centaines de partisans qui l'acclamaient.

L'ex-président Lucio Gutierrez accusé

Rafael Correa a impliqué dans les événements "des gens de Lucio Gutierrez", désignant ainsi comme l'un des responsables de la tentative présumée de coup d'Etat l'ancien officier putschiste élu président en 2002, puis destitué en 2005 par une majorité simple du Parlement (alors que la Constitution exigeait la majorité des deux tiers) à la faveur d'une rébellion de la classe moyenne de la capitale. C'est à l'issue de ce putsch civil contre Lucio Gutierrez, abandonné par l'armée, que Rafael Correa devint ministre de l'Economie et commença à caresser des ambitions présidentielles.

"Ce qui s'est passé aujourd'hui est une tentative de coup d'Etat" a insisté à la télévision Rafael Correa, relevant "diverses actions coordonnées visant à semer le chaos sous prétexte du retrait de bénéfices économiques à la police nationale et aux militaires, ce qui est faux".

Le président équatorien a promis qu'il n'y aura "ni pardon ni oubli", car "ici ce ne sera pas comme au Honduras" [où les putschistes de juin 2009 demeurent impunis - NDLR]. Il a aussi averti que la police nationale sera soumise à "une profonde dépuration". Son chef, le général Freddy Martinez, a présenté sa démission.

La communauté internationale a été unanime a exprimer son soutien à Rafael Correa. L'Organisation des Etats américains, les Nations unies, l'Union européenne, la secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton, l'Union des nations sud américaines, etc. ont exigé le respect de l'ordre constitutionnel en Equateur. Les pays latino-américains gouvernés par la droite -Chili, Colombie, Mexique, Panama et même le Honduras- n'ont pas hésité à condamner le coup de force de la police équatorienne.

Le président vénézuélien Hugo Chavez et son homologue bolivien Evo Morales inscrivent la présumée tentative de coup d'Etat dans qu'ils appellent "la conspiration permanente" des Etats-Unis contre la gauche en Amérique latine et en particulier contre les pays de la gauche radicale appartenant à l'ALBA. Cette Alliance bolivarienne pour les Amériques regroupe notamment l'Equateur, le Venezuela, la Bolivie, Cuba et le Nicaragua.

Amérindiens, syndicats et Eglise font la leçon au gouvernement et au président

Réélu président de l'Equateur en avril 2009 dès le premier tour après avoir multiplié les programmes sociaux dans ce pays de 14 millions d'habitants où 38% de la population vit sous le seuil de pauvreté, Rafael Correa a vu sa popularité s'effriter ces derniers mois.

Même si 53% des Equatoriens approuvent sa gestion, selon un sondage Cedatos-Gallup publié mi-septembre, il affronte depuis des semaines la fronde des indigènes, des enseignants et des chauffeurs. L'opposition cherche en outre à promouvoir un référendum en vue de sa révocation. La situation est également tendue dans son camp. Selon les médias équatoriens, Rafael Correa envisagerait de dissoudre l'Assemblée nationale et de gouverner par décrets jusqu'à de prochaines élections anticipées, car une partie de la majorité parlementaire présidentielle renâcle devant ses mesures de rigueur budgétaire, à l'origine du soulèvement policier.

Dans ce contexte, des composantes importantes de la société équatorienne ont émis pendant les événements du 30 septembre des déclarations ou communiqués significatifs.

Très représentative des Amérindiens qui constituent au moins le tiers de la population équatorienne, la CONAIE (Confédération de nationalités indigènes d'Equateur) a appelé à la mobilisation de ses bases contre la droite putschiste, mais en exprimant parallèlement son "rejet de la politique économique et sociale du gouvernement". Se prononçant notamment contre le modèle économique "d'extraction et d'ouverture de mines à grande échelle" et contre "la privatisation et la concentration de l'eau", la CONAIE prie "le gouvernement national d'abandonner son attitude autoritaire contre les secteurs populaires" et de ne plus "criminaliser la contestation sociale et ses dirigeants".

Au nom de l'ensemble des syndicats équatoriens, Nelson Erazo, président de l'Union générale des travailleurs d'Equateur, a expliqué pour sa part les événements du 30 septembre en affirmant que "l'autoritarisme [gouvernemental] provoque des réactions" et que "le mécontentement des travailleurs, des professeurs, des paysans, des étudiants, de la police et de l'armée est le résultat de la politique arbitraire de Rafael Correa". Comme la CONAIE, le dirigeant syndicaliste reproche au chef de l'Etat de "criminaliser la lutte populaire", portant atteinte "aux droits et garanties constitutionnelles".

Quant à l'Eglise, la Conférence épiscopale équatorienne a demandé à la police et à l'armée de recourir aux voies légales pour exprimer leurs plaintes et revendications. Mais dans le même communiqué, les prélats exhortent "le gouvernement et l'Assemblée nationale à confirmer quotidiennement leur légitimité en respectant les autres et en évitant la tentation d'utiliser leur pouvoir hors des voies de l'Etat de droit".

Lucio Gutierrez réfute les accusations de Rafael Correa

Enfin, de Brasilia, où il effectue une visite de travail, l'ex-président équatorien Lucio Gutierrez a réfuté l'accusation d'inspiration de tentative de coup d'Etat lancée contre lui par Rafael Correa. "L'unique responsable" de la crise et du "chaos" en Equateur est "le gouvernement abusif, corrompu et arrogant de Rafael Correa" a-t-il affirmé par téléphone à l'agence de presse espagnole EFE.

Leader du principal parti d'opposition, la Société patriotique qu'il fonda, Lucio Gutierrez croit nécessaire la convocation d'élections législatives et présidentielle anticipées. Il reproche au président Correa et à son administration d'avoir "semé la haine et la violence parmi les Equatoriens", de "violer en permanence les droits des citoyens" et de faire obstruction à la justice, par exemple en ne "permettant pas au parquet d'enquêter sur la dénonciation de liens éventuels du gouvernement avec les FARC", la guérilla marxiste des Forces armées révolutionnaires de Colombie.

[NDLR - Sur la base de courriers électroniques contestés apparus dans des ordinateurs saisis dans un camp des FARC attaqué le 1er mars 2008 au nord de l'Equateur par l'armée colombienne, Rafael Correa fut accusé à Bogota d'avoir reçu de cette guérilla, terroriste aux yeux de l'Union européenne et des Etats-Unis, 400.000 dollars pour sa campagne électorale de 2006].


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