MADRID, vendredi 1er avril 2011 (LatinReporters.com) - Toujours applaudie
en Espagne, l'arrestation en France de chefs de l'ETA comporte néanmoins
des risques. Gare, par exemple, à l'explosion à retardement
du contenu d'ordinateurs dans lesquels les séparatistes basques consignent
tout, y compris les détails de leur négociation frustrée
avec le gouvernement socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero. Ce
dernier s'en trouve éclaboussé à moins de deux mois des
élections municipales et régionales.
Le 20 mai 2008 à Bordeaux, la police française capturait l'alors
nº1 de l'ETA, Francisco Javier Lopez Peña, alias Thierry, et trois
de ses lieutenants. Lopez Peña fut en 2006 et 2007 l'un des interlocuteurs
de Madrid dans la dernière et longue négociation avortée
avec les indépendantistes. Il l'avait durcie au point d'ordonner l'attentat
qui détruisit le 30 décembre 2006 le parking du terminal T4
de l'aéroport de Madrid, faisant deux morts, 19 blessés
et des millions d'euros de dégâts.
Un support informatique saisi à Bordeaux dans l'appartement qu'occupait
Lopez Peña contient l'historique du processus de négociation
avec les émissaires de M. Zapatero et des procès-verbaux de
réunions entre les deux parties rédigés par l'ETA. En
commission rogatoire internationale, la juge antiterroriste française
Laurence Le Vert a remis copie du contenu de ce support à la justice
espagnole dans le cadre d'une enquête menée à Madrid par
le juge Pablo Ruz.
Le juge Ruz tente d'établir qui, le 4 mai 2006, avait prévenu
des etarras chargés de récolter et de transférer en France
l'impôt révolutionnaire qu'un coup de filet policier les menaçait.
De hauts responsables de la garde civile et de la police ont été interrogés,
car des soupçons visent ... le ministère de l'Intérieur
espagnol ! A-t-il cherché à éviter des arrestations
qui auraient compliqué davantage la négociation avec l'ETA ? La levée partielle,
le 29 mars dernier, du secret de l'instruction
de ce dossier a mis à jour les documents saisis à Bordeaux
et transmis par Laurence Le Vert. Ils font depuis plusieurs jours la une
de la presse espagnole.
On découvre ainsi (pour les lecteurs du journal basque Gara, il s'agit
seulement d'une confirmation) que le processus de négociation entre
l'ETA et le gouvernement de M. Zapatero débuta le 21 juin 2005 à Genève.
Et que lors de réunions successives, notamment du 3 au 12 novembre
2005 à Oslo, les négociateurs élaborèrent une
feuille de route dans laquelle Madrid s'engageait, à partir de l'annonce
d'un cessez-le-feu par l'ETA, à réduire la présence policière
au Pays basque, à ne plus pratiquer de détentions de militants
indépendantistes et à accepter le parti Batasuna, vitrine politique
de l'ETA interdite depuis 2003.
Paroles de Zapatero au Congrès des députés négociées
avec l'ETA ?
Sont alors aussi définis de commun accord le texte du communiqué
de l'ETA qui annoncera un
"cessez-le-feu
permanent" le 22 mars 2006 et même
le texte de l'
annonce par M. Zapatero,
le 29 juin 2006 au Congrès des
députés, de sa décision "d'ouvrir le dialogue" avec l'organisation
séparatiste. Il ne serait pas banal que des paroles publiques d'un
chef de gouvernement européen aient été négociées,
si l'on en croit la documentation saisie à Bordeaux, avec une organisation
qualifiée de terroriste par les 27 pays de l'Union européenne,
dont l'Espagne elle-même. Et pour comble, ces paroles annonçaient
l'ouverture imminente de pourparlers en cours depuis un an.
Une réunion des négociateurs en décembre 2006 à
Oslo sera qualifiée par la presse espagnole, sur la base d'informations
filtrées officieusement, de
"première
réunion officielle" entre l'ETA
et le gouvernement. Or, une autre réunion à laquelle s'intéresse
beaucoup le juge Ruz, tenue à Genève le 22 juin 2006, donc une semaine avant
l'annonce par M. Zapatero de l'ouverture du "dialogue", est désignée
par l'ETA comme la 66ème (bien 66ème) d'un processus mené depuis
longtemps en secret !
|
Militants de l'ETA. (Photo d'archives du quotidien basque Gara) |
Selon le procès-verbal dressé par l'ETA de cette réunion
du 22 juin 2006, deux émissaires du gouvernement espagnol auraient
tenté d'amadouer les séparatistes, irrités par une vague
d'arrestations, en affirmant qu'ils avaient tenté en vain d'empêcher
cet "accident", qu'un procureur et un ministre ont été remplacés
pour "blinder" la négociation et que "si l'argent est le problème
[de l'ETA], on pourra toujours s'arranger par le biais d'une organisation
internationale".
Alors que M. Zapatero et son ministre de l'Intérieur, Alfredo Perez
Rubalcaba, avaient annoncé la rupture du "dialogue" avec l'ETA
après
l'attentat du 30 décembre 2006 contre l'aéroport de Madrid,
les documents venus de Bordeaux indiquent que la négociation s'est
poursuivie jusqu'au 21 mai 2007.
