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A la veille d'élections locales et à 10 mois des législatives
Espagne : "génération perdue" de l'ère Zapatero en révolte contre la crise
 

par Christian GALLOY, directeur de LatinReporters.com

MADRID, jeudi 19 mai 2011 (LatinReporters.com) - "Nous ne sommes pas une marchandise aux mains de politiciens et de banquiers", "Ce n'est pas une crise, c'est une escroquerie". Lancés par des milliers de jeunes mobilisés via Internet et ses réseaux sociaux, ces slogans et des insultes visant tant le gouvernement socialiste de M. Zapatero que la droite résonnent dans des dizaines de villes d'Espagne depuis plusieurs jours.

A l'appel sur le web du collectif Democracia Real Ya ! (Une vraie démocratie, maintenant !), appuyé depuis par des centaines d'autres plates-formes revendicatives, 20.000 manifestants, selon la police, défilaient le 15 mai à Madrid pour protester contre les partis politiques, les syndicats, la corruption, le chômage, les mesures d'austérité, le coût de la vie et des logements, le rôle des banques et d'un système économique "obsolète" qui appauvrirait la majorité des citoyens. Des manifestations moins massives parcouraient le même jour une cinquantaine d'autres villes, Barcelone, Séville, Valence, Malaga, Alicante, Saragosse, Albacete, Algésiras, etc.

Depuis le 15 mai , une part de ces jeunes qui s'estiment voués, selon leurs affiches, à une vie "sans futur, sans maison, sans boulot, sans retraite", mais aussi "sans peur", campent et dorment par milliers, comme à la Puerta del Sol de Madrid, ou par centaines et au moins par dizaines sur des places emblématiques de leur ville. Malgré les interdictions et les menaces d'intervention de la police, ils veulent s'y maintenir jusqu'aux élections municipales et régionales du dimanche 22 mai.

Ces indignés, comme ils se qualifient parfois eux-mêmes, invitent les électeurs à bouder le scrutin ou pour le moins à ne voter ni pour le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) de José Luis Rodriguez Zapatero ni pour son adversaire et grand favori du scrutin, le Parti populaire (PP, droite) de Mariano Rajoy.

Il s'agit de la première révolte coordonnée, visible et relativement massive de jeunes issus de ce que le Fonds monétaire international appelait récemment la "génération perdue" de l'Espagne en crise. Des éditorialistes madrilènes la qualifient de "génération Zapatero" pour stigmatiser le chef du gouvernement socialiste. Au pouvoir depuis 2004, M. Zapatero annonçait en avril dernier qu'il ne se présentera pas aux législatives de mars 2012. Sous sa gestion, le nombre et le taux de sans-emploi ont plus que doublé.

Il s'agit de la première révolte coordonnée, visible et relativement massive de jeunes issus de ce que le Fonds monétaire international appelait récemment la "génération perdue" de l'Espagne en crise. Des éditorialistes madrilènes la qualifient de "génération Zapatero" pour stigmatiser le chef du gouvernement socialiste. Au pouvoir depuis 2004, M. Zapatero annonçait en avril dernier qu'il ne se présentera pas aux législatives de mars 2012. Sous sa gestion, le nombre et le taux de sans-emploi ont plus que doublé.

Dans une Espagne qui compte 4,9 millions de chômeurs selon l'Institut national de la statistique, soit 21,29% de la population active, record de l'Union européenne et de l'OCDE, la "génération perdue" de l'ère Zapatero est définie par un taux de chômage ahurissant de 44,6% parmi les jeunes Espagnols de moins de 25 ans. On peut ajouter que parmi les diplômés universitaires espagnols de 25 à 29 ans, 19% sont également chômeurs et 44% exercent un travail au-dessous de leur qualification, avec des salaires à la queue de ceux pratiqués en Europe.

Tournant ?

