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Rapport 2002 (relatif à l'année 2001) d'Amnesty International

Guatemala: droits de l'homme

Ce texte d'Amnesty International n'engage que la responsabilité de cette organisation

(Retranscrit par LatinReporters.com à QUITO, mercredi 12 juin 2002) - La mise en œuvre des accords de paix de 1996 n'a guère progressé. Par ailleurs, les autorités n'ont tenu quasiment aucun compte des recommandations que l'Eglise guatémaltèque et la Commission pour la clarification historique, mise en place sous l'égide des Nations unies, ont formulées dans leurs rapports en vue de résoudre la question des violences généralisées perpétrées pendant la guerre civile par les soldats, les patrouilles civiles et les chefs militaires guatémaltèques.

En juin, trois membres des forces armées ont été condamnés à de lourdes peines de réclusion pour l'exécution extrajudiciaire de l'évêque Juan José Gerardi, commise en 1998. Les organisations non gouvernementales de défense des droits humains, les journalistes, les membres de l'appareil judiciaire, les témoins et les personnes qui tentaient de faire traduire en justice les responsables présumés de violences continuaient de se heurter à de nombreux obstacles et d'être la cible de menaces.

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Face à la corruption généralisée, la population avait de moins en moins confiance en la justice, ce qui a entraîné une augmentation du nombre de lynchages.

Des condamnations à mort ont été prononcées, mais aucune exécution n'a eu lieu.

Contexte

Lors de son entrée en fonction, au mois de janvier 2000, le président Alfonso Portillo avait promis la mise en œuvre des accords de paix et le démantèlement de la structure de pouvoir "parallèle" qui empêche la protection des droits humains et la poursuite en justice des personnes soupçonnées d'avoir porté atteinte à ces droits. Il s'était aussi engagé à abolir le tristement célèbre Estado Mayor Presidencial (État-major présidentiel), qui a joué un rôle dans certaines des affaires les plus retentissantes.
Le fait qu'il n'ait pas respecté ces promesses semblait être symptomatique de sa perte de pouvoir au sein de son propre parti au profit du général en retraite Efrain Rios Montt, actuel président du Parlement et ancien chef de l'État. Celui-ci était le responsable des opérations anti-insurrectionnelles menées au début des années 80, au cours desquelles plusieurs dizaines de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants indigènes non combattants ont été massacrés, souvent après avoir été torturés, et notamment violés. Selon certaines sources, le général Ríos Montt et d'autres militaires continuaient de gérer une structure de pouvoir parallèle; ils s'employaient ainsi à contrecarrer les tentatives qui étaient faites pour traduire en justice les auteurs présumés d'atteintes aux droits humains et à mettre en place, à des postes influents, d'anciens responsables militaires aux états de service peu brillants en matière de droits humains.

Préoccupations internationales

Les résolutions adoptées par les mécanismes de surveillance internationaux reflétaient les préoccupations concernant l'aggravation de la situation des droits humains au Guatemala. Des représentants de ces mécanismes se sont rendus dans le pays.

Le rapporteur spécial des Nations unies sur l'indépendance des juges et des avocats est allé au Guatemala au mois de mai pour enquêter sur diverses menaces et agressions, dont les homicides commis sur sept avocats entre octobre 2000 et février 2001 et le lynchage d'un juge (voir plus loin). Il n'a constaté aucun progrès sur le front des droits humains et a regretté que le Guatemala n'ait tenu quasiment aucun compte des recommandations formulées après sa visite de 1999.

Les défenseurs des droits humains assiégés

Des défenseurs des droits humains, des représentants de l'appareil judiciaire, des témoins et des survivants qui intervenaient dans les procédures engagées contre des membres des forces de sécurité soupçonnés de violations des droits fondamentaux recevaient presque chaque jour des menaces de mort et faisaient l'objet de manœuvres d'intimidation. Des militants luttant contre l'impunité ont signalé que d'importantes données leur avaient été volées et ont affirmé avoir été mis sous surveillance électronique ; leurs ordinateurs auraient été piratés.

Des sympathisants de l'Asociación Justicia y Reconciliación (AJR, Association justice et réconciliation) et du Centro para la Acción Legal en Derechos Humanos (CALDH, Centre pour la poursuite en justice des responsables de violations des droits fondamentaux) ont été menacés et agressés. En février, des soldats et d'anciens membres des patrouilles civiles qui secondaient les militaires pendant la guerre civile auraient menacé les communautés rassemblées au sein de l'AJR pour dissuader les survivants de témoigner dans le cadre d'une plainte - qui allait finalement être déposée en juin - contre plusieurs membres de l'ancien gouvernement du général Efraín Ríos Montt. Les menaces visaient le personnel du CALDH et les villageois réunissant des éléments de preuve. L'AJR regroupe des survivants de massacres perpétrés sous les gouvernements des généraux Romeo Lucas García (1978-1982) et Ríos Montt (1982-1983). En 2000, avec l'aide du CALDH, cette association avait déposé une première plainte pour génocide contre le général Romeo Lucas García et plusieurs membres de son gouvernement. Au mois d'avril 2001, des membres du CALDH ont été pris à partie par des sympathisants du gouvernement venus dans la capitale pour défier des manifestants qui demandaient que le général Efraín Ríos Montt soit jugé pour avoir illégalement modifié une loi sur la taxation de l'alcool. Au mois de juillet, un dirigeant associatif d'un village qui avait joué un rôle dans la première plainte déposée par l'AJR a été abattu.

