MADRID, mardi 11 janvier 2011 (LatinReporters.com) - Déclarant un
"cessez-le-feu permanent et de caractère général qui
puisse être vérifié par la Communauté internationale",
l'organisation séparatiste basque ETA l'a lié à un processus qui pourrait
déboucher sur la "solution définitive"
si étaient résolues les questions clefs de "la territorialité
et du droit à l'autodétermination". "Nous n'accepterons aucune condition
politique" a répliqué le président du gouvernement socialiste espagnol,
José Luis Rodriguez Zapatero.
Lue par l'un des trois etarras encagoulés apparaissant le 10 janvier
dans une vidéo sur le site Internet du quotidien basque Gara, la déclaration,
dont la version écrite est datée du 8 janvier, était
très attendue en Espagne. Au vu de 17 mois sans attentat et de l'efficacité
de la coopération policière hispano-française, qui a
décapité l'ETA au moins sept fois depuis 2008, le gouvernement
de Madrid misait sur un adieu aux armes définitif des indépendantistes
supposés exsangues.
A souligner que la pacification totale du Pays basque après 42 ans d'attentats
qui ont fait 829 morts, des milliers de blessés et des
milliards
d'euros de pertes matérielles et financières serait un
événement historique susceptible
de restaurer la crédibilité de M. Zapatero. A l'approche des
élections municipales et régionales de mai prochain et des
législatives de mars 2012, le chef du gouvernement socialiste est
en perdition dans tous les sondages pour sa gestion jugée catastrophique
de la crise économique.
Le parti Batasuna, vitrine politique de l'ETA actuellement interdite,
il espérait des pistoleros des concessions significatives qui faciliteraient
sa réintégration par la justice dans le jeu politique légal
afin de présenter des candidats aux élections de mai. Divers
représentants de la gauche basque dite abertzale (patriote), à
laquelle appartient Batasuna, qualifient "d'historique" la déclaration
de l'ETA.
A Madrid, on n'est pas de cet avis.
Nombre d'éditorialistes dénoncent
un "piège" destiné à obtenir l'autorisation du retour
de Batasuna dans le jeu électoral avec cette déclaration alambiquée
dans laquelle, en fait, les terroristes (les etarras sont considérés
comme tels par l'Union européenne) réclament à nouveau ce
que M. Zapatero ne pourrait plus accepter sans perdre
ce qui lui reste de popularité : une négociation politique
centrée sur l'autodétermination des Basques
et sur la "territorialité", soit, en clair, le rattachement de la
Navarre au Pays basque.
En 2006 aussi, le cessez-le-feu était "permanent"
Le score le plus élevé d'un parti vitrine de l'ETA remonte
aux élections municipales de 1999. Euskal Herritarrok, auquel succéda
Batasuna, obtint alors dans sa région 19,63% des suffrages. Cela signifia le contrôle
de 62 mairies basques et navarraises, sources estimables, pour les séparatistes,
d'influence et de financement.
En prévenant dans sa déclaration qu'elle "ne renoncera pas à ses efforts et
à sa lutte pour impulser et mener à terme le processus démocratique",
l'ETA rappelle implicitement qu'un cessez-le-feu dit "permanent" ne l'est
pas nécessairement, comme l'a prouvé la reprise des attentats
après son
précédent
"cessez-le-feu permanent" décrété
en mars 2006 dans le cadre d'une longue négociation frustrée
avec le gouvernement de M. Zapatero. Le directeur du quotidien de centre
droit El Mundo, Pedro J. Ramirez, note à ce propos que les mots "cessez-le-feu"
et "permanent" sont par essence contradictoires.
Les deux nouveautés, par rapport à 2006, du cessez-le-feu actuel
sont son "caractère général" (ce qui pourrait signifier
la suspension de l'impôt dit révolutionnaire et de la violence
urbaine des jeunes abertzales), ainsi que la revendication intéressée
d'une "vérification par la Communauté internationale", dans
le fil de la
Déclaration
de Bruxelles du 29 mars 2010. L'ETA a toujours
considéré que l'internationalisation du dossier basque servirait
ses intérêts.
Dans le nouveau message des etarras, le mot "indépendance" n'est pas oublié. La France non plus. Elle est
priée, comme l'Espagne, "d'abandonner définitivement les mesures répressives
et la négation de l'Euskal Herria
". L'Euskal Herria (Patrie basque)
désigne, tant aux yeux des nationalistes dits modérés
que des indépendantistes radicaux, un territoire englobant le Pays
basque espagnol, la Navarre et le Pays basque français. La "territorialité",
c'est cela. Depuis des décennies, elle est, autant que l'autodétermination,
la revendication la plus constante de l'ETA. Territorialité, au moins
étendue à la Navarre, et autodétermination ont aussi
été les causes de l'échec des négociations menées
avec l'ETA par les trois derniers chefs successifs du gouvernement espagnol,
Felipe Gonzalez, José Maria Aznar et José Luis Rodriguez Zapatero.
