"Ces sept bases sont une déclaration de guerre contre la révolution
bolivarienne et c'est ainsi que nous l'assumons" avertissait le 25 août
le président du Venezuela, Hugo Chavez. Chef de file des gauches radicales
latino-américaines, il prétend que les Etats-Unis veulent
provoquer un conflit armé entre Bogota et Caracas dans le but de s'emparer
des champs pétroliers vénézuéliens et de dynamiter
tant l'Unasur que les régimes de gauche en Amérique latine.
Le président Chavez utilise cette hypothèse pour justifier
ses acquisitions massives d'armes russes, en cours néanmoins depuis
cinq ans. Elles portent au total sur près de sept milliards de dollars,
compte tenu des 92 chars et des systèmes antiaériens commandés
la semaine dernière à Moscou par le chef d'Etat vénézuélien.
Dans des déclarations téléphoniques faites le 15 septembre
de Quito, capitale de l'Equateur, à des médias diffusés
au Chili, le ministre chilien Mariano Fernandez a indiqué que
la lettre d'Hillary Clinton était adressée à tous les
ministres des Relations extérieures des 12 pays de l'Unasur, réunis
le même jour à Quito. Les ministres de la Défense participaient
également à cette réunion destinée à élaborer
des mécanismes de sécurité régionaux, conformément
au mandat issu du
Sommet extraordinaire de
l'Unasur tenu le 28 août
à Bariloche (Argentine) pour évaluer les implications régionales
de l'accord militaire américano-colombien.
Achat d'armes : Hillary Clinton réclame la "transparence" du
Venezuela
"[Hillary] Clinton montre qu'elle se rend compte de l'existence d'une inquiétude"
et, a précisé le chef de la diplomatie chilienne, elle garantit
dans sa lettre que l'accord américano-colombien respectera la "souveraineté"
des pays de la région et qu'il n'aurait pas d'ambition "extraterritoriale"
le faisant déborder du cadre colombien.
Le ministre chilien Mariano Fernandez révéla alors
que la secrétaire d'Etat américaine exprimait dans la
même lettre sa "disponibilité" à dialoguer sur ce dossier
avec les pays de l'Unasur (Argentine, Bolivie, Brésil, Chili, Colombie,
Equateur, Guyana, Paraguay, Pérou, Surinam, Uruguay et Venezuela).
Recherchant ce dialogue sur l'accord américano-colombien et des garanties
au plus haut niveau, le président brésilien Luiz Inacio Lula
da Silva avait téléphoné le 21 août au président
des Etats-Unis, Barack Obama, lui proposant une réunion à la
date et au lieu qui lui conviendraient, sans obtenir de réponse précise.
Le ministre brésilien des Relations extérieures, Celso Amorim,
affirma qu'au cours de cette conversation Lula dit à Barack Obama
qu'il jugeait nécessaire "des garanties formelles, juridiquement valables,
que l'équipement et le personnel [américains en Colombie] ne
seront pas utilisés au-delà de leur but strictement déclaré,
soit le combat contre le trafic de drogue, les FARC et le terrorisme". [FARC
= Forces armées révolutionnaires de Colombie; guérilla
marxiste].
Mardi, alors que la réunion ministérielle de Quito avait commencé,
Hillary Clinton exprimait à Washington son "inquiétude
quant à l'importance des achats d'armes vénézuéliens".
"Nous demandons au Venezuela qu'il soit transparent, clair" concernant l'objectif
de ces achats d'armes déclarait Mme Clinton lors d'une conférence
de presse conjointe avec le président uruguayen Tabaré Vazquez.
Tous deux ont dit craindre "une course aux armements" en Amérique du Sud.
"Ils [les dirigeants du Venezuela) doivent mettre en place des procédures
afin de s'assurer que les armes qu'ils achètent ne vont pas être
détournées par des groupes insurgés ou des organisations
illégales comme les réseaux de trafic de drogue ou autres cartels
criminels", ajoutait Hillary Clinton.
Echec à Quito de la réunion ministérielle de l'Unasur
La réunion de Quito n'a débouché sur aucun consensus
ni communiqué. Le ministre équatorien des Relations extérieures,
Fander Falconi, dont le pays assume la présidence annuelle de l'Unasur,
a reporté les débats sur l'élaboration de mesures de
confiance et de mécanismes de sécurité régionaux
à une date postérieure à l'Assemblée générale
des Nations unies, qui s'ouvrira la semaine prochaine à New York.
La délégation colombienne n'a pas accepté que, contrairement
au mandat général issu du sommet extraordinaire de l'Unasur,
l'accord américano-colombien soit, comme le prétendaient le
Venezuela et ses alliés, l'unique accord militaire soumis à
examen, critique de surcroît. Les mesures de confiance ne doivent pas
seulement apaiser les préoccupations de certains pays sur l'accord
entre Washington et Bogota, mais aussi la préoccupation de la Colombie
sur les achats d'armes et les pactes conclus avec des pays tiers par d'autres
membres de l'Unasur, tel le Venezuela, a estimé en substance à Quito le ministre
Jaime Bermudez, chef de la diplomatie colombienne.
Le ministre vénézuélien des Relations extérieures,
Nicolas Maduro, a reproché à la Colombie de n'avoir pas soumis
à la réunion de Quito le texte de son accord avec les Etats-Unis.
Le ministre colombien de la Défense, Gabriel Silva, a répliqué
que lorsque l'accord sera définitivement ratifié, Bogota n'aura
pas d'objection à le mettre sur la table, à condition que le
soient aussi tous les accords militaires conclus par des pays d'Amérique
du Sud.
Emise dans une lettre adressée par le président péruvien
Alan Garcia aux ministres de l'Unasur réunis dans la capitale équatorienne,
la proposition d'un "pacte de non agression militaire" n'a pas été retenue.
Selon le ministre chilien des Relations extérieures, Mariano Fernandez,
cette proposition aurait le tort de suggérer que les pays d'Amérique
du Sud "sont au bord d'un conflit guerrier".
"Les bases [dont la Colombie autorise l'usage par les Etats-Unis] seraient
beaucoup moins importantes si les autres pays de la région aidaient
la Colombie à résoudre des problèmes tels que ceux posés
par les FARC et les drogues... Mais il évident que cette aide n'existe
pas" constatait mardi à Londres John Chipman, directeur général
de l'Institut international d'études stratégiques (IISS).
Le président vénézuélien Hugo Chavez avait conforté
par anticipation ce diagnostic, déclarant trois plus tôt à
Madrid, dans une interview au quotidien El Pais, que "les FARC ne sont pas
terroristes, mais une force insurgée, qu'il faut reconnaître
comme telle pour pouvoir faire la paix" en Colombie. M. Chavez avait déjà
appelé plusieurs fois dans le passé la communauté internationale
à reconnaître la guérilla colombienne. Pourtant, le 28
août dernier à Bariloche, le sommet extraordinaire de l'Unasur
s'engageait dans sa déclaration finale, approuvée par le Venezuela,
à "rejeter la présence ou les actions de groupes armés
en marge de la loi".