MADRID, jeudi 19 mai 2011 (LatinReporters.com) - "Nous ne sommes pas une
marchandise aux mains de politiciens et de banquiers", "Ce n'est pas une
crise, c'est une escroquerie". Lancés par des milliers de jeunes mobilisés
via Internet et ses réseaux sociaux, ces slogans et des insultes visant tant le
gouvernement socialiste de M. Zapatero que la droite résonnent dans des dizaines
de villes d'Espagne depuis plusieurs jours.
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"Une vraie démocratie, maintenant ! Nous ne sommes pas une marchandise
aux mains de politiciens et de banquiers" dit la banderole à la tête
de la manifestation du 15 mai 2011 à Albacete.
(Source : www.facebook.com/democraciarealya) |
A l'appel sur le web du collectif
Democracia
Real Ya ! (Une vraie démocratie,
maintenant !), appuyé depuis par des centaines d'autres plates-formes
revendicatives, 20.000 manifestants, selon la police, défilaient le 15 mai à
Madrid pour protester contre les partis politiques, les syndicats, la
corruption, le chômage, les mesures d'austérité, le coût
de la vie et des logements, le rôle des banques et d'un système
économique "obsolète" qui appauvrirait la majorité des
citoyens. Des manifestations moins massives parcouraient le même jour
une cinquantaine d'autres villes, Barcelone, Séville, Valence, Malaga,
Alicante, Saragosse, Albacete, Algésiras, etc.
Depuis le 15 mai , une part de ces jeunes qui s'estiment voués, selon
leurs affiches, à une vie "sans futur, sans maison, sans boulot,
sans retraite", mais aussi "sans peur", campent et dorment par milliers,
comme à la Puerta del Sol de Madrid, ou par centaines et au moins
par dizaines sur des places emblématiques de leur ville. Malgré
les interdictions et les menaces d'intervention de la police, ils veulent
s'y maintenir jusqu'aux élections municipales et régionales
du dimanche 22 mai.
Ces
indignés, comme ils se qualifient parfois eux-mêmes,
invitent les électeurs à bouder le scrutin ou pour le moins
à ne voter ni pour le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) de José
Luis Rodriguez Zapatero ni pour son adversaire et grand favori du scrutin,
le Parti populaire (PP, droite) de Mariano Rajoy.
Il s'agit de la première révolte coordonnée, visible
et relativement massive de jeunes issus de ce que le Fonds monétaire
international appelait récemment la "génération perdue"
de l'Espagne en crise. Des éditorialistes madrilènes la
qualifient de "génération Zapatero" pour stigmatiser le chef
du gouvernement socialiste. Au pouvoir depuis 2004, M. Zapatero annonçait en avril
dernier qu'il ne se présentera pas aux législatives de mars 2012. Sous sa gestion,
le nombre et le taux de sans-emploi ont plus que doublé.
Dans une Espagne qui compte 4,9 millions de chômeurs selon l'Institut
national de la statistique, soit 21,29% de la population active, record de
l'Union européenne et de l'OCDE, la "génération perdue"
de l'ère Zapatero est définie par un taux de chômage ahurissant
de 44,6% parmi les jeunes Espagnols de moins de 25 ans. On peut ajouter que
parmi les diplômés universitaires espagnols de 25 à 29
ans, 19% sont également chômeurs et 44% exercent un travail
au-dessous de leur qualification, avec des salaires à la queue de
ceux pratiqués en Europe.
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"Révolte au km 0" titrait le 18 mai 2011 à la une le quotidien
El Periódico sous une photo de milliers de contestataires emplissant la veille
au soir à Madrid la Puerta del Sol, place emblématique considérée
comme le km 0 des principales routes nationales espagnoles. |
Tournant ?
Le réveil de la "génération
Zapatero" revêt la spontanéité des révoltes arabes
actuelles estime en substance un socialiste historique, l'ex-président
du gouvernement Felipe Gonzalez (1982-1996). Mais, s'interrogent nombre d'observateurs,
s'agit-il d'un tournant ou, au contraire, le rejet proclamé d'institutions
politiques et économiques par ce que la presse appelle désormais le Mouvement 15-M
(en référence au 15 mai, date de son lancement) ne sera-t-il qu'un coup de gueule
sans lendemain?
