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Gaza - Justice espagnole contre Israël : la paille et la poutre Par Christian GALLOY MADRID, vendredi 30 janvier 2009 (LatinReporters.com) - Le 4 décembre 2008, le tribunal espagnol de l'Audience nationale dénommait "rébellion" le soulèvement militaire franquiste de 1936, mais évitait de qualifier les 3 ans de guerre civile, 36 ans de dictature et les centaines de milliers de morts et disparus qui s'ensuivirent en Espagne. Le 29 janvier 2009, un juge du même tribunal a qualifié de "crime contre l'humanité", ouvrant à Madrid une enquête contre ses responsables présumés, un bombardement israélien qui fit en 2002 à Gaza 15 morts et 150 blessés. La parabole de l'Evangile selon Luc -"Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l'oeil de ton frère et n'aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton oeil?"- reste donc d'actualité. Il est vrai que trois semaines continues de plus récents bombardements israéliens sur Gaza, en décembre 2008 et janvier 2009 en représailles aux roquettes du Hamas, tuèrent plus de mille Palestiniens, en blessèrent des milliers d'autres et favorisèrent probablement au sein de l'Audience nationale le déséquilibre entre ses deux appréciations susmentionnées. La législation espagnole octroie à cette instance pénale une compétence universelle en matière de crimes contre l'humanité, quelle que soit la nationalité de leurs auteurs et des victimes. Des militaires ou dirigeants anciens ou actuels du Chili, d'Argentine, du Guatemala, du Salvador, des Etats-Unis, de Chine, du Rwanda, du Maroc et maintenant d'Israël ont été ou sont encore dans le collimateur de ce tribunal qui a fait la gloire, universelle aussi, du juge d'instruction Baltasar Garzon. Las d'entendre l'Amérique latine se demander si l'Espagne se soumettrait un jour à l'universalité de sa propre justice, le juge Garzon secouait son pays en ouvrant en octobre dernier une instruction sans précédent sur 114.266 disparitions forcées qu'il imputait aux premiers dignitaires du franquisme, dont Franco en personne, et qu'il qualifiait de crimes imprescriptibles contre l'humanité. Aux magistrats et à la presse conservatrice qui lui reprochaient de poursuivre des morts, enterrés comme Franco depuis plusieurs dizaines d'années, Baltasar Garzon répliquait que "déclarer éteinte, pour cause de décès, la responsabilité des principaux chefs [de la répression franquiste] n'est pas la même chose que leur octroyer l'impunité, le pardon et l'oubli judiciaire". Soutenu explicitement par le Comité des droits de l'homme des Nations unies, le juge réclamait l'abrogation de l'Amnistie qui effaça en 1977, deux ans après la mort de Franco, tous les crimes et délits politiques perpétrés en Espagne. Cette revendication était plus que symbolique, car son aboutissement aurait enfin obligé l'Etat à indemniser dignement les descendants de milliers de disparus du franquisme, déterrés peu à peu à mesure que sont localisées des fosses communes. Mais le 4 décembre dernier, l'instruction du juge Garzon était définitivement paralysée par ses pairs. Réunis en séance plénière, comme un tribunal au sein du tribunal, les magistrats de l'Audience nationale qualifiaient le soulèvement franquiste de 1936 contre la République de "rébellion", délit qui n'est pas du ressort de l'Audience nationale ni donc, à fortiori, du juge Garzon. Sur 17 magistrats de l'Audience nationale, à peine trois ont soutenu en vain la pertinence de poursuivre au sein de cette instance les crimes du franquisme en tant que crimes contre l'humanité. Parmi eux ne figure pas Fernando Andreu. Or c'est lui, juge d'instruction de la 4e salle de l'Audience nationale, qui vient d'ouvrir à Madrid, le 29 janvier, une enquête pour "crime contre l'humanité" visant sept personnalités israéliennes. Il s'agit de l'ex-ministre de la Défense Benjamin Ben-Eliezer, actuellement ministre des Infrastructures, ainsi que six hauts responsables militaires: Dan Haloutz, commandant des forces aériennes israéliennes au moment des faits, le général Doron Almog, le président du Conseil national de sécurité Giora Eiland, le secrétaire militaire du ministre de la Défense, Michael Herzog, le chef d'état-major des Forces armées Moshe Yaalon et le directeur du Service général de sécurité, Abraham Dichter. Le juge Fernando Andreu a jugé recevable une plainte du Centre palestinien