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29 inculpés, dont 9 Espagnols - 3 terroristes de l'ETA cités comme témoins Espagne - attentats de Madrid : enjeu politique du procès
L'apparition, au fil des comparutions, d'indices étayant les insinuations de la droite pourrait déstabiliser le gouvernement socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero, déjà malmené pour sa prétention, jusqu'à présent frustrée, de négocier avec l'ETA. Mais faute de tels indices, c'est la crédibilité du Parti Populaire (PP, opposition de droite) qui serait fragilisée durablement. Chacune de ces hypothèses influera sur les législatives de mars ou avril 2008 et peut-être déjà sur les élections municipales et régionales du 27 mai prochain. Comme le recommandait sur Internet un "comité des sages" d'Al-Qaïda, note en substance le juge d'instruction Juan del Olmo dans son acte d'accusation, les attentats ont été perpétrés peu avant les élections législatives du 14 mars 2004, dont le Parti Populaire au pouvoir était le favori, afin de retourner l'opinion en faveur des socialistes de M. Rodriguez Zapatero, qui promettait le retrait militaire d'Irak. Contredisant tous les sondages, les socialistes l'emportèrent effectivement. Six semaines plus tard, les 1.300 soldats espagnols déployés en Irak faisaient leurs bagages, consacrant une étonnante victoire d'Al-Qaïda, obtenue en Espagne par un commando local de musulmans immigrés et apparemment intégrés pour la plupart. L'acte d'inculpation ne relève aucune participation des séparatistes basques de l'ETA. Il constitue ce qu'il est convenu d'appeler la "version officielle", soutenue par le gouvernement et par les médias qui lui sont proches. Ceux-ci ont attribué la victoire électorale de M. Rodriguez Zapatero au mensonge supposé du gouvernement présidé à l'époque par José Maria Aznar, qui insistait sur la responsabilité de l'ETA en dépit d'évidences (fabriquées suggère la droite) qui désignaient les islamistes. Maîtres du sort de 29 accusés qui risquent ensemble près de 300.000 années de prison (mais la réclusion maximale réelle est de 40 ans), les trois juges du tribunal ont surpris désagréablement le gouvernement en incluant trois terroristes de l'ETA parmi les 650 témoins qui défileront à la barre et en ordonnant l'analyse scientifique des restes des explosifs qui ont tué 191 voyageurs et blessé 1.824 autres dans quatre trains de banlieue. La composition détaillée des explosifs peut renforcer ou diluer les soupçons quant à une participation de l'ETA ou d'autres acteurs non identifiés. La commission d'enquête parlementaire dominée par la gauche et l'instruction menée pendant plus de deux ans n'avaient pris en compte que des analyses effectuées par des services policiers insuffisamment qualifiés. L'un des trois magistrats, Alfonso Guevara, assure que "l'apparition [durant le procès] d'une quelconque question sur laquelle on n'aurait pas enquêté donnerait lieu, le cas échéant, aux témoignages correspondants". Quatre-vingt-dix-huit experts seront aussi entendus par le tribunal. Le procès durera jusqu'en juin ou juillet et le verdict ne devrait pas être rendu avant le début de l'automne. Les 29 inculpés parmi 116 suspects initiaux sont 15 Marocains, 2 Syriens, un Libanais, un Egyptien, un Algérien et 9 Espagnols. Ces derniers auraient fourni la dynamite activée par les terroristes. Neuf autres terroristes présumés ne comparaîtront pas. Sept d'entre eux se sont immolés à l'explosif, selon la version officielle, lorsqu'ils étaient cernés le 3 avril 2004 par la police à Leganés, dans la banlieue sud de Madrid. Le 8e serait mort en Irak et le dernier est toujours en fuite. Le précédent des GAL Sous la houlette de son directeur Pedro J. Ramirez, le quotidien de centre droit El Mundo fait pratiquement cavalier seul, parmi les médias, dans sa conviction que les attentats de Madrid ne répondraient pas aux seuls intérêts de radicaux islamistes. Dans les années 1980 et 1990, d'abord dans le quotidien Diario 16, puis dans El Mundo, second journal d'Espagne en influence et diffusion (mais de loin le plus lu sur Internet), Pedro J. Ramirez et son équipe avaient déjà mené une longue lutte solitaire pour découvrir alors les dessous des GAL (Groupes antiterroristes de libération). De 1983 à 1987, les GAL assassinèrent 28 Basques liés à l'organisation séparatiste ETA ou soupçonnés de l'être. Les révélations de deux journalistes de l'équipe de Pedro J. Ramirez, Melchor Miralles et Ricardo Arques, permirent au juge Baltasar Garzon (célèbre persécuteur d'Augusto Pinochet) de faire condamner et emprisonner, au titre des GAL, un ministre de l'Intérieur, un secrétaire d'Etat à la Sécurité et divers responsables policiers. Le gouvernement socialiste présidé à l'époque par Felipe Gonzalez fut ainsi directement impliqué dans un terrorisme d'Etat insolite dans l'histoire contemporaine de l'Europe démocratique. Qu'avant même les attentats de Madrid les socialistes aient cherché, avec Rodriguez Zapatero, à se rapprocher de l'ETA n'effacerait pas cette tache sombre ("bien au contraire" dit-on au PP). Parmi une multitude d'indices nourrissant ses doutes sur les attentats de Madrid, El Mundo a notamment relevé qu'un colonel de la garde civile impliqué dans l'un des dossiers dérivés des GAL et appartenant encore aux services espagnols de renseignement n'aurait pas relayé les avertissements de confidents sur la fourniture d'explosifs à des groupes islamistes par des trafiquants espagnols ayant accès aux dépôts de dynamite de mines des Asturies. Ces présumés trafiquants sont parmi les inculpés des attentats de Madrid. El Mundo a parfois suggéré l'hypothèse de la responsabilité par omission, dans le massacre de Madrid, d'éléments des services secrets espagnols liés aux socialistes. Contrôlant à distance des radicaux islamistes qui préparaient manifestement un attentat, ces éléments auraient, selon cette hypothèse, omis de les freiner. Pedro J. Ramirez s'est dit convaincu "de la participation de membres des appareils policiers et de services de l'Etat, sinon dans la perpétration des attentats, du moins dans leur distorsion postérieure au service d'intérêts politiques". [Création éventuelle de toutes pièces, entre les attentats du 11 mars et les législatives du 14 mars, d'indices conduisant rapidement à des suspects islamistes, pour mettre au centre des élections la participation impopulaire de l'Espagne à la guerre en Irak et transformer en "menteur" José Maria Aznar, qui insistait sur la responsabilité de l'ETA; ndlr]. Présidé par Mariano Rajoy, le Parti Populaire assume et amplifie les interrogations d'El Mundo. Des organisations de victimes du terrorisme aussi, s'opposant à d'autres proches du gouvernement. Le PP désapprouva néanmoins l'un de ses élus qui accusait le socialiste Rodriguez Zapatero d'être arrivé au pouvoir "dans un train de banlieue". © LatinReporters.com - Amérique latine - Espagne
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