par Norma Domínguez
Nous publions de larges extraits de l'interview que nous accordée
le président Alfonso Portillo à Buenos Aires, après
l'investiture du nouveau président argentin Nestor Kirchner, à
laquelle ont assisté, le 25 mai, une douzaine de chefs d'Etat latino-américains.
-Que pensez-vous des déclarations des Etats-Unis selon lesquelles
leurs relations bilatérales avec le Guatemala seraient affectées
si, finalement, Ríos Montt pouvait vraiment briguer la présidence?
Je crois que c'est un préjugé. Les Etats-Unis ont un Département
d'Etat et une histoire diplomatique très institutionnels, surtout
au cours des dernières années. Ne parlons pas de l'époque
où la politique de Washington était une ingérence
directe et agressive contre le Guatemala: n'oubliez pas que les Guatémaltèques
conservent le souvenir de l'intervention nord-américaine de 1954,
dont nous sentons encore le poids aujourd'hui.
Il est inadmissible qu'on s'exprime avec un préjugé et
une intention claire d'influer sur le panorama politique guatémaltèque.
Malgré notre compréhension de ce que signifie la globalisation,
l'interdépendance, je considère qu'il faut respecter la souveraineté
des peuples. ... Je crois que c'est le peuple qui doit décider qui
sera son président. On ne peut admettre qu'un pays extérieur
dise qui peut être candidat et qui ne peut pas l'être. Nous
sommes un pays souverain, avec notre propre législation, notre propre
Constitution, nos propres autorités. Ce seront donc les autorités
et le peuple du Guatemala qui décideront...
-Quels reproches adressez-vous au système électoral
guatémaltèque?
En premier lieu, nul ne conteste que la Constitution de la République
a été faite pour empêcher l'élection du général
Ríos Montt. C'est une aberration juridique, politique et morale.
Dans aucun pays du monde, on ne peut faire une Constitution pour éviter
que quelqu'un soit candidat à la présidence et cette Constitution,
il faut la réformer.
Secundo, la Loi électorale permet aux partis de monopoliser les
postes à élire par le peuple. Il faut davantage d'ouverture
afin que les comités civiques puissent lancer des candidats à
l'élection de députés.
Tertio, un grand problème dans toute l'Amérique latine
est le financement des partis politiques... Il n'y a pas de règles
claires. Les groupes puissants, les pouvoirs de fait, créent des
partis par l'intermédiaire de représentants ou de pseudo-leaders
pour continuer à exercer le pouvoir et à contrôler
l'Etat...
-Pourquoi s'efforce-t-on d'empêcher la candidature de Ríos
Montt? Ne croyez-vous pas que c'est parce qu'on l'accuse d'être un
"génocidaire"?
...Si le bilan d'un politicien est négatif, logiquement ce politicien
est négatif pour le système politique et pour le pays. Mais
si le bilan est positif, alors ce politicien doit se maintenir et doit
être utile. Et de fait, en ce qui concerne le général
Ríos Montt, il est utile au pays.
Je ne suis pas un juge qui pourrait juger si le général
a réellement eu un rôle de premier plan dans les massacres
qu'on lui impute, dans l'élimination physique de villages. J'en
ai parlé avec lui et il m'a dit que jamais il n'avait donné
l'ordre de raser des villes ou de massacrer des gens.
Certes, nous devons reconnaître que l'armée du Guatemala
a eu pendant une époque (et conseillée par des puissances
étrangères durant une partie de cette époque) une
politique de contre-insurrection qui nous a fait très mal et qui
nous a valu une guerre fratricide avec 200.000 morts et 60.000 disparus.
Je ne peux pas m'ériger en juge. Que le fassent les tribunaux.
Et Ríos Montt dit qu'il est disposé à aller devant
les tribunaux afin d'être jugé pour ce qu'on lui impute concrètement.
-Quels sont les éléments positifs qui pourraient assurer
l'élection de Ríos Montt s'il se présentait aux élections?
Le général a dans son acquis de grandes choses positives
pour le pays. D'abord, en 1982, lorsqu'il fut chef de l'Etat, il dirigea
la projet de projet de construction et d'établissement du Tribunal
suprême électoral. C'est lui qui a initié cette année-là
la troisième tentative démocratique au Guatemala. Avec lui,
des institutions se créent.
Guatemala: droits de l'homme. Guatemala: droits de l'homme. Je suis sûr que le bilan du général est positif.
Sinon, comment expliquer que l'on continue à voter pour lui?
-Comment la population indigène voit-elle Ríos Montt?
Le plus surprenant et insoupçonné est que le général
obtient dans une localité d'autant plus de votes que la population
indigène y est forte. C'est la population indigène qui continue
à croire en lui. Pourquoi? J'ai demandé à beaucoup
de gens: "Croyez-vous, par hasard, qu'ici, avec ce qu'on impute à
cet homme, les peuples indigènes croiraient en lui si c'était
vrai?" Et je parle des peuples indigènes dont les leaders sont de
gauche, des leaders sociaux-démocrates qui travaillent dans tout
le pays.
Je crois, j'insiste, que lorsqu'on jugera dans l'histoire du Guatemala
le rôle du général, le bilan sera plus positif que
négatif.
-Quelle est la composition et la participation de la population indigène
aux élections? Est-ce comparable à la situation en Equateur?
Je crois que nous avons environ 56% de population indigène et
le reste est population ladine et métisse.
