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Attentats déstabilisateurs neutralisés? Venezuela-présidentielle: Hugo Chavez favori / Bilan de 8 ans de chavisme
"Nous allons les gifler souverainement. Nous allons les battre par KO" s'exclamait Hugo Chavez, lors de son dernier meeting électoral à Caracas, le 26 novembre, à propos de ses 13 adversaires de l'élection présidentielle. Il exhortait la foule vêtue de rouge à ne pas oublier "que nous affrontons le diable lui-même, le gouvernement impérialiste des Etats-Unis. Notre principal adversaire, c'est l'empire le plus puissant de la terre, non les larbins qu'il a ici". Seize des 27 millions de Vénézuéliens sont appelés aux urnes. Le scrutin est à tour unique et le candidat obtenant le plus de voix sera, quel que soit son pourcentage, président de la République bolivarienne du Venezuela pendant six ans. Des violences sont redoutées. En prévision de troubles, les Caraqueños se précipitent sur les conserves, le lait, l'eau minérale et autres produits de première nécessité. Dans plusieurs supermarchés, les stocks sont épuisés. Le président Chavez affirmait jeudi soir que les services de sécurité venaient de neutraliser une tentative d'assassinat de l'opposant Manuel Rosales par des "groupes fascistes radicaux", assassinat que ces groupes avaient l'intention d'imputer au gouvernement pour le déstabiliser. Un projet d'attentat contre des trains vénézuéliens aurait aussi été désactivé. Hugo Chavez prétend que ses instigateurs, qu'il n'a pas identifiés, visaient à créer un "effet Madrid", en référence aux attentats islamistes qui ont fait 191 morts et près de 2.000 blessés le 11 mars 2004 dans quatre trains desservant la banlieue madrilène, contribuant trois jours plus tard à la défaite du parti gouvernemental espagnol aux élections législatives. Le 6 novembre dernier, c'est "l'effet ukrainien" que prônait publiquement Rafael Poleo, directeur d'un journal d'opposition. Il exhortait les Vénézuéliens, en cas de victoire d'Hugo Chavez, à dénoncer "la fraude électorale" massivement dans la rue, comme les Ukrainiens en novembre 2004, pour que l'armée intervienne et dépose le président. La plupart des sondages n'en annoncent pas moins la probable réélection d'Hugo Chavez avec au moins 60% des suffrages. Elu pour la première fois à la présidence en décembre 1998 avec 56,2% des voix (et une abstention de 36,54%), reconduit en juillet 2000 sur le score de 59,76% (avec une abstention de 43,69%) sur la base du mandat de six ans instauré par la nouvelle Constitution bolivarienne (elle-même plébiscitée par 71,78% des électeurs en décembre 1999), Hugo Chavez devrait donc remporter à 52 ans sa 12e victoire électorale consécutive, tous types de scrutins confondus. Le chavisme a succédé à des décennies de monopole démocrate-chrétien et social-démocrate du pouvoir. Considérant sa victoire acquise, Chavez a confirmé jeudi devant la presse convoquée au Palais présidentiel de Miraflores son intention de réviser prochainement la Constitution à la lumière "de la nouvelle réalité mondiale, continentale et nationale" et d'y inscrire la "réélection indéfinie" à la présidence. La Constitution bolivarienne de 1999 n'autorise que deux mandats présidentiels consécutifs. Sans révision, Hugo Chavez ne pourrait pas se représenter en 2012. Or, il a l'ambition de durer, mais en s'appuyant toujours sur des urnes ouvertes au pluralisme, ce qui le différencie de son ami et allié cubain Fidel Castro. Projection internationale et popularité nationale d'Hugo Chavez Rescapé de la tentative de coup d'Etat d'avril 2002 et du référendum "révocatoire" d'août 2004 (59% des électeurs se prononçant alors contre sa destitution), Hugo Chavez en a retiré une plus grande projection internationale, entretenue et élargie par sa truculente hostilité envers le président américain George W. Bush et par la contagion bolivarienne