"On commettrait probablement la même erreur en exagérant
la signification des manifestations qu'en la minimisant" estime prudemment
l'éditorialiste de l'influent quotidien de centre gauche El Pais. Selon
lui, "il est sûr que s'étend le sentiment, à l'intérieur
et hors d'Espagne, que la politique institutionnelle ne fournit pas les réponses
à certains des problèmes principaux créés par
la crise économique, principalement parmi les jeunes et les citoyens
les moins favorisés". El Pais avertit toutefois que "mépriser
le parlementarisme et l'Etat de droit peut servir les causes les plus justes
et les plus nobles, mais aussi les plus abjectes et les plus liberticides".
Dans les "tertulias" chères aux médias espagnols, c'est-à-dire
dans les débats quotidiens d'analystes d'idéologies diverses
sur les chaînes de radio et de télévision, certains ont
le sentiment que la jeunesse espagnole vient d'avertir les autorités
monétaires et économiques nationales et internationales que
le coût de la crise ne pourra plus être indéfiniment facturé
aux citoyens qui ne l'ont pas provoquée.
D'autres relèvent qu'en réduisant les salaires des fonctionnaires,
en gelant les pensions de retraite, en augmentant les impôts et en facilitant
les licenciements, le gouvernement socialiste de M. Zapatero a opéré
les pires coupes dans le bien-être social en 35 ans de démocratie
postfranquiste. Cela prouverait que la social-démocratie serait soumise aux diktats
financiers et n'aurait aucune stratégie propre contre la crise. L'avenir du socialisme
européen en deviendrait plus flou et celui du socialisme espagnol serait assombri
par une très lourde sanction électorale immédiate.
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"Sans maison, sans boulot, sans retraite, sans peur" dit cette affiche du collectif Juventud sin futuro
(Jeunesse sans futur).
(Source: www.facebook.com/democraciarealya) |
Tentatives de récupération
Se prétendant "apartidista" (hors des partis), mais non apolitique, car il veut réformer globalement
"le système", le Mouvement 15-M a bousculé la campagne électorale
en accaparant depuis dimanche la une de tous les médias. José
Luis Rodriguez Zapatero admet qu'il convient "d'écouter" les manifestants.
Dans un meeting à Caceres, en Estrémadure, il a mis en garde
mercredi contre l'abstention aux élections du 22 mai et a appelé
les "progressistes critiques" à voter pour ne pas offrir la victoire
à la droite. Le candidat socialiste à la présidence
de la Région de Madrid, Tomas Gomez, a fait une tentative de récupération
plus directe en clamant "J'appelle les jeunes à la rébellion.
Je m'identifie à eux". Il est vrai que l'abstention de la "génération
Zapatero" risque de nuire surtout à la gauche.
Espoir de récupération aussi de la part de Cayo Lara, coordinateur
général des écolos-communistes de la Gauche unie. Selon
lui, l'Espagne vit "le début d'une rébellion pacifique" qui
va "contribuer à changer le cours de l'histoire" au profit de la démocratie,
aujourd'hui "aux mains des pouvoirs financiers, des banquiers et des marchés
à cause de gouvernements serviles".
A droite, le Parti populaire de Mariano Rajoy impute aux socialistes "un
mécontentement très compréhensible". Quoique des journalistes
conservateurs se demandent si le Mouvement 15-M n'a pas été
lancé pour remettre la gauche en selle à la veille d'élections,
le PP fait mine de n'être pas visé. Il le serait bientôt au premier
chef si, comme les sondages le prédisent,
il reprenait les rênes de la politique espagnole en triomphant au scrutin
municipal et régional du 22 mai, puis aux législatives de mars
2012.
Des analystes n'écartent pas qu'à cette date la révolte
de la "génération perdue", pour autant qu'elle se maintienne,
soit renforcée par une cohorte de mécontents, chômeurs ou non,
de tous âges. Ce renfort se dessine
déjà aujourd'hui. On semble néanmoins encore loin d'un
modèle espagnol de révolution pour l'Europe ... Question de patience?