Analyse
Course aux armements en Amérique latine?
par Paolo A. PARANAGUA (Le Monde - Service International) *
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Chasseurs Soukhoï de fabrication russe sur l'aéroport de Barcelona,
capitale de l'Etat d'Anzoategui au Venezuela. (Archives - photo Arie IR Wikimedia
Commons - juillet 2007) |
Lundi 14 septembre 2009 (Le Monde) - Avec la vente de trente-six avions de combat Rafale, de quatre sous-marins Scorpène et d'un sous-marin à propulsion nucléaire au
Brésil, la France prend-elle le risque de stimuler la course aux armements
en Amérique latine ? A en croire l'Institut de recherches pour la paix
internationale de Stockholm (Sipri), les dépenses militaires dans
la région ont atteint près de 40 milliards de dollars en 2008,
soit une hausse de 36 % en cinq ans.
Doté d'un budget défense de 15,4 milliards de dollars, le
Brésil reste la première puissance militaire d'Amérique
latine. Les contrats avec la France représentent une somme supérieure
aux achats d'armes du Venezuela. L'investissement brésilien dépasse
le montant des accords opérationnels entre les Etats-Unis et la Colombie.
"Nous n'avons pas d'intérêt à projeter notre puissance",
assure le ministre brésilien de la défense, Nelson Jobim. Du
point de vue stratégique, Brasilia procède à un redéploiement
de ses forces armées en vue de mieux défendre l'Amazonie. Après
avoir basé sa flotte navale à Rio de Janeiro, il y a près
d'un siècle, les Brésiliens veulent déployer une seconde
escadre sur l'embouchure de l'Amazone. Le Brésil et l'Argentine ayant
cessé depuis longtemps de se voir en ennemis, la menace potentielle
vient désormais d'une frontière amazonienne difficile à
contrôler en dépit des satellites mis en orbite. Théâtre
d'opérations hostiles aux forces terrestres, l'Amazonie nécessite
des moyens aériens et navals performants.
Le paysage latino-américain est contrasté. La Colombie, seul
pays de la région avec un conflit armé interne, réserve
à ses dépenses militaires 4 % du PIB, tandis que l'Argentine
y consacre moins de 1 % et n'achète pas d'armes depuis 1994. Le budget
colombien ainsi que le type d'armement et d'entraînement privilégiés
depuis la présidence d'Andres Pastrana (1998-2002) visent à
combattre les guérillas d'extrême gauche, dopées par l'argent
de la drogue. Le Chili a réalisé un effort soutenu, grâce
à un pourcentage des dividendes du cuivre destiné aux achats
d'armes, mécanisme que la présidente Michelle Bachelet vient
de remettre en cause. Depuis cinq ans, le Mexique a augmenté ses dépenses
de 23 %, mais l'essentiel du budget vise au rétablissement de l'ordre,
ébranlé par la guerre à laquelle se livrent les gangs
de narcotrafiquants.
Les chiffres doivent néanmoins être relativisés, car
l'investissement latino-américain ne représente que 3 % des
dépenses militaires mondiales. L'Amérique latine ne pèse
pas lourd dans le commerce mondial d'armements. C'est compréhensible,
puisque la région a résorbé ses litiges frontaliers ou
les traite par la négociation, comme dans le cas de la Bolivie et
du Chili. Après le reflux des dictatures militaires sud-américaines,
les budgets de la défense ont été limités, provoquant
un retard considérable en termes d'équipement. L'augmentation
des dépenses correspond donc à une modernisation qui s'est fait
attendre. Toutefois, la crise économique, qui frappe selon des degrés
variables tous les pays, rend controversée l'opportunité du
réarmement.
La question doit être examinée également sous l'angle
politique. Les pays du cône sud de l'Amérique - Argentine, Brésil,
Chili et Uruguay - ont mené ensemble des missions de paix, en Haïti
notamment, qui ont contribué à créer la confiance entre
leurs militaires, au point de surmonter les vieilles rivalités, comme
celle qui a mis Chiliens et Argentins au bord d'une guerre pour le canal Beagle
(au sud de la Terre de Feu), en 1978.
En revanche, le discours du président vénézuélien,
le lieutenant-colonel Hugo Chavez, entretient un climat belliciste que ses
alliances avec la Russie, la Biélorussie et l'Iran ne sont pas de nature
à dissiper. Depuis 2003, le Venezuela a doublé ses dépenses
militaires. Caracas a acheté à Moscou 24 avions de chasse Soukhoï,
50 hélicoptères de combat et 100 000 fusils d'assaut Kalachnikov.
Des sous-marins et des chars sont en cours d'acquisition. Officiellement,
le budget de la défense représente 1,3 % du PIB, mais les comptes
vénézuéliens sont opaques.
En 2008, M. Chavez a mobilisé ses blindés à la frontière
avec la Colombie et a menacé d'employer les Soukhoï. Simple bravade
? Peut-être. L'armée vénézuélienne est incapable
de livrer bataille avec des chances de réussite, mais les Soukhoï
peuvent être pilotés par des mercenaires de l'ex-Union soviétique.
Et la seule utilité d'une escadrille de 24 avions est de frapper les
premiers. Les risques de dérapage existent. Dotés d'une portée
de 3 000 kilomètres, les Soukhoï menacent Bogota, Miami, le canal
de Panama et Manaus. Aucun pays voisin ne dispose d'une défense à
la hauteur.
L'accord en cours de finition entre Washington et Bogota, à propos
de l'utilisation de sept bases colombiennes, est à replacer dans ce
contexte. La Colombie affronte une guérilla qui bénéficie
de frontières poreuses avec le Venezuela et avec l'Equateur. La coopération
requise par Bogota n'a pas d'écho en Amérique du Sud. Outre
l'aide dans la lutte contre le narcotrafic, la présence de militaires
américains dans ces bases constitue une dissuasion contre toute attaque
extérieure.
* NDLR - Cet article a été publié le 14 septembre 2009
sur le site Internet du quotidien Le Monde, qui a autorisé
gracieusement sa publication sur notre site. LatinReporters.com ne peut pas autoriser, comme nous le faisons pour
nos propres textes, la reproduction libre de cet article dont les droits appartiennent au journal Le Monde.
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