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Suspension de 6 chaînes de télévision par le régime d'Hugo Chavez
Venezuela / libertés / UE : merci la France, honte à l'Espagne
L'opinion de LatinReporters.com
CARACAS / MADRID, jeudi 28 janvier 2010 (LatinReporters.com)
- L'Espagne observe un silence d'autant plus bruyant qu'elle assume la présidence semestrielle
de l'Union européenne (UE). Par contre, la France a invité le Venezuela à
respecter les "libertés fondamentales" après la suspension, le 24 janvier, de la
diffusion de six chaînes câblées de télévision. Parmi elles, la
célèbre Radio Caracas Televisión (RCTV, devenue RCTVI), déjà rayée
autoritairement de la grande diffusion hertzienne en mai 2007 sous l'accusation de "putschiste"
héritée, mais sans la moindre condamnation en justice, du putsch de 2002.
Les voilà bien loin les entrechats inutiles et honteux de la diplomatie française autour d'Hugo Chavez dans l'espoir que l'autocrate bolivarien obtienne de ses amis de la narco-guérilla des FARC la libération d'Ingrid Betancourt, finalement délivrée le 2 juillet 2008 par l'armée colombienne, appuyée par la technologie américaine. "Nous avons pris connaissance avec préoccupation de la décision du gouvernement vénézuélien de procéder à la suspension de la diffusion de plusieurs chaînes câblées vénézuéliennes le 24 janvier. Nous espérons vivement que les autorités vénézuéliennes reviendront très vite sur cette décision" déclarait lundi à Paris Bernard Valero, porte-parole du ministère des Affaires étrangères français. Le digne représentant du ministre Bernard Kouchner ajoutait aussitôt: "Le pluralisme de l'information constitue un des éléments constitutifs de la liberté de la presse, qui est essentielle au bon fonctionnement d'un régime démocratique. Nous appelons les autorités vénézuéliennes à le garantir pleinement, à l'encourager et à se conformer à leurs engagements internationaux dans le domaine des libertés fondamentales et des droits de l'homme." Hugo Chavez et la non-ingérence Ce missile diplomatique a décontenancé Hugo Chavez. "J'ai une grande affection pour la France ... Je ne comprends pas pourquoi un ministère des Affaires étrangères avec autant d'expérience agit comme cela. Que les Etats-Unis le fassent, cela n'est pas étonnant" s'interrogeait mardi à voix haute le président vénézuélien lors d'un acte officiel avec des représentants de la multinationale pétrolière italienne ENI. Et d'insister: "Je ne sais pas pourquoi le gouvernement de Sarkozy doit se mêler de choses intérieures qui en plus sont collées à la loi ... Si une chaîne vénézuélienne veut entrer en France nous devrons prendre en compte les lois de ce pays". Cette logique du chacun chez soi est, on le sait, très respectée par le leader bolivarien. Sauf, bien sûr, pour la défense de bonnes causes. Par exemple, au Nicaragua, il n'offrait du pétrole gratuit ou presque qu'aux municipalités sandinistes lorsque le pays était gouverné par les libéraux. Ou au Pérou, lorsque les photos de Chavez et de son protégé local, l'aspirant à la présidence Ollanta Humala, entouraient les boîtes de thon distribuées aux sinistrés du séisme de 2007. Ou encore en Bolivie, dont il critiquait en septembre 2008 les scrupules de l'état-major militaire à attaquer des opposants au président Evo Morales et menaçait alors d'envoyer l'armée vénézuélienne. Aussi est-ce en réponse à "l'inacceptable atteinte au principe de non-ingérence dans les affaires internes des Etats" qu'un communiqué du ministère vénézuélien des Relations extérieures priait mardi "le gouvernement de la République française de rectifier rapidement sa position ... qui pourrait conduire le gouvernement de la République bolivarienne du Venezuela à réviser ses relations avec la France". Réponse, le lendemain à Paris, du valeureux Valero: "La France a noué avec le Venezuela un