MADRID, vendredi 11 février 2011 (LatinReporters.com) - Tactique passagère à visée électorale ou virage
réel et définitif ? La question divise l'Espagne. Le
"rejet"
de l'organisation séparatiste ETA par la gauche abertzale (patriote)
qui la prolonge politiquement au sein de la société basque
est en tout cas sans précédent. Il est consigné dans
les statuts du nouveau parti indépendantiste Sortu ("naître"
ou "surgir" en basque). Ce parti dit rejeter la violence de l'ETA et l'ETA
elle-même, tout en assumant son idéologie et ses objectifs.
|
|
Logo de Sortu ("naître" ou "surgir" en basque). Ce nouveau parti est considéré
comme le successeur de l'illégal Batasuna. |
|
Sortu a déposé ses statuts le 9 février au ministère
de l'Intérieur espagnol dans l'espoir d'une légalisation qui
lui permettrait de briguer les suffrages aux élections municipales
et régionales du 22 mai. Dans leur quasi totalité, les médias
espagnols, de gauche et de droite, voient en Sortu la réincarnation
de Batasuna, déclaré hors-la-loi en 2003 pour être la
vitrine politique de l'ETA. Les responsables provisoires du
nouveau parti le nient, mais Rufi Etxeberria, ancien dirigeant
de Batasuna, fut l'un des protagonistes de la présentation de Sortu,
à laquelle assistèrent de nombreux autres
batasuneros
connus.
"Un pas important" selon M. Zapatero
C'est quant à la sincérité des distances prises par
Sortu à l'égard de l'ETA, considérée comme terroriste
par les 27 pays de l'Union européenne, que politiciens et éditorialistes
divergent. Faut-il croire le nouveau parti lorsqu'il proclame son
"engagement
ferme à ne suivre exclusivement que des voies politiques et démocratiques"
?
Ce débat survient alors que l'ETA, dont le dernier attentat remonte
à juillet 2009, déclarait le 10 janvier dernier observer, dans
l'espoir d'une négociation, un
"cessez-le-feu
permanent et de caractère général" qui n'a convaincu
ni le gouvernement socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero ni moins
encore le Parti Populaire (PP, opposition conservatrice) de Mariano Rajoy.
Tempérant une satisfaction perceptible face à ce qu'il a qualifié
de
"pas important" de la gauche abertzale, M. Zapatero préfère, comme
son ministre de l'Intérieur, Alfredo Perez Rubalcaba,
transférer prudemment à la justice la décision de légaliser
ou non Sortu. L'éditorialiste du quotidien de centre gauche El Pais
reflète probablement l'opinion du chef du gouvernement (mais non du ministre Rubalcaba)
en affirmant que
"le pire que pourrait faire la démocratie devant ce pas de l'entourage
de l'ETA serait de transmettre le message que, quoiqu'ils fassent, ils ne
pourront plus jamais redevenir légaux". Madrid doit néanmoins tenir compte,
surtout en période préélectorale, de l'image très négative
qu'a de l'indépendantisme basque la grande majorité des Espagnols.
Principal concurrent d'El Pais, le journal de centre droit El Mundo s'aligne,
lui, sur les positions du PP en s'opposant à la légalisation
"du parti de l'ETA" que serait Sortu, dont
"les promoteurs ont
évité de condamner les attentats de la bande terroriste
[829 morts et des milliers de blessés depuis 1968; ndlr]
et se
sont refusés à réclamer sa dissolution". Très influentes sur la
sensibilité collective, les associations
de victimes du terrorisme sont elles aussi hostiles au retour dans
les institutions d'une émanation de l'ETA qu'incarne à leurs yeux
"le nouveau
Batasuna" appelé Sortu.
Sortu serait plus crédible si l'ETA disparaissait
Les juristes se divisent aussi.
"Un parti politique qui rejette la violence
de l'ETA et qui, en outre, ce qui est encore plus intéressant, affirme
qu'il expulsera tout affilié qui participe à des actes violents,
devrait pouvoir être inscrit sans problème au ministère
de l'Intérieur. Sinon, que faudrait-il pour pouvoir être légalisé?
(...) Et qu'on ne se réfère pas au passé. Il y a des
partis qui n'ont pas condamné le franquisme. N'auraient-ils donc pas
dû être incorporés au système?" déclare
dans les colonnes d'El Pais Joan Queralt, professeur de droit pénal
à l'Université de Barcelone.
