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Polémique autour d'un ex-putschiste avant les élections présidentielles et législatives du 9 novembre

Soupçonné de "génocide"

Ríos Montt brigue la présidence malgré l'interdit frappant les putschistes

GUATEMALA CITY, mardi 10 juin 2003 (latinreporters.com)


Le général Ríos Montt
Photo FRG
En dépit d'un interdit constitutionnel, contre lequel il va recourir pour la troisième fois, le général José Efraín Ríos Montt, âgé de 77 ans et président actuel du Congrès des députés, a été désigné le 25 mai dernier candidat aux élections présidentielles du 9 novembre prochain par le parti dont il est le fondateur et le secrétaire général. Dimanche, le général prononçait son premier discours de campagne électorale à Totonicapan, ville de l'ouest du Guatemala.

En principe, le général Ríos Montt ne peut pas postuler la charge suprême. La Constitution prohibe en effet la candidature à la présidence de quiconque s'est emparé auparavant du pouvoir par des moyens non démocratiques. Or, en 1982, José Efraín Ríos Montt renversa par un coup d'Etat le président Romeo Lucas Garcia. Il fut écarté du pouvoir seize mois plus tard.

Cet interdit constitutionnel explique l'accession à la présidence d'Alfonso Portillo, avec l'appui de Ríos Montt. Se prétendant originellement de gauche et se disant ex-membre la Guérilla des pauvres (EGP, Ejercito Guerrillero de los Pobres), Alfonso Portillo, qui fut aussi professeur d'université, avait été élu président en décembre 1999 comme candidat du Front républicain guatémaltèque (FRG, Frente Republicano Guatemalteco). Le président Portillo a offert un visage aimable et populiste à ce parti de droite lié aux militaires et fondé par le polémique général Ríos Montt.

Diverses associations humanitaires accusent le général de "génocide", dont il se serait rendu coupable au cours du long conflit intérieur (1960-1996), qui opposa le pouvoir à des guérillas de type castriste ou sandiniste. La répression frappa particulièrement les communautés indigènes mayas, victimes également des guérilleros.

Dans le chapitre "Guatemala" de son Rapport annuel 2003, Amnesty International affirme que l'an dernier encore, "l'influence ininterrompue du général Ríos Montt et de ses partisans, ainsi que la passivité dont ont fait preuve les autorités pour traduire en justice les personnes soupçonnées de violations flagrantes des droits humains commises par le passé, sauf dans une poignée d'affaires âprement défendues, ont encouragé les auteurs de ces violences et d'autres à abuser de leur pouvoir et à continuer de commettre en toute impunité d'autres atteintes aux droits fondamentaux."

Guatemala - "Ríos Montt est utile au pays" nous dit le président Portillo

par Norma Domínguez

Alfonso Portillo, président du Guatemala
Photo Norma Domínguez
BUENOS AIRES, mardi 10 juin 2003 (LatinReporters.com) - Premier président du Guatemala élu, en décembre 1999, depuis la fin de la guerre civile (1960-1996), Alfonso Portillo ne se représentera ni en novembre (la Constitution n'autorise pas deux mandats consécutifs) ni dans le futur, car, nous dit-il, "je vais me retirer de la politique". Il critique la "Constitution faite pour empêcher l'élection du général Ríos Montt", actuel président du Congrès, mais aussi ex-président putschiste soupçonné de massacres lors de la guerre civile qui, selon Alfonso Portillo lui-même, fit "200.000 morts et 60.000 disparus". "Ríos Montt est utile au pays", insiste le président Portillo, au moment où le général se lance dans la course à la présidence malgré l'interdit constitutionnel qui le frappe.

Nous publions de larges extraits de l'interview que nous accordée le président Alfonso Portillo à Buenos Aires, après l'investiture du nouveau président argentin Nestor Kirchner, à laquelle ont assisté, le 25 mai, une douzaine de chefs d'Etat latino-américains.

-Que pensez-vous des déclarations des Etats-Unis selon lesquelles leurs relations bilatérales avec le Guatemala seraient affectées si, finalement, Ríos Montt pouvait vraiment briguer la présidence?

Je crois que c'est un préjugé. Les Etats-Unis ont un Département d'Etat et une histoire diplomatique très institutionnels, surtout au cours des dernières années. Ne parlons pas de l'époque où la politique de Washington était une ingérence directe et agressive contre le Guatemala: n'oubliez pas que les Guatémaltèques conservent le souvenir de l'intervention nord-américaine de 1954, dont nous sentons encore le poids aujourd'hui.

Il est inadmissible qu'on s'exprime avec un préjugé et une intention claire d'influer sur le panorama politique guatémaltèque. Malgré notre compréhension de ce que signifie la globalisation, l'interdépendance, je considère qu'il faut respecter la souveraineté des peuples. ... Je crois que c'est le peuple qui doit décider qui sera son président. On ne peut admettre qu'un pays extérieur dise qui peut être candidat et qui ne peut pas l'être. Nous sommes un pays souverain, avec notre propre législation, notre propre Constitution, nos propres autorités. Ce seront donc les autorités et le peuple du Guatemala qui décideront...