partenariat ancien et de qualité. Nous sommes attachés à le poursuivre et à le développer. Notre déclaration n'avait pas d'autre objet que de rappeler notre attachement au pluralisme de l'information". En d'autres mots, pas de rectification d'une enfin belle tranche de diplomatie française, pour autant que le ministre Kouchner et/ou ou le président Sarkozy ne viennent pas la gâcher sous le poids de remords pétroliers. Silence de la présidence espagnole de l'UE Pour l'heure, le Quai d'Orsay a sauvé l'honneur de l'Union européenne face au silence de sa présidence semestrielle, incarnée par l'Espagne socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero. Madrid se borne "à suivre avec intérêt la situation en un moment de turbulences" déclarait mercredi à la presse le secrétaire d'Etat espagnol pour l'Ibéro-Amérique, Juan Pablo de Laiglesia. Malgré les deux morts et les dizaines de blessés au Venezuela lors de manifestations d'étudiants et de contre-manifestations chavistes après le coup de force contre les six chaînes câblées suspendues, pas un mot de Miguel Angel Moratinos, le ministre espagnol des Relations extérieures. Peut-être ne veut-il pas risquer de faire capoter le VIe sommet UE-Amérique latine-Caraïbes, les 18 et 19 mai à Madrid. Il devrait y tenter de rapprocher l'Europe de Cuba, du Venezuela et d'autres pays de la gauche radicale latino-américaine. Mais qui alors, au nom de l'UE, va se préoccuper des droits de l'homme au Venezuela comme on s'en était préoccupé au Honduras après le coup d'Etat du 28 juin 2009? Le secrétaire d'Etat de Laiglesia en renvoie la responsabilité à la fraîchement nommée Haute représentante pour la politique extérieure de l'UE, la baronne travailliste britannique Catherine Ashton. [NDLR : Hello Cathy, where are you?] Les Nations unies, l'Organisation des Etats américains, la Commission interaméricaine des droits de l'homme, les Etats-Unis, le Canada, la Colombie, le Pérou, Human Rights Watch, Reporters sans frontières, le ministre des Relations extérieures du Paraguay (tiens, un allié supposé du Venezuela), ainsi que l'Eglise et l'opposition vénézuéliennes sont avec la France les principales voix qui ont émis leur condamnation ou leur préoccupation après l'imposition d'une nouvelle muselière aux médias déjà très harcelés par le régime d'Hugo Chavez. On le dit inquiet du score de son Parti socialiste unifié aux élections législatives du 26 septembre prochain au vu de l'inflation, de l'insécurité et des pénuries d'eau et d'électricité. La presse d'opposition attribue à sa nouvelle restriction des libertés la démission, officiellement "pour raisons personnelles", du vice-président et ministre de la Défense Ramon Carrizales et de son épouse et ministre de l'Environnement Yubiri Ortega. Chavez a fait en 11 ans quasi 2000 discours en "cadenas" obligatoires Face au tollé international, Chavez s'est donc réclamé de la loi vénézuélienne. Une disposition légale domine et empoisonne plus que d'autres le paysage audiovisuel national: l'obligation de former une chaîne (cadena) unissant tous les médias audio-visuels publics et privés pour diffuser ensemble et en direct des discours du chef de l'Etat. Toute autre émission en cours doit alors être brutalement interrompue. La non-participation aux dernières "cadenas" de Chavez est l'un des motifs des suspensions décrétées le 24 janvier. Très critique de la politique chaviste, RCTV, devenue RCTV-Internacional (RCTVI) avec base à Miami depuis son expulsion en 2007 du réseau hertzien vénézuélien qu'elle dominait, prétend libérer des fameuses "cadenas" son audience plus réduite et payante du câble. C'est pourquoi RCTVI revendique, en vain jusqu'à présent, la reconnaissance de son nouveau statut international par le Venezuela. Les six chaînes câblées suspendues ne sont pas définitivement fermées comme l'ont été 34 chaînes