Au mois de mai, la directrice de l'Asociación Familiares de los Detenidos-Desaparecidos de Guatemala (FAMDEGUA, Association des parents des prisonniers "disparus" au Guatemala) et son chauffeur ont été enlevés pendant une courte durée par des hommes armés, en dépit de la présence de gardes de sécurité chargés d'assurer leur protection à la suite de précédentes agressions. Leurs ravisseurs les ont menacés et les ont interrogés sur les activités de l'association. La FAMDEGUA se bat activement pour que des exhumations soient effectuées et que les auteurs présumés de massacres soient poursuivis en justice.

Condamnation dans l'affaire Gerardi

En juin, après des pressions prolongées de la communauté internationale, trois militaires accusés du meurtre de Mgr Gerardi ont été reconnus coupables et condamnés à trente ans de réclusion. Le président Portillo avait promis que les responsables présumés seraient déférés à la justice. Cette affaire était considérée comme un test qui permettrait de juger de la capacité du système judiciaire à traiter d'affaires sensibles dans le domaine des droits humains et les verdicts et peines prononcés ont été largement salués. Cependant, les condamnés ont immédiatement interjeté appel et des doutes ont été émis quant à leur culpabilité. La procédure engagée contre d'autres militaires qui auraient également joué un rôle dans le meurtre était toujours en instance.

La recherche de la justice a coûté très cher dans cette affaire : trois témoins ont été tués, de même que six témoins potentiels (des sans-abri qui dormaient près du domicile de l'évêque la nuit du meurtre). Les avocats, procureurs et juges ayant participé à la procédure ont été menacés et harcelés, ainsi que des dizaines d'autres personnes, dont le personnel de l'Oficina de Derechos Humanos del Arzobispado de Guatemala (ODHAG, Service des droits humains de l'archevêché du Guatemala). Ce Service, autrefois dirigé par Mgr Gerardi, est à l'origine du rapport exhaustif préparé par ce dernier sur les atteintes aux droits humains perpétrées pendant le conflit. Plusieurs personnes, y compris trois procureurs, ont dû quitter le pays.

Requêtes auprès du système interaméricain de protection des droits humains

Des organisations et des particuliers se sont adressés aux organes interaméricains de protection des droits humains pour obtenir réparation et pour que le gouvernement du Guatemala reconnaisse les violations commises. En 2000, dans le cadre de "règlements amiables" conclu sous l'égide de la Commission interaméricaine des droits de l'homme entre des requérants et les autorités guatémaltèques, ces dernières avaient admis la responsabilité généralisée de l'État dans ces violences. En mai, le gouvernement a démis de ses fonctions la personne qui avait négocié ces règlements auprès de la Commission; par la suite, il a également renvoyé son remplaçant. Ces deux limogeages semblaient montrer que l'armée désapprouvait ces règlements, bien qu'ils n'aient pas aidé, dans la plupart des cas, à déférer les responsables présumés aux tribunaux guatémaltèques ni à obtenir le versement en temps voulu des indemnisations prévues.

LE MASSACRE DE LAS DOS ERRES
Le paiement d'une indemnisation par le gouvernement a été décidé au mois de mai et annoncé au mois de décembre aux familles des quelque 350 personnes - hommes, femmes et enfants - massacrés à Las Dos Erres (département du Petén) en 1982 par l'armée guatémaltèque et ses auxiliaires, les patrouilles civiles. Les femmes avaient été violées avant d'être tuées. Les familles et les associations de défense des droits humains, qui ont longtemps lutté pour que justice soit faite en dépit des menaces et des violences auxquelles elles s'exposaient, ont appris cette décision avec satisfaction. Elles n'en ont pas moins continué à insister pour que les responsables présumés soient traduits en justice et ont nommément mis en cause un ministre du gouvernement qui aurait contribué à former les auteurs de ces violences, ainsi que quatre militaires toujours en service actif. Au mois de mars 2000, des mandats d'arrêt avaient été décernés contre neuf soldats. En avril 2001, cependant, la Cour constitutionnelle a provisoirement suspendu ces mandats, au motif que la cour d'appel ne s'était pas encore prononcée sur la question de savoir si ces soldats étaient ou non à l'abri des poursuites en vertu de la loi d'amnistie adoptée en 1996.