pour les droits de l'homme sur le bombardement, le 22 juillet 2002 à Gaza, qui tua Salah Chehadeh, dirigeant du Hamas que le magistrat qualifie "d'organisation terroriste", et 14 civils palestiniens, "en majorité des enfants et des bébés". Quelque 150 Palestiniens avaient également été blessés lors de l'explosion de la bombe d'une tonne larguée par un F-16 israélien sur la maison de Salah Chehadeh, dans le quartier densément peuplé d'Al Daraj. Le magistrat a pris sa décision en vertu du principe de juridiction universelle reconnue par l'Espagne à l'Audience nationale en matière de crimes contre l'humanité, de génocide et de terrorisme. Dans une "action qu'on devine clairement disproportionnée et excessive", affirme le juge Andreu dans son procès-verbal, Israël ne pouvait ignorer "les conséquences possibles" du lancement d'une bombe de "grande puissance" sur une zone habitée. Il y aurait donc indice de crime contre l'humanité. Le ministre israélien de la Défense Ehud Barak a réagi en affirmant qu'il "fera tout" pour obtenir l'annulation de cette enquête "délirante". Selon le ministre, "celui qui qualifie de crime contre l'humanité la liquidation d'un terroriste vit dans un monde à l'envers". Cette colère reflète l'émoi médiatique, politique et diplomatique perceptible en Israël. Un refroidissement plane sur ses relations avec l'Espagne, dont le ministre socialiste des Relations extérieures, le pro-palestinien Miguel Angel Moratinos, invoque l'indépendance de la justice. L'Audience nationale citera bientôt à comparaître à Madrid les personnalités israéliennes impliquées. Si elles s'y refusent un mandat d'arrêt international pourrait être lancé contre elles et sortir d'Israël les exposerait à la détention. Visant des faits remontant à 2002, l'enquête du juge Fernando Andreu est opportunément ouverte, à dessein ou non, onze jours seulement après la fin d'une longue offensive, meurtrière et controversée, de l'armée israélienne dans la bande de Gaza. Pendant trois semaines, ces opérations militaires ont fait "6.600 morts et blessés [respectivement 1.300 et 5.300; ndlr], dont plus du tiers étaient des femmes et des enfants" indique le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, soucieux de voir "les coupables" poursuivis. A cet égard, l'Audience nationale vient d'ouvrir une alternative à ceux qui redoutent l'incompétence ponctuelle de la Cour pénale internationale (CPI), au statut de laquelle ni Israël ni l'Autorité palestinienne n'ont souscrit. Mais la légitimité morale et même la simple décence de toute action pénale visant de présumés ou évidents crimes contre l'humanité peuvent-elles encore être assurées, depuis la mésaventure du juge Garzon, par la justice d'une Espagne incapable d'assumer les siens? L'ESPAGNE VA-T-ELLE LIMITER LA COMPÉTENCE UNIVERSELLE DE SA JUSTICE? Vendredi 30 janvier 2009 (LatinReporters) - Après la décision d'un juge espagnol d'ouvrir une enquête sur un présumé "crime contre l'humanité" d'Israël à Gaza (article ci-dessus), la ministre israélienne des Affaires étrangères, Tzipi Livni, a déclaré vendredi que l'Espagne comptait restreindre la compétence de ses tribunaux. Mme Livni a affirmé avoir été informée par son homologue espagnol, Miguel Angel Moratinos, que l'Espagne comptait "changer sa législation" en relation avec le principe judiciaire de compétence universelle. "Je pense que c'est une nouvelle très importante et j'espère que d'autres Etats en Europe feront la même chose", a-t-elle ajouté dans un entretien à l'Associated Press. Cette information n'a pas été confirmée officiellement à Madrid. Néanmoins, citant des sources proches du gouvernement socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero, plusieurs médias espagnols mentionnent l'existence d'un projet visant effectivement à restreindre la compétence universelle octroyée par l'Espagne à sa justice en matière de crimes contre l'humanité, de génocide et de terrorisme. Les mêmes médias espagnols relèvent les problèmes diplomatiques posés à l'Espagne par l'ouverture à Madrid de poursuites pour crimes contre l'humanité présumés ou avérés commis par des militaires ou dirigeants anciens ou actuels du Chili, d'Argentine, du Guatemala, du Salvador, des Etats-Unis, de Chine, du Rwanda, du Maroc et maintenant d'Israël. © LatinReporters.com - Amérique latine - Espagne
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