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MADRID, vendredi 6 mai 2011 (LatinReporters.com) - Sentence juridique ou
idéologique? Au sein du Tribunal constitutionnel espagnol, c'est
la majorité formée de juges dits progressistes, nommés
sur proposition des socialistes gouvernementaux de José Luis Rodriguez
Zapatero, qui a autorisé jeudi la coalition indépendantiste
radicale Bildu (Réunir) à se présenter aux élections
municipales du 22 mai. Mairies basques et navarraises sont ainsi rouvertes
aux candidats proches de l'ETA, considérée comme terroriste
par les 27 pays de l'Union européenne, dont l'Espagne.
Terrassé par une crise socio-économique (4,9 millions de chômeurs)
qui, selon tous les sondages, devrait jeter aux enfers électoraux
son Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), M. Zapatero, chef du gouvernement
national, annonçait récemment qu'il ne se représentera
pas aux législatives de mars 2012. Mais l'ambiguïté de
son attitude à l'égard du séparatisme basque aura des
conséquences politiques s'étalant largement au-delà
de la date de sa retraite forcée si la sentence de hauts magistrats
promus par lui débouche, comme c'est probable, sur le retour d'élus
inféodés à l'ETA à la tête de plusieurs
dizaines des 254 mairies qu'ils brigueront le 22 mai au Pays basque et en
Navarre.
La Navarre, dont l'ETA réclame le rattachement au Pays basque,
renouvellera en outre le 22 mai son Parlement régional, accessible aussi aux candidats
de Bildu. Le scrutin sera municipal dans l'ensemble de l'Espagne, ainsi que
régional dans 13 des 17 communautés autonomes du pays. Pour
l'élection de leurs députés régionaux, Catalogne,
Galice, Andalousie et Pays basque restent maîtres d'un calendrier propre
et distinct.
Vers la fin de la violence? Virage réel ou tactique?
Le feu vert donné à Bildu par le Tribunal constitutionnel casse
l'annulation des listes électorales de cette même coalition
prononcée le 1er mai par le Tribunal suprême, qui voyait en
Bildu un instrument au service de l'ETA et de sa vitrine politique traditionnelle,
le parti Batasuna, frappé d'interdiction depuis 2003. Une interdiction
justifiée non par la revendication de l'indépendance ou de
l'autodétermination du Pays basque, tolérée au nom de
la liberté d'expression, mais bien par l'acceptation de la violence
et de l'assassinat pour concrétiser cet objectif.
Là est le noeud de la question. Bildu personnifie-t-elle ou non, comme
cette coalition le proclame, le tournant de l'indépendantisme basque
radical vers une voie exclusivement politique, prétendument sans lien
avec l'ETA, sinon celui de faire écho à sa déclaration, le 10
janvier dernier, d'un "cessez-le-feu permanent et de caractère général
qui puisse être vérifié par la Communauté internationale"?
S'agit-il d'un virage réel ou d'une tactique visant à conquérir,
par le contrôle de mairies, des avantages politiques, financiers et
territoriaux qui accroîtraient l'efficacité du chantage à
la violence après une éventuelle reprise des attentats consécutive
au triomphe probable du Parti Populaire (PP, droite) aux législatives
de mars 2012?
Rappelons que Bildu a surgi après l'interdiction, le 23 mars dernier, de
Sortu
(Naître), parti de la gauche indépendantiste basque
présenté en février, mais considéré par
la justice comme un "déguisement" de l'ETA et de Batasuna. La nouvelle
coalition est composée de deux petits partis basques légaux,
Eusko Alkartasuna (Solidarité basque, scission du puissant Parti nationaliste
basque) et Alternatiba (Alternative), qui, selon des analystes critiques,
ont servi de "mères porteuses" à des centaines de supposés
indépendants représentant sur les listes électorales
de Bildu les intérêts du duo ETA-Batasuna. Cela signifierait
que la fin de l'ETA n'est pas aussi proche qu'on le prétend souvent.