Les indigènes sont très organisés. Ce n'est plus
le peuple indigène d'il y a vingt ans, mais ils n'ont pas d'unité.
Rappelons que nous avons vingt peuples indigènes.
Actuellement surgit un candidat pour qui, je crois, cette élection
ne sera pas très bonne, mais je considère qu'il va établir
un précédent et qu'il sera à l'avenir un candidat
présent dans la vie politique nationale et internationale. Il s'appelle
Rigoberto Quemé et il est maire de Quetzaltenango, la deuxième
ville en importance du pays. C'est le premier maire (élu à
deux reprises) indigène d'une grande ville et il se lance maintenant
dans la course à la présidence. Déjà, de nombreux
groupes de gauche et de nombreuses organisations indigènes s'agglutinent
autour de lui. Je n'écarte pas la possibilité que dans cinq
ou dix ans nous ayons au Guatemala le premier président indigène.
Et quant à la participation (des indigènes aux élections),
ce sont les peuples indigènes qui me firent président. C'est
dans les villages de l'Altiplano guatémaltèque, où
95% de la population est indigène, que j'ai obtenu le plus de votes.
-Généralement, quand on parle de population indigène,
on l'associe directement à la pauvreté. Est-ce ainsi au Guatemala?
Nous avons le pays -et il n'y a aucun orgueil à le dire, nous
devrions plutôt en avoir honte- présentant la plus forte concentration
des revenus: 5% de la population absorbe 68% du revenu national. Cela n'existe
dans aucun autre pays!
Une classe moyenne détruite et une carte géographique
de la pauvreté qui coïncide avec la population indigène
et paysanne. Et le plus terrible: au Guatemala la pauvreté a un
visage d'indigène et de femme.
Nous avons été très critiqués, car on dit
que nous faisons les programmes à des fins électorales. Mais
non, la carte de la pauvreté est là: notre investissement
majeur fut au profit des classes pauvres.
Prenons par exemple le programme des engrais, tant critiqué car,
au niveau gouvernemental, nous avons acheté à l'étranger
des engrais et des semences améliorées, que nous avons remises
à la population la plus pauvre du pays, octroyant aussi des micro-crédits.
Nous les avons donnés à 1,4 millions de paysans parmi les
plus misérables, qui ne peuvent pas acheter un quintal d'engrais,
car il vaut le double du prix de ce qu'il vaut sur le marché international.
Nous avons brisé un monopole des engrais et concentré
sur toute cette masse de pauvres l'investissement en fertilisants et semences
améliorées. Le résultat fut la croissance de la production
agricole, la stabilisation des prix et la diminution de la misère
des paysans.
Un autre programme est celui du petit-déjeuner et des déjeuners
scolaires, pour lequel le gouvernement octroie un chèque (pas la
nourriture, pour éviter de mauvais usages). Pour chaque école,
les finances publiques émettent directement un chèque, administré
par les conseils scolaires (composés de parents et de maîtres)
pour assurer le petit-déjeuner et le déjeuner des enfants
des écoles. On nous critique parce que ce programme ne couvre pas
tous les enfants du pays, mais nous n'avons pas les ressources suffisantes.
Nous concentrons donc le programme là où la décrochage
scolaire est grand et là aussi nous concentrons le programme de
bourses pour les filles -elles sont 150.000 à en bénéficier-
car ce sont elles qui abandonnent le plus les écoles. Et le résultat
a été merveilleux.
L'action publique, nous l'avons aussi concentrée sur les zones
les plus pauvres: les centres scolaires, les centres de santé, les
routes. Nous avons réalisé l'investissement en matière
d'éducation là où se trouve le plus grand nombre de
nécessiteux. Sur les 331 municipalités, 102 sont dans une
extrême pauvreté.
-Que vous reste-t-il en suspens et qu'amélioreriez-vous si
vous aviez l'opportunité d'être réélu président?
...Je crois que j'ai échoué quant au contrôle de
la corruption. Nous n'avançons pas dans les réformes législatives
pour rendre plus transparent l'Etat, l'exercice du pouvoir politique et
l'investissement public. C'est ce dont je me lamente le plus et, en toute
franchise, je reconnais qu'il y a toujours eu ici de la corruption et qu'elle
s'est exacerbée. C'est cet échec que j'amenderais en premier
lieu.
Je sais que je ne redeviendrai plus jamais président, car je
vais me retirer de la politique. Mais si je l'étais à nouveau,
le thème numéro un serait la transformation de l'Etat pour
le rendre plus transparent. Je crois que nous sommes sur la bonne voie
en décentralisant, car je considère qu'avec la réforme
du Code fiscal municipal que j'ai soumise au Congrès, les municipalités
vont gérer les ressources en étant plus proches de la population.
Et autre chose qui me frustre, qui reste en suspens et qui me préoccupe
pour le futur du pays, c'est la question de la terre. Ce problème
pourrait faire exploser le pays d'ici à cinq ans. On ne peut pas
continuer à avoir 3,5 millions de paysans sans terre vivant dans
la misère....
Il pourrait y avoir des soulèvements de paysans, des invasions
de terres, des affrontements et une violence très forte. Le talon
d'Achille de la démocratie guatémaltèque est la question
de la terre, qui peut facilement déclencher un affrontement d'une
ampleur inimaginable... Vous pouvez réagir à cet article sur notre forum
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