Retour / Back

Le Nobel de littérature Vargas Llosa votera le 5 juin pour l'ex-militaire
Pérou: Humala (gauche) favori du 2e tour de la présidentielle contre Keiko Fujimori
 

LIMA, lundi 25 avril 2011 (LatinReporters.com) - Le candidat nationaliste de gauche Ollanta Humala est le favori du second tour, le 5 juin, de l'élection présidentielle au Pérou avec 42% des intentions de vote, contre 36% à Keiko Fujimori (droite populiste). Le Pérou est avec la Colombie le seul pays d'Amérique du Sud à n'avoir pas élu un président de gauche depuis plus de 20 ans.

Le taux de préférence actuel des deux finalistes de la présidentielle est évalué dans un sondage publié le 24 avril par le quotidien péruvien El Comercio. Il a été réalisé par la société Ipsos Apoyo dans 23 départements sur un échantillon de 1.802 personnes. Il s'agit du premier sondage diffusé après le premier tour, remporté le 10 avril par Ollanta Humala avec 31,7% des suffrages, devant Keiko Fujimori (23,5%).

Neuf autres candidats avaient été éliminés le 10 avril, dont l'ex-Premier ministre Pedro Pablo Kuczynski (18,5%), l'ancien président Alejandro Toledo (15,6%) et Luis Castañeda (9,8%), ex-maire de Lima. C'est du report des voix des électeurs de ces trois ténors de centre droit que dépend le résultat du 2e tour, ce qui contraint les finalistes à une modération feinte ou réelle, balisée par le respect de la plupart des paramètres qui ont fait du Pérou le champion actuel de la croissance en Amérique latine.

Aucune de ces trois personnalités ne s'est encore prononcée formellement en faveur du lieutenant-colonel retraité Ollanta Humala ou de la députée Keiko Fujimori, fille de l'ex-président (1990-2000) d'origine japonaise Alberto Fujimori, emprisonné à Lima où il purge 25 ans de prison pour crimes contre l'humanité.

Le sondage d'Ipsos Apoyo relève toutefois que les électeurs de Pedro Pablo Kuczynski et de Luis Castañeda expriment une nette préférence pour Keiko Fujimori. Par contre, une légère majorité d'électeurs d'Alejandro Toledo se reporterait plutôt sur Ollanta Humala. Ces tendances reflètent les choix encore diffus qui se concrétisent progressivement au sein des états-majors politiques.

La présidentielle n'est pas encore jouée

A six semaines du 2e tour, Alfredo Torres, analyste d'Ipsos Apoyo, se garde de considérer la présidentielle comme déjà jouée. Il note que 22% des personnes interrogées ne se sont pas encore décidées pour l'un ou l'autre candidat et que Keiko Fujimori a ramené son retard sur Ollanta Humala à six points, contre huit deux semaines plus tôt au premier tour.

Alfredo Torres relève encore que l'officier retraité a la faveur de l'électorat masculin, des secteurs populaires et des Péruviens provinciaux. La fille d'Alberto Fujimori est, elle, la préférée des femmes, des jeunes de 18 à 25 ans, des classes les plus aisées (mais avec une audience importante parmi les plus démunis) et de la population de la capitale, Lima, qui forme à elle seule le tiers de l'électorat.

L'efficacité accrue de l'Etat dans le maintien de la sécurité publique et dans la lutte contre la pauvreté sont pour les deux candidats les promesses les plus payantes. Curieusement, toujours selon les résultats du sondage analysés par Alfredo Torres, le choix du modèle économique n'importerait qu'à une minorité.

En 2006, Ollanta Humala avait déjà remporté le premier tour de l'élection présidentielle, avant d'être battu au second par le social-démocrate Alan Garcia, aujourd'hui apôtre du néolibéralisme et président sortant. Mais cette année, la victoire semble plus à la portée de l'ancien militaire. A cet égard, le sondage d'Ipsos Apoyo indique significativement que 49% des personnes interrogées croient, indépendamment de leur propre vote, que le vainqueur sera Humala. Dans cette perception, il devance de 13 points Keiko Fujimori.

Un appel aussi inattendu que sonore au vote pour Humala pourrait contribuer à retourner nombre d'électeurs qui lui étaient en principe hostiles. Cet appel a été lancé par le monument national qu'est au Pérou l'écrivain Mario Vargas Llosa, prix Nobel de littérature 2010.

Mario Vargas Llosa a choisi entre "sida et cancer"

Envisageant il y a plusieurs mois déjà l'éventualité d'un second tour entre Humala et Keiko Fujimori, Vargas Llosa l'assimilait à une alternative "sida ou cancer en phase terminale". L'écrivain a choisi le sida, concentrant ses foudres sur le supposé cancer fujimoriste.

"Je n'ai aucun doute qu'élire Keiko Fujimori présidente du Pérou serait l'erreur la plus grave que puisse commettre le peuple péruvien. Cela équivaudrait à légitimer la pire dictature subie au cours de notre histoire républicaine" affirme Mario Vargas Llosa. Il accuse la candidate d'être entourée de "collaborateurs de la dictature" qu'avait, selon lui, instaurée "l'assassin, le voleur, le traître à la légalité constitutionnelle" qu'aurait été son père, Alberto Fujimori. Ce dernier, rappel utile, avait vaincu à la présidentielle de 1990 le candidat libéral qu'était alors Mario Vargas Llosa.

Le prix Nobel invite les Péruviens à soutenir Ollanta Humala, sans ignorer que "son ancienne sympathie pour les politiques catastrophiques de la dictature du général [péruvien] Velasco et de la dictature vénézuélienne d'Hugo Chavez" impliquerait "un risque pour tous ceux qui défendent la culture de la liberté".

Mais un "appui exigeant et critique" des électeurs au candidat de la gauche péruvienne devrait, espère Vargas Llosa, consolider "l'évolution idéologique" d'Ollanta Humala vers la gauche latino-américaine d'essence démocratique, notamment la brésilienne, dont se réclame aujourd'hui, sincèrement ou non, l'officier à la retraite.

Ingénuité de l'apôtre du libéralisme économique qu'est toujours Mario Vargas Llosa? Peut-être. Pedro Pablo Kuczynski et d'autres relèvent que malgré l'apaisant "Engagement à l'égard du peuple péruvien" signé par Humala avant le premier tour de la présidentielle pour sortir des catacombes du radicalisme, il n'a pas renié le Plan de gouvernement 2011-2016 présenté en décembre 2010 par sa coalition Gana Perú. Un plan dans lequel les adversaires du militaire retraité voient l'influence manifeste du Venezuela chaviste.


© LatinReporters.com - Amérique latine - Espagne