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Le justicier universel taxé de "pratiques de régimes totalitaires"
Espagne - Adiós au juge Garzon, foudroyé pour écoutes illégales
 

MADRID, vendredi 10 février 2012 (LatinReporters.com) - C'est la mort judiciaire, à 56 ans, du justicier universel Baltasar Garzon que les sept magistrats d'une salle du Tribunal suprême espagnol ont décrétée à l'unanimité, jeudi à Madrid. Car le célébrissime persécuteur de Pinochet est expulsé automatiquement de la magistrature par sa condamnation à onze ans d'interdiction d'exercer, pour écoutes illégales, assimilées dans la sentence à des "pratiques de régimes totalitaires". Un comble pour le pourfendeur de crimes contre l'humanité qu'est encore aux yeux de beaucoup le déjà ex-juge Garzon.

Alors que les projecteurs médiatiques éclairaient surtout son enquête sur les crimes du franquisme, objet d'un autre procès conclu en début de semaine et dont la sentence tombera bientôt, voilà donc Baltasar Garzon foudroyé comme un banal délinquant de droit commun. Et ce pour avoir ordonné l'enregistrement secret, selon une procédure autorisée uniquement contre des terroristes présumés, de conversations entre avocats et suspects incarcérés suite au scandale de corruption, l'affaire Gürtel, qui secoue depuis 2009 le Parti Populaire du conservateur Mariano Rajoy, actuel président du gouvernement espagnol.

Quelle qu'elle soit, la prochaine décision des juges dans le dossier polémique du franquisme, d'un grand poids moral négatif ou positif, ne sauvera pas Baltasar Garzon de son expulsion de la magistrature.

Il est en outre mis en examen dans une troisième affaire pour avoir classé sans suite, au lieu de s'abstenir par éthique et de transmettre le dossier, une plainte contre la banque Santander, laquelle avait financé indirectement en 2005 et 2006 son séjour et ses colloques à l'Université de New York et les études de sa fille dans cette ville.

Pareille accumulation de poursuites incite les partisans de M. Garzon à dénoncer un complot ourdi pour détruire la carrière d'un homme dont les enquêtes sensibles dérangeaient. Les adversaires de l'ex-juge répliquent qu'il se serait perdu lui-même par une soif constante de vedettariat et par une politisation qu'aurait soulignée l'ampleur médiatique de fuites du dossier Gürtel pour tenter de nuire à la droite espagnole.

Selon Garzon, on a voulu "en finir avec un juge concret"

Dans son procès sur les écoutes comme dans celui contestant sa compétence pour enquêter sur les crimes du franquisme, Baltasar Garzon a été inculpé de prévarication (ou forfaiture), soit d'avoir pris sciemment des décisions contraires à l'ordre juridique. Il s'agit de la faute la plus grave pouvant être imputée à un magistrat.

La prévarication dont relevait l'ordre de Garzon d'enregistrer à leur insu les conversations entre suspects en prison préventive et leurs avocats aurait, selon la sentence du Tribunal suprême, "réduit de manière drastique et injustifiée le droit de la défense (...) admettant des pratiques qu'on ne rencontre à l'époque actuelle que dans les régimes totalitaires, où tout est considéré comme valable pour obtenir l'information recherchée".

Pendant le procès, du 17 au 19 janvier, Baltasar Garzon avait expliqué ses méthodes en soulignant qu'il soupçonnait les avocats d'aider leurs clients à blanchir des capitaux. Mais le tribunal nie l'existence de tout indice permettant de supposer une culpabilité de ces avocats.

Sur le fond, le jugement est sans appel en Espagne et un recours éventuel ne pourrait être déposé que devant une instance internationale. Le Tribunal constitutionnel espagnol peut toutefois, s'il est saisi, statuer sur la forme et le respect des droits du prévenu, ordonnant le cas échéant la répétition du jugement.

Baltasar Garzon affirme dans un communiqué qu'il utilisera "les voies appropriées", sans les préciser, contre la sentence qu'il estime "injuste et prédéterminée". Selon lui, "elle élimine toute possibilité d'enquêter sur la corruption et ses délits associés, ouvrant des espaces d'impunité et contribuant gravement, dans le désir d'en finir avec un juge concret, à laminer l'indépendance des juges en Espagne".

Réactions et quel futur pour Garzon?

Les réactions ont ravivé le vieil antagonisme entre les deux Espagne, celle de droite disant respecter l'indépendance de la justice et celle de gauche, indignée par la condamnation, prenant implicitement ou ouvertement parti pour Garzon.

Alberto Ruiz-Gallardon, ministre de la Justice du gouvernement conservateur de Mariano Rajoy, a souligné le fonctionnement normal des institutions et le respect de l'État de droit. Une autre notable du Parti Populaire gouvernemental, Esperanza Aguirre, présidente de la région de Madrid, a célébré ce "jour joyeux pour la démocratie", car dit-elle, "la base de l'État de droit est que la fin, quoique louable en ce qui concerne Garzon, ne justifie pas les moyens".

De l'autre bord, le secrétaire général du Parti socialiste ouvrier espagnol, Alfredo Perez Rubalcaba, a exprimé son "respect pour toutes les sentences, mais certaines m'attristent". Les écolos-communistes de la Gauche unie parlent, eux, de "jour triste pour la démocratie" et dénoncent le "lynchage" de Baltasar Garzon.

A la Puerta del Sol, au centre de Madrid, lors d'une manifestation spontanée d'environ 500 personnes, des partisans de M. Garzon écrivaient sur une immense photo de l'ex-juge "L'Espagne a mal", "Je reviendrai", "Merci", "Il faut stopper le fascisme et la corruption" ou encore "Garzon, le peuple est avec toi". Des cris de "Fascistes!" fusaient à l'adresse des juges du Tribunal suprême.

Évincé de la magistrature, redevable en plus des frais du procès et d'une amende de 2.500 euros, Baltasar Garzon s'est déclaré abattu. Mais ni le chômage ni la banqueroute ne le menacent. Sont à sa portée des postes d'assesseur au sein d'entités internationales, comme récemment auprès du procureur de la Cour pénale internationale de La Haye, ou pour la mise en oeuvre de réformes de la justice dans l'un ou l'autre pays sud-américain, comme il y a peu en Colombie et actuellement en Équateur. En outre, le cachet de la plupart des conférences de celui qui conserve son auréole de justicier universel est de plusieurs milliers d'euros.

Enfin, des analystes lui prédisent un avenir politique. Baltasar Garzon fut déjà, en 1993, responsable du Plan national contre la drogue et nº2 du ministère de l'Intérieur dans le gouvernement socialiste de Felipe Gonzalez. Orateur vedette, à l'époque, d'un meeting électoral socialiste, il clama : "Nous allons leur donner [à la droite et au Parti Populaire] une raclée dont ils se souviendront (...) Nous voulons que la droite demeure dans l'opposition pour apprendre comment on gouverne"...


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