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365.900 chômeurs de plus lors du premier trimestre de l'ère Rajoy
Terrorisme social en Espagne : 5,6 millions de chômeurs (24,4%)
 

par ROBIN de los BOSQUES

MADRID, samedi 28 avril 2012 (LatinReporters.com) - Le "terrorisme intellectuel" est contemplé par les encyclopédies contemporaines; le terrorisme social pas nécessairement. Mais comment qualifier autrement la création en Espagne d'une anxiété collective due tant à une dévastation socio-économique forte de 5.639.500 chômeurs (24,44% de la population active) qu'à une austérité censée y remédier ? Inégalé dans le monde industrialisé, ce fâcheux record de sans-emploi appartient aujourd'hui au conservateur Mariano Rajoy, président du gouvernement espagnol depuis le 21 décembre dernier.

Diffusé vendredi à Madrid par l'Institut national de la statistique (INE), ce dernier bilan désastreux du chômage est arrêté au 31 mars 2012. Il révèle que le retour au pouvoir du Parti Populaire (PP, droite) de M. Rajoy, au terme de près de huit ans de socialisme zapatériste, n'a pas freiné la course de l'Espagne vers l'abîme. Que du contraire, puisque le premier trimestre de l'ère Rajoy comptabilise 365.900 chômeurs supplémentaires, un chiffre nettement supérieur à l'escalade du premier trimestre 2011 (+ 213.000) ou 2010 (+ 286.000).

L'INE ajoute que le chômage frappe 52,01% des jeunes de moins de 25 ans, contre 48,6% trois mois plus tôt. Le nombre de foyers dont tous les membres sont au chômage continue lui aussi à croître, à 1,728 million contre 1,575 million fin 2011.

Parmi les 17 régions autonomes d'Espagne, le taux de chômage varie entre 13,55% pour le Pays basque (nord) et 33,17% pour l'Andalousie (sud). Par branche d'activité, l'augmentation trimestrielle du nombre de sans-emploi touche tous les secteurs : 147.900 chômeurs de plus dans les services, 59.700 dans l'agriculture, 49.800 dans l'industrie et 29.500 dans la construction.

22% de familles pauvres selon Caritas

Outre les données de l'INE, divers médias rappelaient récemment, en se référant à des relevés du ministère de l'Emploi, que la moitié seulement des chômeurs sont indemnisés en Espagne et que la moitié de cette moitié ne perçoit qu'une assistance temporaire de survie limitée à 420 euros mensuels. Dit d'une autre façon, le quart des chômeurs espagnols, soit quelque 1,4 million, est dépourvu de toute aide financière publique.

La section espagnole de l'organisation humanitaire catholique Caritas estimait fin février à 22% la proportion de familles vivant en Espagne sous le seuil de pauvreté. Toujours selon Caritas-Espagne, le nombre de familles dont les membres ne perçoivent ni salaire ni indemnité de chômage s'élèverait à 580.000, un chiffre compatible avec celui, cité plus haut, de 1,4 million de chômeurs sans aucune ressource.

Dans la foulée de la crise financière globale partie des États-Unis, la dégringolade de l'Espagne, fouettée par l'éclatement de sa bulle immobilière, se mesure mieux si l'on se rappelle que, début 2008, l'alors "miracle espagnol" se targuait d'un chômage d'à peine 8,6%. Depuis, 3.711.900 nouveaux chômeurs ont été enregistrés, soit plus de 900.000 par an.

Pareil bilan explique la déroute des socialistes de José Luis Rodriguez Zapatero et Alfredo Pérez Rubalcaba, ainsi que la majorité absolue parlementaire du PP de Mariano Rajoy aux élections législatives du 20 novembre 2011. En campagne électorale, M. Rajoy disait "savoir ce qu'il faut faire" pour redresser le pays, sans augmenter les impôts ni tailler dans l'éducation, la santé et les retraites. Le PP insinuait même que son retour au pouvoir suffirait à rétablir la confiance des marchés.

Mais rarement le parjure électoral aura été si flagrant dans une démocratie occidentale. Arguant de l'ampleur inattendue du déficit laissé par les socialistes - un argument contesté, car le déraillement budgétaire est dû essentiellement aux régions, largement dominées par le PP depuis mai 2011- Mariano Rajoy a piétiné ses promesses en augmentant les impôts sur les salaires, l'épargne et la propriété immobilière. De plus, il taille à raison de dix milliards d'euros dans l'éducation et la santé. Les frais d'inscription à l'université bondiront en moyenne de 50% et pour la première fois les retraités devront payer partiellement leurs médicaments.

