En direct à la télévision publique, le président vénézuélien
s'exprimait lors de son premier conseil des ministres de 2010. L'ordre des diverses séquences
de son annonce multiple permet de supposer qu'il tentait de réduire l'impact de la
dévaluation, reflet de difficultés économiques et sociales,
en dénonçant d'abord des dangers extérieurs qui menaceraient la
révolution bolivarienne, surtout le militarisme attribué aux Etats-Unis. Officiellement, le
mot "dévaluation" est ignoré. Le bolivar ne serait que "réajusté".
La menace supposée des forces américaines,
qu'aviverait le récent accord sur l'utilisation de
bases en Colombie
voisine, est devenue un élément permanent et essentiel du discours
politique d'Hugo Chavez. Ses opposants l'accusent d'agiter le spectre d'une
invasion "yankee" pour susciter un patriotisme populiste glorifiant le chef
de la patrie en danger. Plus prosaïquement, le président Chavez
est aussi soupçonné de vouloir détourner ainsi
l'attention des Vénézuéliens de problèmes internes:
récession économique, criminalité galopante, pénurie
de logements et de certains aliments, rationnement de l'eau et de l'électricité
et dégradation des services publics, y compris dans le secteur de
la santé.
Que des pénuries énergétiques et alimentaires frappent
aussi Cuba, principal allié régional du Venezuela,
suggère que l'Alliance bolivarienne pour les Amériques
(
ALBA)
créée par Hugo Chavez et Fidel Castro n'a pas rang d'alternative
à un libéralisme économique en voie de surmonter sa
dernière crise cyclique.
Dévaluation jusqu'à 50%
Face à la crise économique mondiale, le gouvernement de Caracas
avait écarté à plusieurs reprises une dévaluation
de la monnaie nationale. Mais la vigueur insolite de l'inflation vénézuélienne,
la plus forte des Amériques -25,1% officiellement en 2009 et 30,9%
en 2008, soit des taux d'appauvrissement massif-, ainsi que la chute des
cours du pétrole et la baisse de sa consommation mondiale l'an dernier
ont eu raison du bolivar, monnaie baromètre d'une économie
toujours basée sur la monoculture de l'or noir.
Le PIB (produit intérieur brut) du Venezuela a chuté de 2,9% l'an dernier. Selon la Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes (la CEPAL, qui dépend de l'ONU), le Venezuela a subi en 2009 la plus forte chute en valeur des exportations de la région, 42 % contre une moyenne régionale de 24 %.
Déjà dévalué en 2004 et 2005, le bolivar, fixé
jusqu'à présent au taux de 2,15 bolivars pour un dollar, s'échangera
dès lundi 11 janvier à 2,60 bolivars le dollar (dévaluation
de 17%) pour les importations socialement prioritaires et à 4,30 bolivars
le dollar (dévaluation de 50%) pour toutes les autres importations.
Le dollar coûtera 2,60 bolivars dans les transactions concernant, a
dit textuellement Hugo Chavez, "le secteur de l'alimentation pour les importations
nécessaires, le secteur de la santé, celui des machines et
équipements pour le développement économique, scientifique
et technologique - y compris livres et fournitures scolaires- et aussi tout
ce qui concerne les importations du secteur public, les envois d'argent familiaux,
les étudiants vénézuéliens à l'étranger,
les consulats et ambassades accrédités au Venezuela, les retraités
et pensionnés et des cas spéciaux".
Dans tous les autres secteurs, le dollar se paiera 4,30 bolivars. Le chef
de l'Etat a énuméré "l'automobile, le commerce, les
télécommunications, les plastiques, le textile, les appareils
électro-ménagers, les services, la construction, le tabac et
les boissons". Citant comme exemple les véhicules et les chaussures,
Hugo Chavez a précisé que "les importations non nécessaires
coûteront plus cher", ce qui contribuerait à relancer la production et
l'économie nationales. Au lendemain de cette annonce, les Vénézuéliens
faisaient la queue samedi à Caracas devant les magasins du secteur
électro-ménager pour profiter de prix ne répercutant
pas encore la dévaluation.
La dévaluation financera les dépenses publiques, mais alourdira
une inflation record
Le dollar à 4,30 bolivars a été qualifié par
Hugo Chavez de "dollar pétrolier". Le pétrole brut, dont le
Venezuela est le 5e exportateur mondial, lui fournit 90% de ses devises et
la moitié du budget national. Pouvant grâce à la dévaluation
recevoir au Venezuela 4,30 bolivars pour chaque dollar de ses ventes
de pétrole à l'étranger et ne payant que 2,60 bolivars le dollar pour l'acquisition
de biens d'importation, le monopole géant public Petroleos de Venezuela
S.A. (PDVSA) va pouvoir mettre rapidement des sommes considérables
en monnaie nationale à la disposition du gouvernement d'Hugo Chavez.