-Quels reproches adressez-vous au système électoral guatémaltèque?

En premier lieu, nul ne conteste que la Constitution de la République a été faite pour empêcher l'élection du général Ríos Montt. C'est une aberration juridique, politique et morale. Dans aucun pays du monde, on ne peut faire une Constitution pour éviter que quelqu'un soit candidat à la présidence et cette Constitution, il faut la réformer.

Secundo, la Loi électorale permet aux partis de monopoliser les postes à élire par le peuple. Il faut davantage d'ouverture afin que les comités civiques puissent lancer des candidats à l'élection de députés.

Tertio, un grand problème dans toute l'Amérique latine est le financement des partis politiques... Il n'y a pas de règles claires. Les groupes puissants, les pouvoirs de fait, créent des partis par l'intermédiaire de représentants ou de pseudo-leaders pour continuer à exercer le pouvoir et à contrôler l'Etat...

-Pourquoi s'efforce-t-on d'empêcher la candidature de Ríos Montt? Ne croyez-vous pas que c'est parce qu'on l'accuse d'être un "génocidaire"?

...Si le bilan d'un politicien est négatif, logiquement ce politicien est négatif pour le système politique et pour le pays. Mais si le bilan est positif, alors ce politicien doit se maintenir et doit être utile. Et de fait, en ce qui concerne le général Ríos Montt, il est utile au pays.

Je ne suis pas un juge qui pourrait juger si le général a réellement eu un rôle de premier plan dans les massacres qu'on lui impute, dans l'élimination physique de villages. J'en ai parlé avec lui et il m'a dit que jamais il n'avait donné l'ordre de raser des villes ou de massacrer des gens.

Certes, nous devons reconnaître que l'armée du Guatemala a eu pendant une époque (et conseillée par des puissances étrangères durant une partie de cette époque) une politique de contre-insurrection qui nous a fait très mal et qui nous a valu une guerre fratricide avec 200.000 morts et 60.000 disparus.

Je ne peux pas m'ériger en juge. Que le fassent les tribunaux. Et Ríos Montt dit qu'il est disposé à aller devant les tribunaux afin d'être jugé pour ce qu'on lui impute concrètement.

-Quels sont les éléments positifs qui pourraient assurer l'élection de Ríos Montt s'il se présentait aux élections?

Le général a dans son acquis de grandes choses positives pour le pays. D'abord, en 1982, lorsqu'il fut chef de l'Etat, il dirigea la projet de projet de construction et d'établissement du Tribunal suprême électoral. C'est lui qui a initié cette année-là la troisième tentative démocratique au Guatemala. Avec lui, des institutions se créent.

VOIR AUSSI

Guatemala: droits de l'homme.
Rapport 2003 d'Amnesty
International

Guatemala: droits de l'homme.
Rapport 2002 d'Amnesty
International

Dossier Guatemala

Comme député, il a fait passer les lois les plus révolutionnaires. Si nous faisons une liste, je pourrais vous montrer trente lois: Loi du développement social, Réforme du code du travail, Réforme du Code municipal, Loi de décentralisation, Réforme éducative, Loi des langues (on vient d'approuver au Guatemala une loi qui reconnaît les langues des peuples indigènes, ce qui est historique), etc. En outre, nous avons entamé un programme de dédommagement des victimes du conflit.

Je suis sûr que le bilan du général est positif. Sinon, comment expliquer que l'on continue à voter pour lui?

-Comment la population indigène voit-elle Ríos Montt?

Le plus surprenant et insoupçonné est que le général obtient dans une localité d'autant plus de votes que la population indigène y est forte. C'est la population indigène qui continue à croire en lui. Pourquoi? J'ai demandé à beaucoup de gens: "Croyez-vous, par hasard, qu'ici, avec ce qu'on impute à cet homme, les peuples indigènes croiraient en lui si c'était vrai?" Et je parle des peuples indigènes dont les leaders sont de gauche, des leaders sociaux-démocrates qui travaillent dans tout le pays.

Je crois, j'insiste, que lorsqu'on jugera dans l'histoire du Guatemala le rôle du général, le bilan sera plus positif que négatif.

-Quelle est la composition et la participation de la population indigène aux élections? Est-ce comparable à la situation en Equateur?

Je crois que nous avons environ 56% de population indigène et le reste est population ladine et métisse.

Les indigènes sont très organisés. Ce n'est plus le peuple indigène d'il y a vingt ans, mais ils n'ont pas d'unité. Rappelons que nous avons vingt peuples indigènes.

