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Rigueur dictée par les marchés, l'UE et le président Obama
Espagne / crise et austérité : Zapatero frappe salaires et retraites

MADRID, jeudi 13 mai 2010 (LatinReporters.com) - "Zapatero baisse les salaires des fonctionnaires pour la première fois dans l'Histoire" titrait l'édition digitale d'El Mundo peu après l'annonce, le 12 mai à Madrid par le chef du gouvernement espagnol, de mesures d'austérité réclamées de l'Espagne tant par l'Union européenne (UE) que par le président américain Barack Obama et par les milieux patronaux et financiers afin d'éviter la propagation de la crise qui a enflammé la Grèce.

Vivant l'un de ses jours les plus amers en six ans de pouvoir, le socialiste José Luis Rodriguez Zapatero reconnaissait "l'incidence sociale évidente" de "l'effort national collectif" qu'il imposait en énonçant dans cet ordre à la tribune du Congrès des députés neuf mesures :

1. Réduction moyenne de 5% à partir de juin 2010 et gel en 2011 des salaires dans le secteur public. [Il emploie plus de 3 millions de personnes; ndlr]. La réduction variera en fonction de l'importance du salaire. Elle plafonnera à 15%, taux qui sera appliqué notamment à la rétribution des ministres et des parlementaires.

2. Gel des pensions de retraite en 2011, à l'exclusion des retraites minimales ou inférieures au seuil d'imposition. [Plus de 6 millions des 8,6 millions de retraités seront touchés selon les syndicats; ndlr].

3. Suppression d'un type de préretraite partielle cofinancée par la sécurité sociale.

4. Suppression à partir du 1er janvier 2011 de la prime de naissance de 2.500 €, communément appelée "chèque bébé".

5. Révision du prix de certains médicaments et de leur conditionnement pour réduire les dépenses publiques dans le secteur pharmaceutique.

6. Suppression de paiements rétroactifs pour aide à personnes dépendantes. Les paiements seront désormais effectués pour une période commençant à la date de l'acceptation du dossier et non plus à la date de la requête des intéressés.

7. Réduction de 600 millions d'€ entre 2010 et 2011 de l'aide officielle au développement.

8. Réduction de 6 milliards d'€ entre 2010 et 2011 des investissements publics de l'Etat.

9. Economies additionnelles de 1,2 milliard d'€ à réaliser par les régions et les municipalités.

Le conseil des ministres approuvera la semaine prochaine un décret-loi assurant l'entrée en vigueur immédiate de ces mesures. Elles réduiront en principe, pour la période 2010-2011, de 15 milliards d'€ le déficit public de l'Espagne, qui s'élevait à 11,2 % du produit intérieur brut (PIB) en 2009.

Selon M. Zapatero, cette réduction accélère, l'anticipant partiellement, celle de 50 milliards d'€ prévue par un plan d'austérité annoncé en janvier dernier pour ramener le déficit public à 3% du PIB annuel au terme de quatre exercices budgétaires, fin 2013.

L'accélération des mesures de rigueur avait été exigée de l'Espagne et du Portugal par les ministres des Finances de l'UE au moment où ils approuvaient, à l'aube du 10 mai à Bruxelles, un plan de secours exceptionnel pouvant aller jusqu'à 750 milliards d'€ pour aider les pays de la zone euro en difficulté.

Avec 4,6 millions de chômeurs comptabilisés au 31 mars dernier, soit 20% de sa population active, l'Espagne est considérée, ainsi que le Portugal, comme l'un des maillons faibles de la zone euro, secouée sur les marchés financiers depuis l'éclatement de la crise grecque. La capacité de "contamination" internationale de l'Espagne est d'autant plus redoutée que son économie pèse cinq fois plus lourd que celle de la Grèce.

Nier d'abord la crise pour assurer sa victoire aux élections législatives de mars 2008, puis la relativiser et parler de rigueur sans la concrétiser, avait permis à M. Zapatero de ne pas prendre jusqu'à hier des décisions impopulaires. Sa longue spéculation politique sur une fin de crise providentielle ou découlant des efforts d'autres nations contribua à dynamiser la spéculation financière qui a ébranlé l'euro. Cette critique a été adressée au leader socialiste par la députée centriste Rosa Diez lors du débat parlementaire suivant l'annonce des nouvelles mesures.

Pression d'Obama sur l'Espagne, que la droite estime désormais "sous protectorat"

Prenant l'initiative de lui téléphoner la veille de son dur message à la nation, le président des Etats-Unis Barack Obama, qui appelle parfois M. Zapatero "mon ami", parlait au chef du gouvernement espagnol, selon un communiqué officiel de la Maison blanche, de "l'importance que l'Espagne prenne des mesures résolues dans le cadre des efforts de l'Europe pour renforcer son économie et donner confiance aux marchés". Le secrétaire à la presse du président Obama, Robert Gibbs, précisait que l'Espagne "souffre de quelques problèmes dont il faut éviter la propagation en adoptant les réformes nécessaires".

Y compris les nationalistes basques, catalans et galiciens, tous les groupes parlementaires du Congrès espagnol des députés, à la seule exception du groupe socialiste, ont vivement reproché à M. Zapatero soit de pénaliser aujourd'hui des millions d'Espagnols aux revenus modestes, soit ou aussi d'avoir attendu deux ans avant de partir réellement en guerre contre la crise, qui en résulte aggravée.

"Le principal problème de l'Espagne, c'est vous ... Vous entrerez dans l'histoire pour avoir effectué la plus forte réduction de droits sociaux de la démocratie" a lancé au leader socialiste le chef de l'opposition conservatrice et président du Parti Populaire (PP), Mariano Rajoy. Ce dernier sermonna M. Zapatero sur ce qu'il aurait été préférable de faire contre la crise "pour éviter que le coût de vos erreurs ne retombe surtout sur les futures mères, les retraités et les employés du secteur public". Et M. Rajoy de prôner essentiellement la fusion et la suppression de ministères, ainsi que la révision de subventions aux organisations patronales, syndicales et politiques. La droite espagnole, en tête de tous les sondages nationaux depuis plus d'un an, aurait-elle pu ainsi endiguer la crise sans sacrifices sociaux? "Populisme" a rétorqué M. Zapatero.

Mariano Rajoy avait auparavant planté une banderille dans l'orgueil du dirigeant socialiste en lui disant : "Maintenant, vous devez faire ce que vous n'avez jamais voulu : gouverner. Et plus dur encore, gouverner sous tutelle. Gouverner sous surveillance [de l'UE, des marchés et des Etats-Unis; ndlr]. Développer une politique économique d'une Espagne sous protectorat".

La Commission européenne et le Fonds monétaire international (FMI) applaudissent la nouvelle rigueur espagnole. Côté syndical, la grogne monte. Les deux grands syndicats nationaux, l'Union générale des travailleurs (UGT, socialiste) et les Commissions ouvrières (CO, à forte composante écolo-communiste), considèrent "très probables" des mobilisations. Comme en Grèce, l'austérité risque d'être défiée dans la rue en Espagne.


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