Le réveil de la "génération Zapatero" revêt la spontanéité des révoltes arabes actuelles estime en substance un socialiste historique, l'ex-président du gouvernement Felipe Gonzalez (1982-1996). Mais, s'interrogent nombre d'observateurs, s'agit-il d'un tournant ou, au contraire, le rejet proclamé d'institutions politiques et économiques par ce que la presse appelle désormais le Mouvement 15-M (en référence au 15 mai, date de son lancement) ne sera-t-il qu'un coup de gueule sans lendemain?

"On commettrait probablement la même erreur en exagérant la signification des manifestations qu'en la minimisant"
estime prudemment l'éditorialiste de l'influent quotidien de centre gauche El Pais. Selon lui, "il est sûr que s'étend le sentiment, à l'intérieur et hors d'Espagne, que la politique institutionnelle ne fournit pas les réponses à certains des problèmes principaux créés par la crise économique, principalement parmi les jeunes et les citoyens les moins favorisés". El Pais avertit toutefois que "mépriser le parlementarisme et l'Etat de droit peut servir les causes les plus justes et les plus nobles, mais aussi les plus abjectes et les plus liberticides".

Dans les "tertulias" chères aux médias espagnols, c'est-à-dire dans les débats quotidiens d'analystes d'idéologies diverses sur les chaînes de radio et de télévision, certains ont le sentiment que la jeunesse espagnole vient d'avertir les autorités monétaires et économiques nationales et internationales que le coût de la crise ne pourra plus être indéfiniment facturé aux citoyens qui ne l'ont pas provoquée.

D'autres relèvent qu'en réduisant les salaires des fonctionnaires, en gelant les pensions de retraite, en augmentant les impôts et en facilitant les licenciements, le gouvernement socialiste de M. Zapatero a opéré les pires coupes dans le bien-être social en 35 ans de démocratie postfranquiste. Cela prouverait que la social-démocratie serait soumise aux diktats financiers et n'aurait aucune stratégie propre contre la crise. L'avenir du socialisme européen en deviendrait plus flou et celui du socialisme espagnol serait assombri par une très lourde sanction électorale immédiate.

Tentatives de récupération

Se prétendant "apartidista" (hors des partis), mais non apolitique, car il veut réformer globalement "le système", le Mouvement 15-M a bousculé la campagne électorale en accaparant depuis dimanche la une de tous les médias. José Luis Rodriguez Zapatero admet qu'il convient "d'écouter" les manifestants. Dans un meeting à Caceres, en Estrémadure, il a mis en garde mercredi contre l'abstention aux élections du 22 mai et a appelé les "progressistes critiques" à voter pour ne pas offrir la victoire à la droite. Le candidat socialiste à la présidence de la Région de Madrid, Tomas Gomez, a fait une tentative de récupération plus directe en clamant "J'appelle les jeunes à la rébellion. Je m'identifie à eux". Il est vrai que l'abstention de la "génération Zapatero" risque de nuire surtout à la gauche.

Espoir de récupération aussi de la part de Cayo Lara, coordinateur général des écolos-communistes de la Gauche unie. Selon lui, l'Espagne vit "le début d'une rébellion pacifique" qui va "contribuer à changer le cours de l'histoire" au profit de la démocratie, aujourd'hui "aux mains des pouvoirs financiers, des banquiers et des marchés à cause de gouvernements serviles".

A droite, le Parti populaire de Mariano Rajoy impute aux socialistes "un mécontentement très compréhensible". Quoique des journalistes conservateurs se demandent si le Mouvement 15-M n'a pas été lancé pour remettre la gauche en selle à la veille d'élections, le PP fait mine de n'être pas visé. Il le serait bientôt au premier chef si, comme les sondages le prédisent, il reprenait les rênes de la politique espagnole en triomphant au scrutin municipal et régional du 22 mai, puis aux législatives de mars 2012.

Des analystes n'écartent pas qu'à cette date la révolte de la "génération perdue", pour autant qu'elle se maintienne, soit renforcée par une cohorte de mécontents, chômeurs ou non, de tous âges. Ce renfort se dessine déjà aujourd'hui. On semble néanmoins encore loin d'un modèle espagnol de révolution pour l'Europe ... Question de patience?


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