Terreur socio-économique liée aux "réformes structurelles"

Le parjure massif de M. Rajoy, qui lui a déjà valu une grève générale et un revers imprévu aux élections régionales andalouses, est applaudi par les institutions européennes. Elles louent sans rire, du moins publiquement, "le courage du peuple espagnol". Dans le même tableau s'inscrit l'amnistie des fraudeurs du fisc qui rapatrieraient en Espagne des fonds non déclarés, moyennant une prélèvement symbolique de 10%. Le moindre des salaires est taxé davantage. Puis, c'est en ces moments de sacrifices qu'il réclamait de tous dans son message de Noël que le roi Juan Carlos vient de s'offrir un safari de chasse à l'éléphant au Botswana. Face au tollé médiatique et politique (PP excepté), le souverain en a demandé publiquement pardon, mais le mal est fait.

Quant à la réforme du marché du travail décrétée en février par Mariano Rajoy, elle a brisé le contrat social entre capital et travail qui caractérise (ou caractérisait ?) le modèle européen. Les salariés subissent désormais l'humiliation d'un pouvoir patronal inédit en 35 ans de démocratie postfranquiste. Les sociétés en crise ou menacées de l'être, soit la majorité des entreprises en Espagne, peuvent, unilatéralement et sous peine de licenciement, déplacer géographiquement les travailleurs, réduire leur salaire et allonger leur journée de labeur. Licencier se fait plus vite et à moindre coût et même, pendant la première année contractuelle, sans motif ni indemnité. De surcroît, les négociations collectives, pierre essentielle du rempart syndical, sont torpillées par la supériorité soudainement octroyée aux conventions d'entreprise sur les conventions sectorielles et régionales.

Si les chômeurs sont terrorisés par la marginalisation, les salariés le sont, eux, par ces nouveaux pouvoirs discrétionnaires des directions d'entreprise. En somme, les Espagnols tentent aujourd'hui de résister à l'expansion d'une terreur socio-économique liée aux "réformes structurelles" du gouvernement de M. Rajoy. Son ministre de l'Économie, Luis de Guindos, un rescapé de Lehman Brothers, annonçait vendredi des privatisations et de nouveaux "impôts indirects" en 2013, sans oser parler clairement d'une hausse de la TVA, qualifiée en 2010 par Mariano Rajoy de ficelle "des mauvais gouvernants". (La réunion hebdomadaire du Conseil des ministres se tenant le vendredi, jour où sont entérinées et annoncées les mesures d'austérité, les Espagnols parlent des "vendredis noirs").

Le sort des citoyens européens sera nécessairement influencé, fût-ce très partiellement, par cette nouvelle guerre d'Espagne livrée sur le terrain socio-économique. Son évolution demeure imprévisible. Preuve en est que le ministre de l'Intérieur, Jorge Fernandez Diaz, envisage de poursuivre pénalement les organisateurs, syndicats y compris, de manifestations débouchant sur des violences, même inattendues et non préméditées. La relance du Mouvement des Indignés, à la mi-mai à l'occasion de son premier anniversaire, testera la détermination du ministre. Le patronat, lui, appelle à une limitation plus stricte du droit de grève.

"Spirale récessive"

Pour comble, mensonges, saignées et humiliations ne ramènent ni même un début de soupçon de croissance ni de confiance des marchés. La Banque d'Espagne table sur un recul du PIB de 0,4% au premier trimestre par rapport au précédent, où il avait déjà baissé de 0,3%. Donc, récession. Et l'agence de notation financière Standard & Poor's dégradait jeudi de deux crans, de A à BBB+, la note de l'Espagne, indiquant clairement qu'elle ne croyait pas que Madrid puisse, comme convenu avec l'Union européenne, réduire le déficit public de 8,51% du PIB à 5,3% en 2011, puis à 3% en 2013.

"Le grand risque, c'est de tomber dans une spirale récessive" estime, cité par l'AFP, Jesus Castillo, spécialiste de l'Europe du Sud chez Natixis. "On a atteint les limites des politiques d'austérité menées à travers l'Europe : l'austérité à tout-va, comme on est en train de l'imposer en Espagne, en Italie, en Grèce, au Portugal, se traduit au final par moins de consommation, donc moins de TVA, plus de chômage, donc moins d'impôt sur le revenu", dit-il.

Candido Mendez et Ignacio Fernandez Toxo, secrétaires généraux respectifs de l'Union générale des travailleurs et des Commissions ouvrières, les deux principaux syndicats espagnols, utilisent la nouvelle envolée du chômage pour qualifier l'austérité et surtout la réforme du marché du travail de "dynamique autodestructrice, meurtrière pour l'emploi". Ils misent, comme l'ensemble de la gauche espagnole et un nombre croissant d'électeurs du PP déjà déçus, sur une victoire du socialiste François Hollande au second tour de l'élection présidentielle française, dans l'espoir que l'Europe s'attelle alors autant à la croissance qu'à l'austérité pure et dure imposée par Berlin, Paris et la Commission européenne.

Enfin, difficile de ne pas partager cette réflexion lue sur notre Twitter : "Lorsque l'euro n'existait pas, on dévaluait la monnaie pour soutenir l'économie en crise. Aujourd'hui, on dévalue les citoyens pour soutenir l'euro".


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