Les voilà bien loin les entrechats inutiles et honteux de la diplomatie
française autour d'Hugo Chavez dans l'espoir que l'autocrate bolivarien
obtienne de ses amis de la narco-guérilla des FARC la libération
d'Ingrid Betancourt, finalement délivrée le 2 juillet 2008
par l'armée colombienne, appuyée par la technologie américaine.
"Nous avons pris connaissance avec préoccupation de la décision
du gouvernement vénézuélien de procéder à
la suspension de la diffusion de plusieurs chaînes câblées
vénézuéliennes le 24 janvier. Nous espérons vivement
que les autorités vénézuéliennes reviendront
très vite sur cette décision" déclarait lundi à
Paris
Bernard Valero, porte-parole du ministère des Affaires étrangères
français.
Le digne représentant du ministre Bernard Kouchner ajoutait aussitôt:
"Le pluralisme de l'information constitue un des éléments
constitutifs de la liberté de la presse, qui est essentielle au bon
fonctionnement d'un régime démocratique. Nous appelons les
autorités vénézuéliennes à le garantir
pleinement, à l'encourager et à se conformer à leurs
engagements internationaux dans le domaine des libertés fondamentales
et des droits de l'homme."
Hugo Chavez et la non-ingérence
Ce missile diplomatique a décontenancé Hugo Chavez.
"J'ai
une grande affection pour la France ... Je ne comprends pas pourquoi un
ministère des Affaires étrangères avec autant d'expérience
agit comme cela. Que les Etats-Unis le fassent, cela n'est pas étonnant"
s'interrogeait mardi à voix haute le président vénézuélien
lors d'un acte officiel avec des représentants de la multinationale
pétrolière italienne ENI.
Et d'insister:
"Je ne sais pas pourquoi le gouvernement de Sarkozy doit
se mêler de choses intérieures qui en plus sont collées
à la loi ... Si une chaîne vénézuélienne
veut entrer en France nous devrons prendre en compte les lois de ce pays".
Cette logique du chacun chez soi est, on le sait, très respectée
par le leader bolivarien. Sauf, bien sûr, pour la défense de
bonnes causes. Par exemple, au Nicaragua, il n'offrait du pétrole
gratuit ou presque qu'aux municipalités sandinistes lorsque le pays
était gouverné par les libéraux. Ou au Pérou,
lorsque les photos de Chavez et de son protégé local, l'aspirant
à la présidence Ollanta Humala, entouraient les boîtes
de thon distribuées aux sinistrés du séisme de 2007.
Ou encore en Bolivie, dont il critiquait en septembre 2008 les scrupules
de l'état-major militaire à attaquer des opposants au président
Evo Morales et menaçait alors d'envoyer l'armée vénézuélienne.
Aussi est-ce en réponse à
"l'inacceptable atteinte au principe
de non-ingérence dans les affaires internes des Etats" qu'un
communiqué du ministère vénézuélien des
Relations extérieures priait mardi
"le gouvernement de la République
française de rectifier rapidement sa position ... qui pourrait conduire
le gouvernement de la République bolivarienne du Venezuela à
réviser ses relations avec la France".
Réponse, le lendemain à Paris, du valeureux Valero:
"La
France a noué avec le Venezuela un partenariat ancien et de qualité.
Nous sommes attachés à le poursuivre et à le développer.
Notre déclaration n'avait pas d'autre objet que de rappeler notre
attachement au pluralisme de l'information". En d'autres mots, pas de
rectification d'une enfin belle tranche de diplomatie française, pour
autant que le ministre Kouchner et/ou ou le président Sarkozy ne viennent
pas la gâcher sous le poids de remords pétroliers.
Silence de la présidence espagnole de l'UE
Pour l'heure, le Quai d'Orsay a sauvé l'honneur de l'Union européenne
face au silence de sa présidence semestrielle, incarnée par l'Espagne socialiste
de José Luis Rodriguez Zapatero. Madrid se borne
"à suivre
avec intérêt la situation en un moment de turbulences" déclarait
mercredi à la presse le secrétaire d'Etat espagnol pour l'Ibéro-Amérique,
Juan Pablo de Laiglesia.
Malgré les deux morts et les dizaines de blessés au Venezuela
lors de manifestations d'étudiants et de contre-manifestations chavistes
après le coup de force contre les six chaînes câblées suspendues, pas
un mot de Miguel Angel Moratinos, le ministre espagnol des Relations extérieures.
Peut-être ne veut-il pas risquer de faire capoter le VIe sommet UE-Amérique
latine-Caraïbes, les 18 et 19 mai à Madrid. Il devrait y tenter
de rapprocher l'Europe de Cuba, du Venezuela et d'autres pays de la gauche
radicale latino-américaine.