Ouvert en juin 2005, le processus dit de paix aura donc
duré près de deux ans avant de capoter. Il fut éminemment politique, car centré
non seulement sur le sort des etarras emprisonnés, mais aussi sur l'éventuelle
légalisation de Batasuna, la vitrine politique de l'ETA, et sur
la revendication historique des séparatistes qu'est le rattachement de la
Navarre au Pays basque, avec reconnaissance du droit à l'autodétermination de
cet hypothétique nouvel ensemble régional.
La démocratie espagnole ne pouvait pas accepter de négocier
cette revendication pour obtenir des séparatistes leur adieu aux armes. C'est pour s'y
refuser explicitement que les représentants du gouvernement
conservateur de José Maria Aznar n'eurent avec l'ETA
qu'une seule
et unique rencontre, en mai 1999 en Suisse. José Luis Rodriguez Zapatero,
lui, entretint le doute pendant deux ans, au fil de plusieurs dizaines de
réunions de ses émissaires avec l'organisation terroriste.
Le quotidien Gara, proche de l'ETA, a écrit à ce propos : "Son
attitude [celle de Zapatero] demeure énigmatique. S'agit-il d'un ingénu
qui ne connaissait ni son ennemi ni même la corrélation de forces
au sein de l'Etat et de son propre parti, d'un mauvais négociateur
ou d'un esprit pervers et calculateur qui ne rechercha jamais la paix ?"
Plus simplement, divers analystes soulignent que M. Zapatero était
peut-être disposé à faire à l'ETA des concessions
pour le moins audacieuses, voire d'une constitutionnalité douteuse, afin d'obtenir au
Pays basque une paix assurant aux socialistes une rentabilité politique durable au niveau national.
Mais la réprobation suscitée par les négociations au sein d'un pourcentage
consistant de l'opinion publique aurait graduellement ramené le chef du gouvernement
espagnol à un prudent réalisme.
"L'ETA tue, mais ne ment jamais"
Le président du Parti socialiste basque, Jesus Eguiguren, fut l'un
des représentants du gouvernement lors de toutes les phases de la négociation.
Interpellé en France en 2008, l'un des fondateurs assagi de l'ETA,
Julen Kerman Madariaga, déclarait à la juge Laurence Le Vert
que Jesus Eguiguren lui avait demandé, à la fin de l'année
2000, de le mettre en contact avec l'ETA. "Mon impression est que M. Zapatero
préparait déjà le processus de paix. Il [Eguiguren] nous a dit et
répété que M. Zapatero était au courant"
lit-on dans la déclaration judiciaire de Julen Kerman Madariaga.
José Luis Rodriguez Zapatero, alors chef de l'opposition, élaborait
pourtant à cette époque un pacte antiterroriste avec le gouvernement
conservateur de José Maria Aznar. Il remportera contre toute attente
les élections législatives du 14 mars 2004, trois jours après
les attentats islamistes de Madrid (191 morts, 1.856 blessés), qui
bouleversèrent les calculs politiques. Le gouvernement de M. Aznar
attribuait dans un premier temps ce massacre à l'ETA. Les indépendantistes
basques démentaient rapidement. "L'ETA tue, mais ne ment jamais" martelait
aussitôt le socialiste Alfredo Perez Rubalcaba.
Cette phrase frappe aujourd'hui comme un boomerang le même Rubalcaba,
devenu ministre de l'Intérieur. Elle réduit la crédibilité
du gouvernement de M. Zapatero lorsqu'il taxe l'ETA de mensongère à
propos des documents sur la négociation frustrée. D'autant
que ces documents n'ont pas été conçus comme matériel
de propagande, car ils n'étaient pas destinés à être
diffusés. Ils ont été saisis par la police française
et le ministre Rubalcaba lui-même octroie la plus grande crédibilité
aux documents saisis aux séparatistes lorsqu'ils facilitent l'arrestation
de pistoleros et la découverte de caches d'armes.
"Dans n'importe quel pays, cela supposerait la démission du
gouvernement"
Déjà grands favoris dans les sondages tant des élections
municipales et régionales du 22 mai prochain que des législatives
de mars 2012, les conservateurs du Parti Populaire (PP, opposition) agitent
les documents de l'ETA pour acculer le gouvernement socialiste. Celui-ci se
prétend indigné par cette utilisation "partisane, électoraliste
et irresponsable" du terrorisme, qui "redonne de l'oxygène" à
une ETA "proche de sa fin".
"Une immense majorité d'Espagnols pensent que ce gouvernement a agi
en marge de la loi (...) Le contenu des procès-verbaux [de l'ETA],
à propos de la mutation de procureurs et d'ordres donnés pour
éviter des arrestations, est absolument honteux" estime le président
du PP, Mariano Rajoy.
Selon Esteban Gonzalez Pons, secrétaire à la Communication
du PP, "les procès-verbaux de l'ETA sont pour le gouvernement le WikiLeaks
de la possible trahison des Espagnols par Zapatero".
"Le gouvernement doit expliquer pourquoi il remplaça un ministre
et un procureur afin que l'ETA soit plus à l'aise. Dans n'importe
quel pays, cela supposerait la démission non seulement du ministre
concerné [Rubalcaba, bénéficiaire du remaniement; ndlr], mais aussi du gouvernement en bloc" déclare
l'une des locomotives électorales du PP, Esperanza Aguirre, présidente
de la Région de Madrid.
L'Association des victimes du terrorisme (AVT) fustige aussi M. Zapatero.
Sa présidente, Angeles Pedraza, parle de "honte nationale (...)
qui nous gèle le sang et ne pourra jamais être oubliée".