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La justice qualifie de simple "tactique" le virage vers la non-violence
Espagne-Basques: 10 ans de prison pour Otegi. Où en est l'ETA?
 

par Christian Galloy, directeur de LatinReporters.com

MADRID, dimanche 18 septembre 2011 (LatinReporters.com) - Terroristes selon l'Union européenne et les Etats-Unis, les Basques de l'ETA n'ont plus commis d'attentat depuis août 2009. L'organisation séparatiste est "en phase terminale" prétend en Espagne le gouvernement socialiste de M. Zapatero. Paradoxalement, en condamnant à dix ans de prison le dirigeant indépendantiste Arnaldo Otegi, la justice espagnole renforce les doutes sur ce diagnostic optimiste.

Impliqué dans des actions de commandos avant de devenir la tête la plus visible du parti interdit Batasuna, vitrine politique de l'ETA, Arnaldo Otegi, 53 ans, est un habitué des geôles espagnoles. En prison préventive depuis octobre 2009 sous l'accusation d'avoir tenté de reconstituer la direction de Batasuna, il a été condamné le 16 septembre par l'Audience nationale, la plus haute instance pénale du pays, à dix ans d'emprisonnement pour "appartenance à une organisation terroriste [l'ETA], au rang de dirigeant".

Pour le même délit, la même peine frappe une autre figure de Batasuna et de l'indépendantisme basque, Rafael Diez Usabiaga, ex-secrétaire général du syndicat régional Langile Abertzaleen Batzordeak ( LAB, Commissions d'ouvriers patriotes). Trois autres militants de Batasuna, dont deux femmes, écopent chacun de huit ans de prison.

"Responsables et promoteurs" de la nouvelle stratégie de l'ETA

Dans sa sentence de 144 pages, le tribunal considère non seulement que les deux principaux condamnés recevaient "directement les ordres de l'ETA" pour la reconstitution de la direction de Batasuna, mais en outre et surtout que le virage vers la non-violence qu'ils ont impulsé au sein de la mouvance indépendantiste radicale n'est qu'une "tactique" conçue par la branche armée de l'organisation terroriste et développée en collaboration avec elle.

Otegi et Usabiaga, argumentent les juges, étaient les "responsables et promoteurs" de la nouvelle stratégie de l'ETA, qui mise désormais plus sur l'action politique que militaire, mais sans abandonner les armes ni avoir l'intention de le faire. Le rejet de la lutte armée par les deux condamnés au profit d'une lutte indépendantiste strictement politique et non-violente ne serait ainsi, estime l'Audience nationale, qu'une "simulation" planifiée par l'ETA pour mieux défendre actuellement ses intérêts et ses objectifs. La sentence rappelle à ce propos que l'alternance de la primauté du front terroriste et de celle du front politique a toujours caractérisé l'ETA.

Contrairement au gouvernement socialiste et à divers médias espagnols et étrangers, le tribunal de l'Audience nationale ne croit donc pas à un supposé divorce entre la branche armée de l'ETA et sa représentation politique. Quoiqu'elle s'en défende pour ne pas subir les foudres de la justice, la coalition Bildu, héritière de fait de Batasuna qui la soutient, assume aujourd'hui cette représentation avec un éclat applaudi explicitement par l'ETA.

L'Audience nationale et le Tribunal Suprême s'étaient prononcés pour l'interdiction de cette nouvelle coalition avant les élections locales du 22 mai dernier. Dominé par des magistrats proposés par le gouvernement socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero, le Tribunal constitutionnel légalisa néanmoins Bildu, peuplée "d'indépendants" mobilisés par Batasuna. S'agissait-il de l'ultime concession du chef du gouvernement espagnol dans l'espoir que l'ETA accepte de se dissoudre?

Jamais une force politique jugée proche de l'ETA n'avait joui de pareil pouvoir politique et financier

Avec le même message d'indépendantisme radical non-violent que celui élaboré, selon l'Audience nationale, par l'ETA avec Otegi et Usabiaga, Bildu contrôle, depuis les élections municipales du 22 mai, 101 mairies du Pays basque et 14 de la Navarre voisine. Plus de 700.000 citoyens, soit un Basque sur trois, vivent désormais dans des municipalités gérées par Bildu.

