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Contre un accord de libre-échange avec les Etats-Unis, les communautés indiennes bloquent les routes L'Equateur semi-paralysé: "risque de coup d'Etat" selon le président Palacio
"Citoyens, je vous convoque à serrer les rangs pour protéger la démocratie" a imploré le président Palacio. Selon lui, "on a réactivé la démolition criminelle de nos institutions fondamentales... On fomente une ambiance de chaos, qui peut être un terrain propice à de nouvelles ruptures constitutionnelles et à des coups d'Etat". Erigés à l'appel de la CONAIE (Confédération de nationalités indigènes d'Equateur), des barrages bloquent depuis lundi, dans la Sierra andine, les routes de 9 des 22 provinces du pays. La panaméricaine, qui court du nord au sud, est coupée en divers points par des troncs d'arbres, des pierres et des tranchées. En Equateur, dont la monnaie est le dollar américain et où les pauvres sont majoritaires, le tiers au moins des 13 millions d'habitants sont Indiens. La CONAIE affirme représenter les trois quarts d'entre eux. Selon cette confédération, 25.000 Indiens participent au blocus. Un début de pénurie s'installe sur les marchés de plusieurs villes, y compris et surtout à Quito, la capitale. Le prix de certaines denrées alimentaires a grimpé de 25% en trois jours. Avec son slogan "TLC firmado, Palacio derrocado" ("Traité de libre commerce signé, Palacio renversé"), la CONAIE menace explicitement de faire tomber le gouvernement, au besoin en marchant sur Quito, si le président Palacio n'abandonne pas la négociation, avec les Etats-Unis, d'un traité de libre-échange similaire à ceux déjà signés par Washington avec le Pérou et la Colombie, les deux et seuls voisins de l'Equateur. Le prochain round de cette négociation devrait s'ouvrir le 23 mars. Disant vouloir éviter un effondrement de l'économie équatorienne au seul profit des Etats-Unis, la CONAIE exige un référendum sur le TLC. Elle réclame aussi la nationalisation du pétrole et le départ de la société américaine Oxy (Occidental Petroleum), qui exploite 115.000 des 532.000 barils quotidiens de brut produits en Equateur. Le pétrole assure 35% du budget de l'Etat. Dans la province amazonienne de Pastaza, des militaires ont repoussé à coup de grenades lacrymogènes et de balles en caoutchouc des manifestants indiens qui voulaient occuper des champs pétroliers. A Quito, mercredi, des forces anti-émeute de la police ont également utilisé des gaz lacrymogènes contre des groupes d'étudiants qui lançaient des pierres lors d'une manifestation contre le TLC et Oxy. La CONAIE se prononce en outre contre la cession aux Etats-Unis, depuis 1999 et jusqu'en 2009, de la base aérienne de Manta. Située sur la côte du Pacifique, à une demi-heure de vol de la Colombie, la base militaire de Manta est l'une des quatre utilisées par les Etats-Unis dans la région pour surveiller le narcotrafic aérien, terrestre et maritime en Amérique du Sud. Le Salvador, ainsi qu'Aruba et Curaçao (îles des Antilles néerlandaises proches du Venezuela) abritent les trois autres. Dans son message télévisé, le président Alfredo Palacio a accusé la CONAIE de lancer "des consignes clairement politiques" qui n'auraient "aucune explication" sociale. Le chef de l'Etat a affirmé que le TLC avec les Etats-Unis ne serait signé que s'il était avantageux pour l'Equateur. Il a indiqué que le cas d'Oxy est actuellement analysé, une demande d'annulation du contrat avec cette société pétrolière américaine ayant été présentée par l'entreprise publique Petroecuador et par le procureur général. Il est officiellement reproché à Oxy d'avoir vendu sans en informer l'Etat équatorien 40% de ses actions à une société canadienne, qui les a revendues à son tour le mois dernier à un consortium pétrolier chinois. A l'issue d'une réunion avec Alfredo Palacio au Palais présidentiel de Carondelet, le président du Parlement, Wilfrido Lucero, a émis lui aussi, mercredi, un diagnostic alarmiste. "Le pays est plongé dans une véritable convulsion. La situation est très critique. Nous allons vers l'anarchie et probablement vers la dissolution", disait-il à la presse, sans préciser si la "dissolution" se rapporte au gouvernement, au Parlement, ou aux deux à la fois. Le ministre de l'Intérieur, Alfredo Castillo, a alourdi ce climat de crise politique grave en annonçant mercredi sa démission. Selon lui, les Indiens "ont raison... Le TLC n'a pas été débattu au Congrès de la République... Pris par un appareil financier et spéculatif, l'Etat équatorien est conduit et déterminé par un système d'endettement et de contrôle du pétrole et de nos ressources, ainsi que par notre signification géopolitique"... Le président Alfredo Palacio avait succédé le 20 avril 2005 au président et ex-militaire putschiste Lucio Gutierrez, destitué par un vote du Parlement. Des élections présidentielles et législatives auront lieu en principe le 15 octobre prochain. Comme dans les deux autres pays de la région à forte composante indienne, la Bolivie et le Pérou, l'opposition est vive en Equateur au libre-échange avec les Etats-Unis. Au Pérou, l'un des favoris de l'élection présidentielle du 9 avril prochain est le nationaliste autochtone Ollanta Humala (autre ex-militaire putschiste), proche des présidents bolivien, Evo Morales, et vénézuélien, Hugo Chavez. De telles figures de proue électorales n'ont pas encore surgi en Equateur au sein du camp nationaliste et autochtone... A moins que Lucio Gutierrez, revenu d'exil et libéré le 3 mars dernier après 140 jours d'emprisonnement à Quito, ne récupère -ce serait difficile- la confiance des Indiens, qu'il avait rapidement déçus après son élection à la présidence en 2002. © LatinReporters.com - Amérique latine - Espagne
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