Mais qui alors, au nom de l'UE, va se préoccuper des droits de
l'homme au Venezuela comme on s'en était préoccupé au
Honduras après le coup d'Etat du 28 juin 2009? Le secrétaire
d'Etat de Laiglesia en renvoie la responsabilité à la fraîchement
nommée Haute représentante pour la politique extérieure
de l'UE, la baronne travailliste britannique Catherine Ashton. [NDLR : Hello
Cathy, where are you?]
Les Nations unies, l'Organisation des Etats américains, la Commission
interaméricaine des droits de l'homme, les Etats-Unis, le Canada, la Colombie, le Pérou,
Human Rights Watch, Reporters sans frontières, le ministre des Relations extérieures du
Paraguay (tiens, un allié supposé du Venezuela), ainsi que l'Eglise et l'opposition
vénézuéliennes sont avec la France les principales voix qui ont émis leur
condamnation ou leur préoccupation après l'imposition d'une nouvelle
muselière aux médias déjà très harcelés par le
régime d'Hugo Chavez. On le dit inquiet du score de son Parti socialiste unifié
aux élections législatives du 26 septembre prochain au vu de
l'inflation, de l'insécurité et des pénuries d'eau et
d'électricité. La presse d'opposition attribue à sa
nouvelle restriction des libertés la démission, officiellement
"pour raisons personnelles", du vice-président et ministre de la Défense
Ramon Carrizales et de son épouse et ministre de l'Environnement Yubiri
Ortega.
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"Cadenas" (chaînes) audiovisuelles obligatoires de Chavez vues par
Gallego & Rey dans le quotidien espagnol de centre droit El Mundo du 27 janvier 2010 |
Chavez a fait en 11 ans quasi 2000 discours en "cadenas" obligatoires
Face au tollé international, Chavez s'est donc réclamé
de la loi vénézuélienne. Une disposition légale
domine et empoisonne plus que d'autres le paysage audiovisuel national: l'obligation
de former une chaîne (cadena) unissant tous les médias audio-visuels
publics et privés pour diffuser ensemble et en direct des discours
du chef de l'Etat. Toute autre émission en cours doit alors être
brutalement interrompue.
La non-participation aux dernières "cadenas" de Chavez est l'un des
motifs des suspensions décrétées le 24 janvier. Très critique
de la politique chaviste, RCTV, devenue RCTV-Internacional (RCTVI) avec base à Miami depuis
son expulsion en 2007 du réseau hertzien vénézuélien qu'elle
dominait, prétend libérer des fameuses "cadenas" son
audience plus réduite et payante du câble. C'est pourquoi RCTVI revendique,
en vain jusqu'à présent, la reconnaissance de son nouveau statut international par le
Venezuela. Les six chaînes câblées suspendues ne sont pas définitivement
fermées comme l'ont été 34 chaînes de radio
le 1er août 2009. Selon le gouvernement de Caracas, le droit à
la diffusion leur sera rendu si elles se plient aux contraintes nationales
où si elles démontrent leur caractère international, lié
à un pourcentage de production extérieure devant surpasser
30% de la programmation. La Commission nationale des télécommunications (Conatel)
soutient que cette condition n'est pas remplie par RCTVI, qui conteste et s'estime victime une fois de plus
d'un interdit politique.
En onze ans de pouvoir, depuis février 1999, Hugo Chavez a réquisitionné
radios et télévisions pour quasi 2.000 de ses généralement
très longs discours, soit en moyenne un tous les deux jours, relève l'organisation de
défense des droits humains Human Rights Watch. L'une
de ses 141 allocutions retransmises obligatoirement en "cadena" en 2009 a
duré 7 heures et 34 minutes.
Outre les "cadenas", Hugo Chavez et son régime contrôlent
238 stations de radio, 28 canaux de télévision, 340 quotidiens,
hebdomadaires et revues diverses, ainsi que 125 sites Internet, soit
un
total de 731 médias nationaux ou locaux affirmait en novembre
dernier l'un des rapporteurs vénézuéliens, David Natera,
à la 65e assemblée générale de la Société
interaméricaine de presse (SIP) réunie à Buenos Aires.
Chavez utilise cette omniprésence médiatique pour entretenir
à l'égard du "capitalisme", des Etats-Unis, de la Colombie
voisine et de toute forme d'opposition un
climat de haine collective
qui assure la mobilisation de ses partisans au prix d'une ambiance permanente de préguerre civile.
En France, le président Nicolas Sarkozy a la majorité parlementaire
nécessaire pour faire voter une loi lui permettant aussi de réquisitionner l'espace
audiovisuel à son seul profit. Mais si une telle loi, hypothèse invraisemblable, voyait
le jour dans l'Hexagone, qui accepterait de l'appliquer si ce n'est, comme
au Venezuela, sous la menace et la contrainte? La justice et la démocratie
ne suivent pas nécessairement le même chemin que la loi et l'autocratie,
même plébiscitée comme l'a été maintes
fois Hugo Chavez.
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