Texte intégral de la déclaration de l'ETA (traduction)
[L'ETA a diffusé la version originale en basque, en
espagnol
et en
anglais]
L'ETA, organisation socialiste révolutionnaire basque de libération
nationale, souhaite, par cette déclaration, faire connaître
sa décision :
Ces derniers mois, de Bruxelles à Gernika, des personnalités
de grande notoriété internationale et une multitude d'acteurs
politiques et sociaux basques ont souligné la nécessité
d'offrir une solution juste et démocratique au conflit politique séculaire.
L'ETA est d'accord avec cela. La solution viendra au moyen d'un processus
démocratique, qui aura comme référence principale la
volonté du Peuple basque et le dialogue et la négociation
comme outils.
- Le processus démocratique doit surmonter toute forme de négation
et de préjudice et doit résoudre les questions clefs de la
territorialité et du droit à l'autodétermination, qui
sont le noyau du conflit politique.
- Il appartient aux acteurs politiques et sociaux basques d'arriver
à des accords pour obtenir un consensus autour de la formulation
de la reconnaissance de l'Euskal Herria et de son droit à
décider, en assurant la possibilité de développement
de tous les projets politiques, y compris l'indépendance.
- Comme résultat du processus, les citoyens basques doivent
s'exprimer et décider de leur futur, sans aucune ingérence
ni limitation.
- Toutes les parties doivent s'engager à respecter les accords
obtenus et les décisions adoptées par les citoyens basques,
en offrant des garanties et des moyens pour sa mise en oeuvre.
En conséquence :
L'ETA a décidé de déclarer un cessez-le-feu permanent
et de caractère général qui puisse être vérifié
par la Communauté internationale. Ceci est l'engagement ferme de l'ETA
pour un processus de solution définitive et pour la fin de la confrontation
armée.
C'est le moment d'agir avec responsabilité historique. L'ETA lance
un appel aux autorités de France et d'Espagne pour qu'elles abandonnent
définitivement les mesures répressives et la négation
de l'Euskal Herria.
L'ETA ne renoncera pas à ses efforts et à sa lutte pour impulser
et mener à terme le processus démocratique, jusqu'à
obtenir une véritable situation démocratique en Euskal Herria.
VIVE L'EUSKAL HERRIA LIBRE! VIVE L'EUSKAL HERRIA SOCIALISTE!
JO TA KE INDEPENDENTZIA ETA SOZIALISMOA LORTU ARTE!
Euskal Herria, 8 janvier 2011
Euskadi Ta Askatasuna [Pays basque et liberté; ndlr]
E.T.A.
Réactions politiques
"C'est insuffisant ... Ceux qui ont vu des éléments d'espoir [dans la déclaration]
doivent savoir que le chemin est encore long, car seule la fin définitive
de la bande [l'ETA] est valable" a affirmé José Luis Rodriguez
Zapatero, président du gouvernement socialiste espagnol, interviewé
sur la chaîne de télévision Antena 3. "Nous n'accepterons
aucune condition, aucune condition politique qui serve les buts de la bande"
a-t-il souligné, ajoutant que "les forces de sécurité
ne baisseront pas la garde" et que le gouvernement "maintiendra la politique
antiterroriste".
La déclaration de l'ETA n'est "clairement pas" ce que "la société
espagnole espérait", a estimé pour sa part Alfredo Perez
Rubalcaba, vice-président du gouvernement et ministre de l'Intérieur.
"Ce n'est pas une mauvaise nouvelle, mais ce n'est pas La nouvelle. [...]
Le seul communiqué que nous voudrions lire est celui dans lequel l'ETA
annoncerait la fin [de la lutte armée], de manière irréversible
et définitive", a précisé le ministre lors d'une déclaration
à la presse. Selon lui, le groupe indépendantiste conserve
"la même arrogance, le même langage et la même mise en
scène".
"L'ETA veut maintenir sa position de tutelle, de garant d'une supposée
négociation ou, ce qui revient au même, l'ETA prétend
toujours mettre un prix à la fin de la violence", a poursuivi M. Rubalcaba.
Le ministre rejette aussi l'idée d'une "vérification internationale"
du cessez-le-feu, comme indiqué par le groupe armé dans son
communiqué. "Dans un Etat de droit, ce sont les forces de sécurité
qui vérifient" un cessez-le-feu, a expliqué M. Rubalcaba.
La quasi totalité des réactions institutionnelles, notamment
du Parti Populaire (PP, opposition conservatrice), de la Gauche Unie (IU,
écolo-communiste), du Parti nationaliste basque (PNV) et du gouvernement
régional basque, expriment une déception et une fin de non-recevoir
proches ou semblables à celles de MM. Zapatero et Rubalcaba.
"La déclaration de l'ETA, quoiqu'insuffisante, nous rapproche de
la fin du terrorisme" ajoute toutefois le président du gouvernement
basque, le socialiste Patxi Lopez. Il veut croire que "l'ETA a commencé
à assumer que sa fin est inévitable".