de l'Amérique latine. Des gauches diverses gouvernent 11 des 19 pays latino-américains (ceux dont la langue officielle est l'espagnol, plus le Brésil). Sans nécessairement souscrire au "socialisme du 21e siècle" dont se réclame Hugo Chavez sans l'avoir défini et malgré des dissensions parfois vives (notamment entre Lima et Caracas), toutes ces gauches acceptent ou tolèrent la réactivation du symbole d'unité qu'est encore le libertador historique Simon Bolivar, fossoyeur au 19e siècle de la domination espagnole. Venezuela, Cuba, Bolivie et Equateur forment aujourd'hui le front bolivarien radicalement antiaméricain. Le Nicaragua les rejoindra peut-être si le sandiniste Daniel Ortega, élu président le 5 novembre dernier, retrouvait ses vieux accents révolutionnaires, émoussés au point de s'accommoder d'un accord de libre-échange avec les Etats-Unis. Par ailleurs, membre depuis cette année du Mercosur (marché commun sud-américain qui regroupe aussi le Brésil, l'Argentine, le Paraguay et l'Uruguay), le Venezuela d'Hugo Chavez y devient le promoteur de grandes infrastructures régionales, tel le futur gazoduc sud-américain, destiné à l'approvisionnement énergétique du sous-continent sur un parcours de 8.000 km. Les ambitions régionales de Chavez sont crédibilisées par les revenus pétroliers du Venezuela, 5e exportateur mondial de pétrole brut. Les Etats-Unis demeurent paradoxalement son principal client. Dans son pays, Hugo Chavez a maintenu et même peut-être accru sa popularité grâce à deux facteurs conjugués: d'une part, la hausse du prix du pétrole, qui a relancé la croissance vénézuélienne de 17% en 2004 et de 9% en 2005, et, d'autre part, les "missions" sociales, financées par la manne pétrolière, menées avec une nuée de professionnels cubains, dont plus de dix mille médecins. Dans les domaines de la santé, de l'éducation, de l'habitat, de l'agriculture (des terres ont été redistribuées à de petits paysans) et de l'alimentation, ces "missions" épaulent les populations défavorisées. Mais elles ne rebutent pas la classe moyenne. Dans les "Mercal", la vente directe d'aliments à prix "solidaire" est accessible à tous, comme les analyses et médicaments gratuits dans les dispensaires de quartier. Hugo Chavez ratisserait donc large. Ses adversaires qualifient cette politique de populiste, car dépendant d'un seul homme cherchant à se lier au peuple par une gigantesque aumône qui créerait une clientèle électorale d'assistés sans garantir l'avenir et sans s'embarrasser de mécanismes intermédiaires propres aux démocraties traditionnelles. Malgré le pétrole et les "missions", la pauvreté reste élevée au Venezuela après huit ans de chavisme. Plusieurs grèves générales lancées par l'opposition y ont contribué. Entre décembre 2002 et février 2003, une grève insurrectionnelle paralysa pour la première fois le secteur pétrolier, qui assure 50% du PIB, 50% des rentrées fiscales et 80% des exportations. Les statistiques gouvernementales vénézuéliennes indiquent que depuis 1998 la pauvreté serait passée de 44% à 34% de la population. Mais selon des chiffres théoriquement plus neutres publiés par le Ministère français des Affaires étrangères, plus de 70% de la population vénézuélienne vit en état de pauvreté, dont 50% dans une extrême pauvreté. La même source ajoute que si le chômage a été ramené de 20% à 16% en 2004, il se conjugue à un sous-emploi élevé et à une grande importance du secteur informel. Le directeur de Data Analisis, Luis Vicente Leon, estime néanmoins que les Vénézuéliens sont en majorité satisfaits de l'action gouvernementale en matière d'éducation, de santé et d'alimentation. Par contre, ils s'inquiètent de la criminalité (10.000 homicides par an), du chômage et de la corruption. La "carte noire", arme de choc de l'opposant Manuel Rosales Parmi les 13 adversaires d'Hugo Chavez dans la course à la présidence, seul Manuel