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"L'ETA gagne, l'Espagne perd" titre à la une, le 6 mai 2011, le quotidien
conservateur espagnol La Razón, avec noms et photos des 6 "progressistes", parmi les 11 magistrats
du Tribunal constitutionnel, qui ont assuré la participation
de Bildu aux élections du 22 mai. |
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Ambiguïté socialiste
Globalement, en Espagne, les états-majors de la gauche socialiste, communiste ou
écologiste, et ceux des nationalistes basques, catalans et galiciens modérés
ou radicaux, veulent voir, tout en admettant qu'ils puissent se tromper,
une lueur nouvelle au bout de quasi un demi-siècle d'attentats de
l'ETA qui ont fait 829 morts, des milliers de blessés et
des
milliards
d'euros de pertes matérielles et financières. Le retour, avec
Bildu, de l'indépendantisme radical basque dans les institutions,
devrait, croient-ils, précipiter la fin définitive de la violence
ou pour le moins isoler l'ETA de sa base socio-politique, qui dit aujourd'hui
refuser cette violence.
Dans ce débat, la position des socialistes de M. Zapatero et de ses
ministres est demeurée ambiguë, comme le fut l'attitude du chef
de l'exécutif au cours de sa longue
négociation
frustrée avec l'ETA (2005-2007). Alors qu'au sein du parti gouvernemental
un soutien à la participation de Bildu aux élections était
perceptible, en particulier parmi les socialistes basques et catalans, le
vice-président du gouvernement et ministre de l'Intérieur,
Alfredo Perez Rubalcaba, pilotait le recours en justice contre cette participation.
Il présenta des rapports policiers attribuant à l'ETA et à
Batasuna un rôle majeur dans la conception de Bildu. Mais la majorité
dite progressiste du Tribunal Constitutionnel n'y aurait pas décelé
de preuves concluantes et elle s'est refusée à priver Bildu du "droit fondamental
à la participation politique" sur la base de "simples soupçons".
Les conservateurs du Parti Populaire suspectent les socialistes d'avoir
joué simultanément sur deux tableaux, misant avec leur majorité
déterminante au sein du Tribunal constitutionnel sur Bildu et une
possible pacification du Pays basque qu'ils inscriraient à leur actif,
mais en se prémunissant par l'action apparemment inverse du ministre
Rubalcaba tant d'une possible erreur d'appréciation que de l'indignation
de la majorité de l'opinion publique espagnole, très hostile
aux indépendantistes basques.
Sauf au Pays basque et en Catalogne, la soudaine respectabilité octroyée
à Bildu risque en effet d'aggraver aux élections municipales
et régionales du 22 mai le Waterloo socialiste prédit par l'ensemble
des sondages. Donnés comme vainqueurs potentiels dans la quasi totalité
des places fortes actuelles du socialisme, les conservateurs du Parti Populaire
attribuent à M. Zapatero et à son PSOE la responsabilité
d'une sentence assurant la présence "inadmissible" de l'ETA dans les
institutions démocratiques. "Nous respectons la sentence, car nous
sommes dans un Etat de droit, mais nous ne pouvons pas la partager. Elle
suppose un recul dans la lutte contre le terrorisme" affirme le président
du PP, Mariano Rajoy.
"L'ETA gagne, l'Espagne perd" titrait vendredi à la une le quotidien conservateur
La Razón, proche du PP. Sous ce titre s'étalaient, comme sur un avis
de recherche de malfaiteurs, les photos et noms des six juges "progressistes" qui,
sur un total de 11 magistrats, ont emporté la décision du Tribunal
constitutionnel en faveur de Bildu.
"Il convient d'espérer de la sentence que ses bénéficiaires
la mettent à profit pour persister dans leur effort d'utiliser les
voies démocratiques et de conquérir cette crédibilité
que beaucoup mettent en question" conclut prudemment l'éditorialiste
de l'influent quotidien de centre gauche El Pais.