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Parmi les 14 candidats, seule la Nobel de la Paix est indienne Guatemala - élection présidentielle : Rigoberta Menchu piétine
Collé à la frontière sud du Mexique, république la plus peuplée d'Amérique centrale avec 12,6 millions d'habitants, le Guatemala compte 21 ethnies mayas. Il est après la Bolivie et avant l'Equateur le pays latino-américain offrant la plus forte proportion d'autochtones d'origine pré-colombienne, de 42 à 56% de la population selon diverses estimations. Le second chiffre correspond aussi au taux national de pauvreté. Parmi les candidats à la présidence, Rigoberta Menchu, 48 ans, est l'unique représentante de cette forte composante indigène. A cette exclusivité s'ajoute sa qualité de lauréate du prix Nobel de la Paix 1992 "en reconnaissance de son travail pour la justice sociale et la réconciliation ethno-culturelle fondées sur le respect pour les droits des peuples autochtones". Elle s'opposa notoirement à la longue dictature militaire qui décima sa famille. Pourtant, le dernier sondage réalisé par Borge & Asociados pour le quotidien El Periodico relègue Rigoberta Menchu à la 4e place -elle n'est même que 5e dans le sondage de Vox Latina publié par Prensa Libre- avec à peine de 5,5% à 5,9% des intentions de vote. Le premier des ces pourcentages découle de l'ensemble des réponses et le second, plus élevé, tient compte de l'abstention et des bulletins nuls probables. Candidate du parti de centre gauche Encuentro por Guatemala (EG, Rencontre pour le Guatemala), son parti indien Winaq n'étant qu'embryonnaire, Rigoberta Menchu est devancée par Alvaro Colom (centriste se déclarant "social-démocrate"; de 33 à 41,2% des intentions de vote), le général retraité Otto Pérez (droite musclée; de 23,1 à 27,9%) et Alejandro Giamattei (droite gouvernementale; de 8,9 à 10,2%). L'Union Nationale de l'Espoir (UNE) d'Alvaro Colom et le Parti Patriote (PP) d'Otto Pérez devraient dominer également les législatives. Les 158 députés du Congrès monocaméral et les édiles de 332 municipalités seront aussi élus le 9 septembre, date du premier tour de la présidentielle. Le nouveau chef de l'Etat, qui succédera pour 4 ans au conservateur Oscar Berger, ne serait connu qu'à l'issue du second tour, le 4 novembre, si aucun des candidats ne surpassait la barre des 50% au premier tour. Alvaro Colom est favori dans tous les cas de figure. L'ex-chef guérillero Miguel Angel Sandoval, candidat de l'historique Union Révolutionnaire Nationale Guatémaltèque (URNG) et partisan de l'alternative bolivarienne du président vénézuélien Hugo Chavez, végète en 9e position avec une préférence rachitique de 0,9%. Celle plus maigre encore de 0,3% de Pablo Monsanto, aspirant à la présidence pour l'Alliance Nouvelle Nation (ANN), dissidence de l'URNG, ne renforcera pas significativement l'option bolivarienne. Mais comment expliquer le piétinement électoral de Rigoberta Menchu, la Guatémaltèque la plus connue dans son pays et sur la planète? Quoiqu'elle prédise "une surprise", sa victoire semble improbable. Elle serait un séisme social comparable à l'arrivée à la présidence en 2005 en Bolivie de l'Indien aymara Evo Morales. "Menchu se ressent d'un faible appui financier interne et de l'interdiction d'accéder à l'appui international... En outre, ses propositions politiques modérées n'ont pas ému l'électorat et son style de communication n'a pas été le plus efficace. Menchu lutte par ailleurs contre de vieux tabous racistes de la société ladine ["sociedad ladina" désigne les blancs ou les occidentalisés; NDLR] et machistes de la société indigène" estime la Fundacion DESC (Fondation Droits Economiques, Sociaux et Culturels pour l'Amérique latine). Un autre facteur expliquant l'apparent faible impact électoral de Rigoberta Menchu est la désunion tribale entre les plus de vingt ethnies mayas du Guatemala. "L'indigène ne supporte pas de se subordonner à une autre ethnie et pendant la Semaine Sainte, celui qui représente Judas porte les habits de la tribu rivale" expliquait en février 2006 le sous-directeur du journal guatémaltèque Nuestro Diario, José Elias, à un envoyé spécial du quotidien madrilène El Pais. Rigoberta Menchu est membre de l'ethnie maya des Quichés. Quoiqu'appréciant sa condition de femme et d'Indienne, Domingo Hernandez et d'autres dirigeants de la Coordination et Convergence Nationale Maya du Guatemala estimèrent le 9 août dernier, Journée mondiale des peuples autochtones, que ni la célèbre candidate ni le parti EG qui la soutient ne représentent ces peuples au Guatemala. En Bolivie, par contre, le président amérindien Evo Morales fait figure de leader politique tant des Aymaras que des Quechuas, les deux principales ethnies autochtones de ce pays andin. La faible mobilisation politique des Amérindiens guatémaltèques ou du moins leur goût peu prononcé pour la confrontation collective s'expliquent peut-être aussi par la tragédie trop récente de la guerre civile. De 1960 à 1996, les combats entre armée et insurgés d'extrême gauche firent 200.000 morts et 60.000 disparus déclarait en juin 2003 à LatinReporters Alfonso Portillo, alors président (de droite) du Guatemala. Parmi les conflits qui déchirèrent l'Amérique centrale pendant la seconde moitié du 20e siècle, celui du Guatemala fut le plus meurtrier. Enrôlés de gré ou de force dans l'armée ou la guérilla, massacrés lors de la destruction de villages soupçonnés de soutenir l'adversaire, les autochtones servirent de chair à canon et de boucs émissaires. Les morts victimes de l'un ou l'autre camp furent en majorité des Mayas. La violence reste d'actualité. La criminalité commune, liée notamment aux bandes de jeunes (les maras), a fait près de 3.000 morts au Guatemala au cours du premier semestre. Et depuis le 2 mai, date de la convocation des élections générales du 9 septembre, 50 attentats contre des candidats et activistes politiques ont fait 39 morts et 21 blessés, selon le bilan du collectif d'organisations sociales Mirador Electoral. Au moins trois des dernières attaques ont visé des partisans de Rigoberta Menchu. © LatinReporters.com - Amérique latine - Espagne
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