MYRNA MACK
En mars, la Commission interaméricaine des droits de l'homme a saisi la Cour interaméricaine des droits de l'homme du cas de l'anthropologue Myrna Mack, victime d'une exécution extrajudiciaire en 1990. L'arrêt devait être rendu en 2002. La Commission avait admis cette requête en raison des obstacles rencontrés par la demanderesse, Helen Mack, soeur de la victime, pour obtenir justice au Guatemala et à cause de la lenteur injustifiée de cette affaire. Myrna Mack aurait été tuée parce que son étude sur le déplacement des populations indigènes du Guatemala dans le cadre de la stratégie anti-insurrectionnelle de l'armée était hautement préjudiciable pour le gouvernement.
En 2000, Helen Mack avait accepté le principe d'un "règlement amiable", sous réserve que les procédures judiciaires engagées contre les responsables présumés aboutissent dans des délais raisonnables; le Guatemala avait reconnu sa responsabilité institutionnelle dans le meurtre de Myrna Mack et accepté de verser une indemnisation. Cependant, les observateurs officiels avaient indiqué que le Guatemala ne respectait pas les termes de l'accord et ils avaient demandé que les procédures se poursuivent dans le cadre du système interaméricain.
Un sergent de l'État-major présidentiel a été reconnu coupable du meurtre en 1993, mais le procès intenté contre trois officiers accusés d'avoir préparé le crime a très peu avancé en raison des nombreux appels interjetés par la défense.
Les personnes qui se sont battues pour que les responsables présumés de la mort de Myrna Mack soient traduits en justice continuaient d'être prises pour cible. Cinq employés d'une fondation créée en son nom ont fait l'objet de menaces en avril. L'une des personnes visées était Rodolfo Robles, un général péruvien à la retraite. Ce dernier avait témoigné, dans le cadre de procès liés au meurtre de Myrna Mack et de Mgr Gerardi, sur la réaction que les enquêtes sur les violations des droits humains devaient avoir suscitée parmi les militaires guatémaltèques.
En octobre, Matilde Leonor González, une historienne travaillant pour un institut de recherche en sciences sociales cofondé par Myrna Mack, a été menacée et suivie, apparemment parce qu'elle était arrivée à la conclusion que les militaires manipulaient les dirigeants locaux pour que ces derniers encouragent l'agitation sociale et les lynchages.

Compétence universelle de l'Espagne

En 2001, la Fondation Rigoberta Menchu attendait l'issue de son recours contre l'arrêt rendu en décembre 2000 par l'Audience nationale espagnole. Celle-ci s'était déclarée incompétente pour examiner la plainte pour génocide et autres crimes contre l'humanité déposée en 1999 par la Fondation contre huit anciens militaires guatémaltèques, dont le général Ríos Montt. Le Prix Nobel Rigoberta Menchú et ses collègues ont déclaré avoir fait l'objet de menaces de mort et d'autres manœuvres de harcèlement depuis le dépôt de cette plainte.

Violences liées à des affaires de corruption

Des journalistes qui couvraient des affaires de corruption ont été pris pour cible, de même que le personnel d'agences officielles de protection de l'environnement et des ressources naturelles. L'impunité généralisée a encouragé des collusions entre des hauts responsables, des hommes d'affaires, des membres des forces de sécurité et des criminels ordinaires souhaitant contrôler diverses industries légales et illégales: extraction et raffinage de pétrole, trafic d'armes et de stupéfiants, blanchiment d'argent, réseaux organisés de vol de voitures, adoptions illégales, enlèvements et demandes de rançon, exploitation forestière illégale et autres utilisations prohibées d'espaces nationaux protégés.

Au mois de février, un employé de l'Institut national des forêts a été abattu dans le département d'Alta Verapaz, apparemment en représailles à ses efforts pour contrôler l'exploitation forestière illégale et la contrebande de bois précieux protégés.

Lynchages

Selon la Mission de vérification des Nations unies au Guatemala, 347 personnes auraient été lynchées entre 1996 et la mi-2001. Dans plus de 97 p. cent des cas, les auteurs présumés n'ont pas été poursuivis. L'inquiétude suscitée par la montée en flèche de la criminalité a souvent amené la population à se faire justice pour éliminer les délinquants présumés. Dans certains cas, cependant, des lynchages "spontanés" auraient pu être ordonnés et planifiés pour d'autres raisons.

En mars, le juge Álvaro Hugo Martínez a été lynché à Alta Verapaz, apparemment parce qu'il enquêtait sur la corruption locale et tentait de prendre des mesures de répression contre des réseaux de voleurs de voiture contrôlés par de puissantes personnalités locales et nationales.

Visites d'Amnesty International

Des délégués d'Amnesty International se sont rendus au Guatemala aux mois de mai et de juin pour y recueillir des informations relatives aux droits humains, faire part de leurs préoccupations aux représentants de l'État et manifester leur soutien à tous ceux qui s'efforcent de lutter contre l'impunité, envers et contre tout. Dans le cadre de son projet d'observation des procès au Guatemala, Amnesty International a suivi la procédure judiciaire relative au meurtre de Mgr Gerardi.

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