de radio le 1er août 2009. Selon le gouvernement de Caracas, le droit à la diffusion leur sera rendu si elles se plient aux contraintes nationales où si elles démontrent leur caractère international, lié à un pourcentage de production extérieure devant surpasser 30% de la programmation. La Commission nationale des télécommunications (Conatel) soutient que cette condition n'est pas remplie par RCTVI, qui conteste et s'estime victime une fois de plus d'un interdit politique. En onze ans de pouvoir, depuis février 1999, Hugo Chavez a réquisitionné radios et télévisions pour quasi 2.000 de ses généralement très longs discours, soit en moyenne un tous les deux jours, relève l'organisation de défense des droits humains Human Rights Watch. L'une de ses 141 allocutions retransmises obligatoirement en "cadena" en 2009 a duré 7 heures et 34 minutes. Outre les "cadenas", Hugo Chavez et son régime contrôlent 238 stations de radio, 28 canaux de télévision, 340 quotidiens, hebdomadaires et revues diverses, ainsi que 125 sites Internet, soit un total de 731 médias nationaux ou locaux affirmait en novembre dernier l'un des rapporteurs vénézuéliens, David Natera, à la 65e assemblée générale de la Société interaméricaine de presse (SIP) réunie à Buenos Aires. Chavez utilise cette omniprésence médiatique pour entretenir à l'égard du "capitalisme", des Etats-Unis, de la Colombie voisine et de toute forme d'opposition un climat de haine collective qui assure la mobilisation de ses partisans au prix d'une ambiance permanente de préguerre civile. En France, le président Nicolas Sarkozy a la majorité parlementaire nécessaire pour faire voter une loi lui permettant aussi de réquisitionner l'espace audiovisuel à son seul profit. Mais si une telle loi, hypothèse invraisemblable, voyait le jour dans l'Hexagone, qui accepterait de l'appliquer si ce n'est, comme au Venezuela, sous la menace et la contrainte? La justice et la démocratie ne suivent pas nécessairement le même chemin que la loi et l'autocratie, même plébiscitée comme l'a été maintes fois Hugo Chavez.
Dernière heure
3 CHAÎNES RÉTABLIES RCTVI TOUJOURS SUSPENDUE
Cette mise à jour commentée est publiée ce 28 janvier
2010 sur le site de l'organisation de défense des journalistes REPORTERS SANS
FRONTIÈRES ( www.rsf.org ) : Trois des six chaînes câblées suspendues depuis le 24 janvier 2010 ont obtenu l'autorisation d'émettre à nouveau. Il s'agit d'American Network, Ritmo Son (du groupe mexicain Televisa) et TV Chile. Les chaînes Momentum (mexicaine), America TV (péruvienne) et RCTV-Internacional (RCTVI), restent interdites de diffusion. Ce revirement partiel du gouvernement tend malheureusement à confirmer que le décret du 22 décembre 2009, obligeant les chaînes considérées comme “producteur audiovisuel national” à retransmettre les discours fleuves (“cadenas”) du président Hugo Chávez, était en fait dirigé contre RCTVI et elle seule. Il y a de quoi s'alarmer de l'effet provoqué par ce nouvel épisode de la “guerre médiatique” vénézuélienne, au vu des manifestations qui se sont soldées par la mort de deux étudiants. Le ministre et président de la Commission nationale des télécommunications (Conatel), Diosdado Cabello, avait envisagé de recevoir les représentants des médias concernés en début de semaine. Qu'en est-il ? Enfin et surtout, pourquoi vouloir à tout prix imposer les “cadenas” présidentielles à autant de chaînes quand une seule pourrait suffire ? Entre le 2 février 1999, date de son investiture, et le 21 janvier 2010, Hugo Chávez est intervenu 1.988 fois dans ce cadre pour une durée totale équivalente à cinquante-cinq jours sans interruption. Ce décompte n'inclut pas l'émission dominicale “Aló Presidente” que le chef de l'État anime lui-même sur la principale chaîne d'État Venezolana de Televisión (VTV). © LatinReporters.com - Amérique latine - Espagne |