Sur la longueur d'onde opposée, Javier Tajadura, professeur de droit
constitutionnel à l'Université du Pays basque, croit que
"le
contenu concret des statuts [de Sortu]
n'a pas trop d'importance, même
s'ils rejettent expressément la violence, car la cause de la mise
hors la loi [en 2003]
de Batasuna par le Tribunal suprême, approuvée
par le Tribunal constitutionnel et par le Tribunal européen des droits
de l'homme, fut que l'ETA et Batasuna étaient une même entité.
(...) On doit examiner la trajectoire des personnes faisant partie du projet
politique [de Sortu]
et, à cet égard, je crois qu'il
ne sera pas très difficile au parquet de démontrer que l'identité
entre l'ETA et la gauche abertzale n'a pas été rompue".
On pourrait en conclure que la vocation démocratique du nouveau parti
indépendantiste basque risque d'être mise en doute aussi longtemps
que l'ETA n'aura pas annoncé sa dissolution ou pour le moins un adieu
définitif aux armes. Des observateurs n'excluent pas que l'ETA fasse
à nouveau miroiter cet espoir avant les élections municipales
et régionales du 22 mai. Cela ferait peut-être remonter la popularité
de M. Zapatero, en chute libre dans les sondages à cause de sa gestion
jugée catastrophique de la crise économique.
A rappeler dans ce contexte que l'efficacité de la collaboration policière
hispano-française épargne depuis plusieurs années José
Antonio Urrutikoetxea Bengoetxea, alias Josu Ternera, leader suprême
de l'ETA lorsque fut ouverte en 2006 (et beaucoup plus tôt en secret)
la longue négociation frustrée des séparatistes avec
le gouvernement de M. Zapatero. Dans une clandestinité apparemment
non perturbée, Josu Ternera est-il tenu en réserve par l'Espagne et la
France pour réapparaître au moment opportun comme porte-parole
d'une ETA plus encline à la modération, voire au hara-kiri?
Deux dispositions significatives des statuts de Sortu, parmi de nombreuses
autres, pourraient inciter la justice à accepter sa légalisation
:
"SORTU développera son activité à partir du rejet
de la violence, quelle que soit son origine et sa nature, comme instrument
d'action politique ou méthode pour atteindre des objectifs politiques;
rejet qui, ouvertement et sans ambages, inclut l'organisation ETA, en tant
que sujet actif de conduites qui portent atteinte aux droits et libertés
fondamentales des personnes". (Extrait de l'Article 3 des statuts).
"Pour être candidat/e sur une quelconque des listes électorales
présentées par SORTU, il faudra assumer, préalablement
à la présentation de ces listes, les bases idéologiques
et les engagements d'action politique contemplés au Chapitre préliminaire
et à l'Article 3". (Cet extrait de l'Article 16 implique, pour
les candidats de Sortu, le rejet de la violence politique et de l'ETA elle-même,
conformément à l'extrait de l'Article 3 reproduit ci-dessus).
Mêmes objectifs et idéologie que l'ETA, avec accents
bolivariens
Si Sortu est hostile à la violence, il assume par contre les objectifs
et l'idéologie de l'ETA : l'indépendance comme "unique moyen
d'assurer le plein développement de l'Euskal Herria" (expression
qui englobe le Pays basque espagnol, la Navarre et le Pays basque français)
et "construction de l'Etat basque dans le cadre européen",
sur la base d'un "socialisme" pratiquant la "solidarité
internationaliste et anti-impérialiste".
Les statuts vont jusqu'à paraphraser le président vénézuélien
Hugo Chavez en prônant la "construction du socialisme du XXIe siècle"
et l'instauration d'un "pouvoir populaire" découlant de la
"démocratie participative". Comme l'aspiration pacifique à
l'indépendance, ces références bolivariennes ne sont
nullement délictueuses. Mais elles ne seront pas applaudies par la
justice espagnole au moment où elle accumule les indices de collaboration,
notamment pour la mise au point d'explosifs, entre l'ETA et la guérilla
marxiste colombienne des FARC dans des camps installés au Venezuela.
Sortu saute avec facilité d'un registre politique à l'autre. Il se présente
en effet aussi, dans ses statuts, en "défenseur de la société démocratique
définie dans la Convention européenne des droits de l'homme
et sustentée par un plein et réel exercice de la démocratie,
du pluralisme et des libertés politiques".