MADRID, dimanche 18 septembre 2011 (LatinReporters.com) - Terroristes selon
l'Union européenne et les Etats-Unis, les Basques de l'ETA n'ont plus
commis d'attentat depuis août 2009. L'organisation séparatiste
est "en phase terminale" prétend en Espagne le gouvernement socialiste
de M. Zapatero. Paradoxalement, en condamnant à dix ans de prison
le dirigeant indépendantiste Arnaldo Otegi, la justice espagnole renforce
les doutes sur ce diagnostic optimiste.
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Arnaldo Otegi en couverture du livre "Mañana, Euskal Herria" ("Demain, la Patrie basque"), recueil d'interviews du dirigeant indépendantiste
édité en 2005 par Baigorri Argitaletxe. |
Impliqué dans des actions de commandos avant de devenir la tête
la plus visible du parti interdit Batasuna, vitrine politique de l'ETA, Arnaldo
Otegi, 53 ans, est un habitué des geôles espagnoles. En prison
préventive depuis octobre 2009 sous l'accusation d'avoir tenté
de reconstituer la direction de Batasuna, il a été condamné
le 16 septembre par l'Audience nationale, la plus haute instance pénale
du pays, à dix ans d'emprisonnement pour "appartenance à une
organisation terroriste [l'ETA], au rang de dirigeant".
Pour le même délit, la même peine frappe une autre figure
de Batasuna et de l'indépendantisme basque, Rafael Diez Usabiaga,
ex-secrétaire général du syndicat régional Langile
Abertzaleen Batzordeak ( LAB, Commissions d'ouvriers patriotes). Trois autres militants
de Batasuna, dont deux femmes, écopent chacun de huit ans de prison.
"Responsables et promoteurs" de la nouvelle stratégie de l'ETA
Dans sa
sentence
de 144 pages, le tribunal considère non seulement
que les deux principaux condamnés recevaient "directement les ordres de l'ETA"
pour la reconstitution de la direction de Batasuna, mais en outre et surtout
que le virage vers la non-violence qu'ils ont impulsé au sein de la
mouvance indépendantiste radicale n'est qu'une "tactique" conçue
par la branche armée de l'organisation terroriste et développée
en collaboration avec elle.
Otegi et Usabiaga, argumentent les juges, étaient les "responsables
et promoteurs" de la nouvelle stratégie de l'ETA, qui mise désormais
plus sur l'action politique que militaire, mais sans abandonner les armes
ni avoir l'intention de le faire. Le rejet de la lutte armée par les
deux condamnés au profit d'une lutte indépendantiste strictement
politique et non-violente ne serait ainsi, estime l'Audience nationale, qu'une
"simulation" planifiée par l'ETA pour mieux défendre actuellement
ses intérêts et ses objectifs. La sentence rappelle à
ce propos que l'alternance de la primauté du front terroriste et de
celle du front politique a toujours caractérisé l'ETA.
Contrairement au gouvernement socialiste et à divers médias
espagnols et étrangers, le tribunal de l'Audience nationale ne croit
donc pas à un supposé divorce entre la branche armée
de l'ETA et sa représentation politique. Quoiqu'elle s'en défende
pour ne pas subir les foudres de la justice, la coalition Bildu, héritière
de fait de Batasuna qui la soutient, assume aujourd'hui cette représentation
avec un éclat applaudi explicitement par l'ETA.
L'Audience nationale et le Tribunal Suprême s'étaient prononcés
pour l'interdiction de cette nouvelle coalition avant les élections locales du 22 mai
dernier. Dominé par des magistrats proposés
par le gouvernement socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero,
le
Tribunal constitutionnel légalisa néanmoins Bildu, peuplée
"d'indépendants" mobilisés par Batasuna. S'agissait-il de l'ultime concession du chef
du gouvernement espagnol dans l'espoir que l'ETA accepte de se dissoudre?
Jamais une force politique jugée proche de l'ETA n'avait joui de
pareil pouvoir politique et financier
Avec le même message d'indépendantisme radical non-violent que
celui élaboré, selon l'Audience nationale, par l'ETA avec Otegi
et Usabiaga, Bildu contrôle, depuis les élections municipales
du 22 mai, 101 mairies du Pays basque et 14 de la Navarre voisine. Plus de
700.000 citoyens, soit un Basque sur trois, vivent désormais dans
des municipalités gérées par Bildu.