La coalition a obtenu 25,45 % des voix dans l'ensemble du Pays basque, talonnant l'historique Parti nationaliste (PNV; 30,05%). Dans la province basque du Guipuzcoa, Bildu est arrivée en tête avec 34,6%, obtenant le contrôle des institutions provinciales et de la mairie de Saint-Sébastien, perle basque de 185.000 habitants. Dans l'ensemble des institutions qu'elle gouverne, la coalition indépendantiste gérera des budgets totalisant chaque année plus de deux milliards d'euros. L'ETA, officiellement en trêve unilatérale depuis janvier 2011, n'aurait donc plus besoin de l'impôt dit révolutionnaire, auquel elle dit d'ailleurs avoir renoncé, si des marchés publics favorisaient de petites sociétés que l'organisation terroriste contrôle avec des prête-noms.

Jamais auparavant une force politique jugée proche de l'ETA n'avait joui de pareil pouvoir politique et financier. L'émotion et les critiques soulevées au Pays basque par la condamnation d'Arnaldo Otegi et de Rafael Diez Usabiaga, qui interjetteront appel devant le Tribunal Suprême, risquent d'accroître davantage encore l'influence de Bildu à l'occasion des élections législatives espagnoles du 20 novembre. Les indépendantistes auront beau jeu de s'y présenter comme les victimes d'une justice hostile à la paix qu'ils prétendent forger.

Dans ce panorama, parler de "phase terminale" pour répondre à la question "Où en est l'ETA?" pourrait relever plus de la propagande que de la réalité. L'organisation indépendantiste est certes acculée par une collaboration policière hispano-française d'une efficacité avérée. Plus de de 700 etarras sont actuellement emprisonnés. Mais, outre que ce chiffre rapporté à une région ne comptant que deux millions d'habitants devrait peut-être moins encourager Madrid que l'inquiéter, le bilan policier et l'absence d'attentats mesurent mal le bilan politique, très favorable à l'ETA au vu des élections du 22 mai.

La crise économique globale favorise aussi les amis politiques de l'ETA

L'ETA n'a jamais rêvé d'une victoire militaire impossible sur l'Espagne. Mais, depuis 1968, ses attentats espacés ont fait 829 morts, des milliers de blessés et des milliards d'euros de pertes matérielles et financières, soit un mal suffisant pour inciter plusieurs gouvernements espagnols successifs à tenter de négocier la paix avec les terroristes séparatistes. Les trêves politiquement calculées des etarras ont favorisé l'ouverture de ces négociations, au cours desquelles l'ETA a toujours maintenu ses deux revendications fondamentales : reconnaissance du droit des Basques à l'autodétermination (ce qui ne signifie pas l'octroi soudain d'une indépendance qui devrait donc être préalablement plébiscitée) et union de la Navarre à ce processus.

La longue négociation frustrée menée en 2006 et 2007 avec les terroristes par le gouvernement de José Luis Rodriguez Zapatero a renforcé au Pays basque l'influence de la branche politique de l'ETA. Le feu vert octroyé á Bildu par le Tribunal constitutionnel avant les élections locales du 22 mai a brutalement libéré en faveur des indépendantistes radicaux la longue frustration collective provoquée par l'interdiction de Batasuna depuis 2003. La crise économique globale a favorisé aussi les amis politiques de l'ETA, tenants d'une gauche prônant "pouvoir populaire" et "solidarité internationaliste et anti-impérialiste". Au Pays basque, les "indignés" sont naturellement portés vers Bildu.

Prétendre, comme certains journalistes espagnols, que l'ETA ne tardera pas à annoncer sa dissolution étonne des observateurs neutres, convaincus que l'organisation séparatiste se fortifie plutôt en silence pour résister à un ennemi moins manipulable et moins avide d'un prix Nobel de la Paix que le socialiste Zapatero. Selon tous les sondages, les conservateurs du Parti Populaire de Mariano Rajoy triompheront en effet aux élections législatives du 20 novembre. M. Zapatero ne s'y présentera même pas.


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