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Né en Espagne, le mouvement se propage surtout en Europe
Indignés : protestation planétaire contre la crise. Et maintenant ?
MADRID, dimanche 16 octobre 2011 (LatinReporters.com) - "Pour un changement mondial", pour n'être pas "des marchandises
aux mains des politiciens et des banquiers", les "indignés" ont manifesté le 15
octobre dans un millier de villes de plus de 80 pays lors de la première journée
planétaire de ce mouvement né le 15 mai dernier en Espagne.
Quelle tournure prendra maintenant cette protestation contre les effets de la crise globale?
Appelés en 18 langues sur le site 15october.net à "descendre dans les rues et sur les places, de l'Amérique à l'Asie, de l'Afrique à l'Europe", les manifestants auraient été plusieurs millions selon l'addition des chiffres des organisateurs. La somme des estimations officielles ou journalistiques consultées par LatinReporters.com ramène toutefois à un maximum généreux de quelque 700.000 le nombre total des protestataires. De ces 700.000, 600.000 (soit 85 %) étaient recensés en Europe, dont 200.000 à Rome (ce chiffre des organisateurs est le seul disponible) et 250.000 dans une soixantaine de villes d'Espagne, principalement à Madrid et Barcelone. La mobilisation dans le reste du monde a été souvent intensivement digitale et virtuelle à la veille des manifestations, mais peu effective sur le terrain le 15 octobre. A Paris aussi, le flop fut manifeste. "Dimension globale de la protestation" souligne El Pais Hormis l'Italie et l'Espagne, les manifestants étaient relativement nombreux à Lisbonne, Bruxelles, Berlin, Francfort, Athènes, Santiago du Chili, New York, Toronto et Vancouver. On n'en comptait par contre que quelques centaines, voire quelques dizaines, dans la plupart des rassemblements convoqués en Australie, en Asie, en Afrique et en Amérique latine. A Rio de Janeiro, deuxième ville du Brésil, le journal O Globo a dénombré exactement ... 37 "indignés" ! La quasi totalité des manifestations ont été pacifiques. Mais à Rome, plusieurs centaines d'incontrôlés, masqués de foulards noirs, ont envahi un hôtel de luxe, fracassé les vitrines de banques, mis le feu à un bâtiment officiel et incendié plusieurs véhicules, dont des fourgons de police. Ces heurts ont fait 70 blessés. A New York, la police à chargé à cheval pour contenir des manifestants, dont 71 ont été interpellés. "Guerre des chiffres à part, la grande réussite du Mouvement 15-O [pour 15 octobre; ndlr] a été de mobiliser des dizaines de milliers de citoyens des cinq continents avec les mêmes slogans en faveur d'un changement global et contre les coupes dans le social, ainsi que contre les élites politiques et financières" écrit ce dimanche, au lendemain de la journée planétaire, l'éditorialiste de l'influent quotidien espagnol de centre gauche El Pais. Il ajoute que "cette dimension globale de la protestation octroie au 15-O un sceau distinctif sans précédent", la distinguant notamment "des vieilles protestations altermondialistes organisées là où se réunissaient les leaders mondiaux". L'éditorialiste d'El Pais se garde toutefois de faire des pronostics sur le futur du mouvement. Coeur du mouvement des "indignés", l'Espagne est pourtant promise à la droite Devant les dizaines de milliers d'"indignés" revenus au soir du 15 octobre à Madrid sur l'emblématique Puerta del Sol, place où naquit le mouvement en mai, les organisateurs ont qualifié la journée d'historique. Visant les partis politiques, le slogan traditionnel "Non, ils ne nous représentent pas" a retenti à nouveau maintes fois. Qu'il s'agisse d'un paradoxe ou du phénomène connu de l'alimentation réciproque des extrêmes, on notera que, d'une part, les "indignés" espagnols demeurent intellectuellement et numériquement le coeur du mouvement très populaire qu'ils ont internationalisé, mais que, d'autre part, les Espagnols vont offrir une victoire d'une ampleur sans précédent, aux élections législatives du 20 novembre prochain, aux conservateurs du Parti Populaire (PP) de Mariano Rajoy, soit á une droite très proche du pouvoir financier décrié par les "indignés". Déjà grand triomphateur des élections municipales et régionales du 22 mai dernier, malgré la grande visibilité déjà acquise alors par les "indignés", le PP est crédité, dans le dernier sondage d'El Pais pour les législatives, d'une majorité absolue de 185 à 190 députés (sur un total de 350), avec un score de 45,5% des voix, contre à peine 29,7% aux socialistes du chef du gouvernement sortant, José Luis Rodriguez Zapatero. Il s'agirait du score le plus bas du principal parti de la gauche espagnole en 35 ans de démocratie post-franquiste. Autant que le taux de chômage espagnol, le plus élevé au sein des pays industrialisés (21,2 % fin août selon Eurostat et 46,2 % parmi les moins de 25 ans), la déception engendrée par l'incompétence du gouvernement socialiste de M. Zapatero et par son application de sévères mesures d'austérité, exigées par l'Union européenne et la Banque centrale européenne, contribue à expliquer que l'Espagne ait été le berceau de ces "indignés" peu disposés à faire confiance à la classe politique. Risque de radicalisation? Face au PP qui lui est manifestement hostile, mais qui sauf surprise va dominer l'Espagne au cours des quatre prochaines années, le mouvement des "indignés" conservera-t-il son attirante fraîcheur et son pacifisme ou tombera-t-il aux mains de radicaux qu'il a déjà parfois difficile à écarter? "Vu l'énorme et justifiée lassitude sociale, les mobilisations sont essentielles et leur succès est une excellente nouvelle. Mais j'aimerais avoir la sensation que nous sommes capables de saisir toutes les variables en jeu et de bien tracer les lignes de fracture de la nouvelle carte sociale, économique et politique dans laquelle nous vivons. En vérité, je reconnais que je suis très désorienté" admettait à la veille du 15 octobre Andrés Boix, professeur de droit administratif à l'Université de Valence. Sans se prononcer davantage sur l'évolution immédiate des "indignés", Joan Subirats, professeur de science politique à l'Université autonome de Barcelone, estime que "le 15-O a été un succès" signifiant que "dans le monde entier on commence à être conscient qu'il n'y a pas de solution aux problèmes locaux sans réponses à échelle globale". Notant que "la capacité des Etats à réguler, ordonner et contrôler l'activité financière à échelle mondiale a été brisée", le professeur Subirats voit dans l'action des "indignés" "un phénomène et une mobilisation politiques, mais essentiellement une réaction sociale à la recherche de justice et de respect. Et cela est sa force morale. Ce qui reste à faire n'est pas peu, mais la dimension globale du problème commence à prendre corps". Les "indignés" ne tarderont sans doute pas à tracer des perspectives plus immédiates et concrètes. © LatinReporters.com - Amérique latine - Espagne |