La coalition a obtenu 25,45 % des voix dans l'ensemble du Pays basque, talonnant
l'historique Parti nationaliste (PNV; 30,05%). Dans la province basque du
Guipuzcoa, Bildu est arrivée en tête avec 34,6%, obtenant le
contrôle des institutions provinciales et de la mairie de Saint-Sébastien,
perle basque de 185.000 habitants. Dans l'ensemble des institutions qu'elle
gouverne, la coalition indépendantiste gérera des budgets totalisant
chaque année plus de deux milliards d'euros. L'ETA, officiellement
en trêve unilatérale depuis janvier 2011, n'aurait donc plus
besoin de l'impôt dit révolutionnaire, auquel elle dit d'ailleurs
avoir renoncé, si des marchés publics favorisaient de petites
sociétés que l'organisation terroriste contrôle avec
des prête-noms.
Jamais auparavant une force politique jugée proche de l'ETA n'avait joui de pareil
pouvoir politique et financier. L'émotion et les critiques soulevées
au Pays basque par la condamnation d'Arnaldo Otegi et de Rafael Diez Usabiaga, qui
interjetteront appel devant le Tribunal Suprême, risquent d'accroître davantage
encore l'influence de Bildu à l'occasion des élections législatives
espagnoles du 20 novembre. Les indépendantistes auront beau
jeu de s'y présenter comme les victimes d'une justice hostile à
la paix qu'ils prétendent forger.
Dans ce panorama, parler de "phase terminale" pour répondre à
la question "Où en est l'ETA?" pourrait relever plus de la propagande
que de la réalité. L'organisation indépendantiste est
certes acculée par une collaboration policière hispano-française
d'une efficacité avérée. Plus de de 700 etarras sont
actuellement emprisonnés. Mais, outre que ce chiffre rapporté
à une région ne comptant que deux millions d'habitants devrait
peut-être moins encourager Madrid que l'inquiéter, le bilan
policier et l'absence d'attentats mesurent mal le bilan politique, très
favorable à l'ETA au vu des élections du 22 mai.
La crise économique globale favorise aussi les amis politiques
de l'ETA
L'ETA n'a jamais rêvé d'une victoire militaire impossible sur
l'Espagne. Mais, depuis 1968, ses attentats espacés ont fait 829 morts,
des milliers de blessés et des
milliards
d'euros de pertes matérielles et financières, soit un mal suffisant
pour inciter plusieurs gouvernements espagnols successifs à tenter de négocier la paix
avec les terroristes séparatistes. Les trêves politiquement calculées des etarras
ont favorisé l'ouverture de ces négociations, au cours desquelles
l'ETA a toujours maintenu ses deux revendications fondamentales : reconnaissance
du droit des Basques à l'autodétermination (ce qui ne signifie
pas l'octroi soudain d'une indépendance qui devrait donc être
préalablement plébiscitée) et union de la
Navarre à ce processus.
La
longue
négociation frustrée menée en 2006 et 2007
avec les terroristes par le gouvernement de José Luis Rodriguez Zapatero
a renforcé au Pays basque l'influence de la branche politique de l'ETA.
Le feu vert octroyé á Bildu par le Tribunal constitutionnel
avant les élections locales du 22 mai a brutalement libéré
en faveur des indépendantistes radicaux la longue frustration collective
provoquée par l'interdiction de Batasuna depuis 2003. La crise économique
globale a favorisé aussi les amis politiques de l'ETA, tenants d'une
gauche prônant "pouvoir populaire" et "solidarité internationaliste
et anti-impérialiste". Au Pays basque, les "indignés" sont
naturellement portés vers Bildu.
Prétendre, comme certains journalistes espagnols, que l'ETA ne tardera
pas à annoncer sa dissolution étonne des observateurs neutres,
convaincus que l'organisation séparatiste se fortifie plutôt
en silence pour résister à un ennemi moins manipulable et moins
avide d'un prix Nobel de la Paix que le socialiste Zapatero. Selon tous les
sondages, les conservateurs du Parti Populaire de Mariano Rajoy triompheront
en effet aux élections législatives du 20 novembre. M. Zapatero
ne s'y présentera même pas.