Cela lui permettra de relancer les dépenses publiques, notamment pour
sa politique sociale ou d'assistance directe, avant les élections
législatives cruciales du 26 septembre.
La contrepartie est le risque d'accroître l'inflation qui lamine déjà
fortement le pouvoir d'achat des Vénézuéliens, d'autant
que le Venezuela importe la majorité de ce qu'il consomme, dont près
de 90 % de sa nourriture selon les données officielles. Le ministre
de l'Economie et des Finances, Ali Rodriguez Araque, reconnaît que la
dévaluation pourrait alourdir de 3 à 5 points le taux d'inflation
annuel en 2010, ce qui à ses yeux est une incidence modérée.
Dans un communiqué, le principal parti d'opposition, Un Nuevo Tiempo
(social-démocrate), qualifie la dévaluation de "coup dur à
l'estomac des Vénézuéliens", qui s'en trouveraient appauvris,
tandis que le gouvernement va en retirer de l'argent frais en cette année
électorale. "En établissant le taux de change à 4,3
bolivars contre le dollar, la qualité de vie des Vénézuéliens
sera automatiquement dévaluée, puisque nous n'aurons que la
moitié de l'argent que nous avions auparavant", schématise
pour sa part Antonio Ledezma, maire de Caracas et adversaire de Chavez.
Enfin, le maintien des restrictions à la libre circulation de devises
en vigueur depuis 2003 favorisera sans doute encore le marché parallèle
sur lequel le dollar vaut actuellement plus de 6 bolivars. La monnaie nationale
vénézuélienne est ainsi l'une des rares de la planète,
sinon la seule, soumise à trois taux de change distincts.
AVION AMÉRICAIN
"Nous accusons le gouvernement des Etats-Unis et le gouvernement des Pays-Bas de lancer des actions
de provocation et d'agression contre le Venezuela pour chercher l'excuse. L'excuse d'agresser le
Venezuela." avait clamé le président Chavez avant d'annoncer la dévaluation
du bolivar.
Exhibant une photo d'un présumé patrouilleur maritime P-3 Orion de l'armée
de l'air des Etats-Unis, il a affirmé que cet "avion de guerre" avait décollé
de l'île de Curaçao, dans les Antilles néerlandaises,
avant de violer à deux reprises l'espace aérien vénézuélien
le 8 janvier à la mi-journée, d'abord pendant 15 minutes, puis
pendant 19 minutes.
"J'ai donné l'ordre à deux F-16 de l'intercepter, avec ordre
de ne pas céder aux provocations. L'avion est parti vers le Nord,
mais ensuite il est revenu" a expliqué Chavez. Selon lui, les deux
F-16 vénézuéliens ont escorté et "mis sous pression"
l'avion américain jusqu'à sa sortie de l'espace aérien national.
Un porte-parole du département américain de la Défense
a rejeté l'accusation portée par Hugo Chavez. "Nous pouvons
confirmer qu'aucun appareil militaire américain n'est entré
[le 8 janvier] dans l'espace aérien du Venezuela. Par principe politique,
nous ne volons pas dans l'espace aérien d'un autre pays sans accord
préalable ou coordination", a ajouté le porte-parole. Hugo
Chavez prétend pourtant disposer "de l'enregistrement des traces de
l'appareil sur nos radars".
Quant aux nouvelles mesures annoncées par le leader bolivarien contre
la crise énergétique, due tant à l'insuffisance
d'investissements qu'à la sécheresse qui raréfie
la production d'hydro-électricité, il s'agit d'une réduction
des horaires de travail de fonctionnaires. Des mesures similaires imposées
sous menace de sanctions ralentissent depuis plusieurs semaines de multiples
services et industries.
Crise énergétique au pays du gaz et du pétrole... Hugo
Chavez n'a pas fini d'étonner après onze ans de pouvoir, lors
desquels le bolivar a perdu 90% de sa valeur par rapport au dollar malgré la multiplication
par huit, au tarif actuel, du prix du pétrole pendant la même
période. [Au cours de la 1ère semaine de 2010, le baril de pétrole brut
vénézuélien s'est négocié au prix moyen
de 74,45 dollars.]
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