Rosales, 53 ans, a la stature d'un challenger. Plusieurs de ses meetings ont réuni chacun plus de cent mille personnes. Renonçant provisoirement, pour briguer la présidence, à son poste de gouverneur de l'Etat de Zulia, le plus peuplé (3,5 millions d'habitants) et le plus riche du pays (on y extrait 80% du pétrole vénézuélien), Manuel Rosales est parvenu à maintenir son fief en marge de l'impressionnante série de victoires électorales d'Hugo Chavez. Il a réuni sous son nom une quarantaine de partis et d'associations dont l'éparpillement ôtait toute force à l'opposition. Social-démocrate, ancien éducateur et père de dix enfants, Manuel Rosales prône une "démocratie sociale". Sa principale arme électorale est une "carte noire" aussi populiste que les "missions" qu'elle prétend concurrencer en puisant, comme elles, dans la manne pétrolière. Il s'agit d'une carte de crédit effectivement de couleur pétrole brut, que le candidat de l'opposition exhibait dans les meetings. Elle serait distribuée aux 2,5 millions de Vénézuéliens les plus nécessiteux et leur permettrait, en cas de victoire de Manuel Rosales, de retirer chaque mois de distributeurs automatiques l'équivalent de 230 à 400 euros. Selon Manuel Rosales, les 35 milliards de dollars de largesses que Chavez aurait offertes à divers pays, principalement à Cuba, auraient pu couvrir pendant trois ans le fonctionnement de la "carte noire". Crédité parfois de 40% des intentions de vote, mais prétendant que ses propres sondages prédisent sa victoire, Manuel Rosales présente l'élection présidentielle comme "un choix entre la démocratie et un système communiste à la Castro, qui prive le peuple de liberté". Selon lui, le risque de "cubanisation du Venezuela" se refléterait notamment dans la prétention d'Hugo Chavez de s'éterniser au pouvoir, dans la manipulation des listes d'électeurs et dans la création d'un corps de milliers de réservistes militaires dépendant directement de la présidence. L'opposition reproche aussi à Hugo Chavez d'intimider les médias et de faire des Cercles bolivariens une police idéologique de quartier à l'image des Comités de défense de la révolution cubaine. Un reproche particulièrement grave adressé au président est la publication, par le député chaviste Luis Tascon, de la liste des plus de 2,5 millions de Vénézuéliens qui avaient sollicité et obtenu la convocation, en août 2004 contre Chavez, du référendum "révocatoire" prévu par la Constitution bolivarienne. La "liste Tascon" servirait à écarter des emplois publics tous les signataires de la sollicitude du référendum "révocatoire", transformant ainsi en fiction la "démocratie participative" dont se réclame Hugo Chavez. Ajoutant à cette supposition le licenciement effectif de 19.500 cadres, employés et ouvriers de la société publique Petroleos de Venezuela (PDVSA) après la grève insurrectionnelle de 2002-2003, on comprend mieux l'inquiétude qu'inspire la prise d'empreintes digitales lors du vote électronique. Les leaders de l'opposition semblent ne plus croire en une manipulation des machines à voter, mais ils pensent que des électeurs seront intimidés, craignant, surtout s'ils ne sont pas chavistes, que la prise d'empreintes ne brise ce 3 décembre le secret de leur vote. La crédibilité de leçons de démocratie dépend-t-elle de celui qui les donne? Manuel Rosales avait avalisé la tentative de coup d'Etat d'avril 2002, signant le décret putschiste qui porta à la présidence du Venezuela pendant à peine 48 heures le dirigeant de la principale organisation patronale, Pedro Carmona. Manuel Rosales réplique que le lieutenant-colonel Hugo Chavez mena lui-même, en février 1992 contre le président social-démocrate Carlos Andres Perez, une tentative de coup d'Etat qui fit des dizaines de morts et de blessés. © LatinReporters.com - Amérique latine - Espagne
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