Actuellement surgit un candidat pour qui, je crois, cette élection ne sera pas très bonne, mais je considère qu'il va établir un précédent et qu'il sera à l'avenir un candidat présent dans la vie politique nationale et internationale. Il s'appelle Rigoberto Quemé et il est maire de Quetzaltenango, la deuxième ville en importance du pays. C'est le premier maire (élu à deux reprises) indigène d'une grande ville et il se lance maintenant dans la course à la présidence. Déjà, de nombreux groupes de gauche et de nombreuses organisations indigènes s'agglutinent autour de lui. Je n'écarte pas la possibilité que dans cinq ou dix ans nous ayons au Guatemala le premier président indigène.

Et quant à la participation (des indigènes aux élections), ce sont les peuples indigènes qui me firent président. C'est dans les villages de l'Altiplano guatémaltèque, où 95% de la population est indigène, que j'ai obtenu le plus de votes.

-Généralement, quand on parle de population indigène, on l'associe directement à la pauvreté. Est-ce ainsi au Guatemala?

Nous avons le pays -et il n'y a aucun orgueil à le dire, nous devrions plutôt en avoir honte- présentant la plus forte concentration des revenus: 5% de la population absorbe 68% du revenu national. Cela n'existe dans aucun autre pays!

Une classe moyenne détruite et une carte géographique de la pauvreté qui coïncide avec la population indigène et paysanne. Et le plus terrible: au Guatemala la pauvreté a un visage d'indigène et de femme.

Nous avons été très critiqués, car on dit que nous faisons les programmes à des fins électorales. Mais non, la carte de la pauvreté est là: notre investissement majeur fut au profit des classes pauvres.

Prenons par exemple le programme des engrais, tant critiqué car, au niveau gouvernemental, nous avons acheté à l'étranger des engrais et des semences améliorées, que nous avons remises à la population la plus pauvre du pays, octroyant aussi des micro-crédits. Nous les avons donnés à 1,4 millions de paysans parmi les plus misérables, qui ne peuvent pas acheter un quintal d'engrais, car il vaut le double du prix de ce qu'il vaut sur le marché international.

Nous avons brisé un monopole des engrais et concentré sur toute cette masse de pauvres l'investissement en fertilisants et semences améliorées. Le résultat fut la croissance de la production agricole, la stabilisation des prix et la diminution de la misère des paysans.

Un autre programme est celui du petit-déjeuner et des déjeuners scolaires, pour lequel le gouvernement octroie un chèque (pas la nourriture, pour éviter de mauvais usages). Pour chaque école, les finances publiques émettent directement un chèque, administré par les conseils scolaires (composés de parents et de maîtres) pour assurer le petit-déjeuner et le déjeuner des enfants des écoles. On nous critique parce que ce programme ne couvre pas tous les enfants du pays, mais nous n'avons pas les ressources suffisantes. Nous concentrons donc le programme là où la décrochage scolaire est grand et là aussi nous concentrons le programme de bourses pour les filles -elles sont 150.000 à en bénéficier- car ce sont elles qui abandonnent le plus les écoles. Et le résultat a été merveilleux.

L'action publique, nous l'avons aussi concentrée sur les zones les plus pauvres: les centres scolaires, les centres de santé, les routes. Nous avons réalisé l'investissement en matière d'éducation là où se trouve le plus grand nombre de nécessiteux. Sur les 331 municipalités, 102 sont dans une extrême pauvreté.

-Que vous reste-t-il en suspens et qu'amélioreriez-vous si vous aviez l'opportunité d'être réélu président?

...Je crois que j'ai échoué quant au contrôle de la corruption. Nous n'avançons pas dans les réformes législatives pour rendre plus transparent l'Etat, l'exercice du pouvoir politique et l'investissement public. C'est ce dont je me lamente le plus et, en toute franchise, je reconnais qu'il y a toujours eu ici de la corruption et qu'elle s'est exacerbée. C'est cet échec que j'amenderais en premier lieu.

Je sais que je ne redeviendrai plus jamais président, car je vais me retirer de la politique. Mais si je l'étais à nouveau, le thème numéro un serait la transformation de l'Etat pour le rendre plus transparent. Je crois que nous sommes sur la bonne voie en décentralisant, car je considère qu'avec la réforme du Code fiscal municipal que j'ai soumise au Congrès, les municipalités vont gérer les ressources en étant plus proches de la population.

Et autre chose qui me frustre, qui reste en suspens et qui me préoccupe pour le futur du pays, c'est la question de la terre. Ce problème pourrait faire exploser le pays d'ici à cinq ans. On ne peut pas continuer à avoir 3,5 millions de paysans sans terre vivant dans la misère....

Il pourrait y avoir des soulèvements de paysans, des invasions de terres, des affrontements et une violence très forte. Le talon d'Achille de la démocratie guatémaltèque est la question de la terre, qui peut facilement déclencher un affrontement d'une ampleur inimaginable...

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